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Le projet de commémoration du Bicentenaire est vieux de deux siècles !

Par Anil Louis Juste, Professeur à l’Université d’Etat d’Haiti

Un groupe d’intellectuels, de professeurs, d’artistes, d’étudiantsÂ… vient de fixer sa position sur la commémoration du Bicentenaire de l’Indépendance d’Haïti. Il refuse toute participation officielle aux festivités que compte organiser le régime lavalassien. C’est un acte courageux qui mérite d’être encouragé au moment où le pouvoir ne cesse de réprimer tout mouvement de libération. On peut encore penser au mouvement de l’Université d’Etat d’Haïti pour sauvegarder l’autonomie menacée !

Le projet de commémoration du Bicentenaire est vieux de deux siècles. Le principe de refus du groupe est, pourtant, circonscrit dans une seule temporalité : le temps dictatorial du président Jean Bertrand Aristide.

Tout principe est nourri d’une cosmovision qui se matérialise dans les pratiques sociales. Ces pratiques se concrétisent dans l’histoire à trois temps : le passé, le présent et le futur. Les activités économique, politique et culturelle des individus et des groupes sociaux expriment l’intériorisation de cette triple dimension humaine. Autant dire que la signification sociale de l’Indépendance rappelée par les signataires dans leur déclaration de principe, devait l’être dans sa pleine historicité. L’Unité entre les esclaves et les marrons a rendu possible l’Indépendance en 1804, mais depuis les conquêtes de l’armée louverturienne jusqu’à aujourd’hui, la question de la liberté et de l’égalité a été escamotée : les chefs se sont approprié de la terre dans les villes conquises et ont géré la chose publique comme s’il s’agissait d’un patrimoine privé. Le régime lavalas ne fait que continuer le processus d’exploitation et de domination des secteurs majoritaires de la population. C’est Toussaint Louverture lui-même qui a codifié en quelque sorte, le régime de demwatye, qui exclut la majorité de la population des possibilités de développement physico-mental. Toute la discrimination culturelle que subissent les paysans, se justifie dans la volonté de maintenir des relations sociales inégalitaires. Alors, que vaut le principe du groupe de refus en dehors de cette référence socio-historique ?

Je participerai à une commémoration du Bicentenaire dans une perspective de récupération du vrai sens de la lutte des esclaves et des marrons de Saint-Domingue. En fait, une nouvelle fois, s’est offerte l’occasion de dénoncer les structures sociales inégalitaires plus que séculaires et d’annoncer la transformation sociale nécessaire à l’amélioration des conditions de vie et de travail de la majorité. Aujourd’hui, il s’agit plutôt de questionner le pouvoir, qu’il soit économique ou politique ; la question de la socialisation des pouvoirs économique et politique doit être à l’agenda de tout mouvement qui lutte pour la liberté retrouvée en Haïti. Tout mouvement qui revendique l’héritage politico-social de la Révolution de 1791, doit savoir que le projet de commémoration du Bicentenaire de l’Indépendance est vieux de plus de deux siècles. Plusieurs générations d’intellectuels sont responsables de la situation chaotique dans laquelle nous vivons actuellement ; elles n’ont pas su préparer la fête de la Liberté Haïtienne, par action ou par omission. Nous sommes tous complices de la dégradation accélérée des conditions de vie et d’existence des secteurs populaires de la Nation. L’heure est donc à l’engagement socio-politique populaire et non à la démagogie intellectualiste.

Jn Anil LOUIS-JUSTE

Octobre 2003