Extraits du discours de la première ministre Michèle Duvivier Pierre-Louis le 17 novembre en cours, à la clôture des journées européennes du développement, tenues à Strasbourg à partir du 15 novembre
Intervention faite en présence du président du Bénin, Thomas Yayi Boni, du premier ministre du Zimbabwe, Morgan Tsvangirai,
du ministre des Affaires Etrangères de la France, Bernard Kouchner, du secrétaire d’Etat français à la Coopération et à la Francophonie, Alain Joyandet et du commissaire européen Louis Michel
Document soumis à AlterPrese le 18 novembre 2008
Mes remerciements vont à la Présidence française de l’Union Européenne pour l’invitation qui m’a été adressée, et à la Commission de l’Union Européenne pour l’organisation de ces assises. Mes remerciements vont également aux peuples européens et aux institutions de la Commission Européenne pour leur engagement en faveur du développement des pays pauvres et à faibles revenus parmi lesquels on compte mon pays, Haïti.
En me rendant ici pour participer avec vous aux Journées Européennes du Développement, je prends avec moi les cris et la douleur de mon Pays, Haïti. Cette terre de liberté meurtrie par les crises humaines et environnementales, et ce Peuple courageux qui souffre dans sa quête de développement, de démocratie et d’épanouissement collectif.
« Quel Bretton Woods pour le Développement ? m’avait-on demandé de commenter, 2 jours après le Sommet du G20 »
Cette tribune offerte par les Journées Européennes du Développement tombe dans un contexte très particulier. On ne l’a que trop répété, ici au cours des précédents exposés, il coïncide avec une crise financière qui menace la stabilité mondiale. Cette crise n’est en fait que le sommet d’un iceberg géant qui a déjà pas mal détruit les économies, les sociétés et l’environnement de l’ensemble des pays pauvres. Ces désastres sont réalisés en présence et souvent dans l’indifférence des institutions de Bretton Woods. Alors, faut-il un autre Bretton Woods pour le Développement ? Pour la Formatrice, l’Ouvrière du développement et le Chef de Gouvernement que je suis, la réponse est sans hésitation oui. Qu’elles s’appellent Bretton Woods II, Strasbourg, Bruxelles ou de tout autre lieu, ou encore Plan Marshall II… notre monde a besoin d’institutions nouvelles, appropriées, efficaces, régulées et au service de
l’avancement et du renforcement des Peuples dans la dignité et le respect réciproques.
Depuis l’ouverture des journées, une compréhension unanime se dégage des différents panels. Que l’état de pauvreté extrême, de détérioration de l’environnement, de famine et de marginalisation des pays sous-développés qui deviennent de plus en plus pauvres, résulte en grande partie des décennies de programmes d’ajustements structurels sauvages imposés par ces institutions financières internationales. Les causes de la crise financière et sa multi dimensionnalité ont aussi été amplement diagnostiquées. Je vais rappeler quelques unes des conséquences subies par nos pays pauvres pour justifier l’urgence et l’utilité d’adapter les institutions financières internationales.
Permettez que je vous dise d’abord, que cette crise est de nature salutaire. Elle permet :
de revenir sur terre pour adresser les vrais problèmes et rechercher les bonnes solutions,
de démasquer les hypocrisies internationales,
d’admettre les torts et erreurs commis aux peuples du sud et à leur environnement naturel,
de questionner les politiques et les pratiques de management financier appliquées par les institutions de Bretton Woods aux pays faibles,
de constater les dégâts dus à la dérégulation économique et du tout marché en lieu et place des Etats nationaux et des institutions socioéconomiques construites et viables. Cette dérégulation a eu, dans mon pays, des effets dévastateurs aussi bien dans le monde rural que dans le monde urbain ;
et d’admettre que les Etats, même dans les pays pauvres, au travers des gouvernements légitimes, doivent être consolidés et réhabilités dans leur rôle de leader et de créateur d’opportunités pour leurs peuples.
Et ensuite, remarquer que ce n’est ni l’argent ni la capacité qui manque à l’échelle mondiale pour financer le développement. C’est avant tout un manque de volonté, peut-être induit par une image qui, trop souvent, nous marginalise, voire même nous infantilise. En effet, quand les intérêts des pays industrialisés sont en jeu, c’est à la fois extraordinaire et formidable, la mobilisation des Etats de 5 des 7 Pays du G7 (USA, France, U.K., Allemagne, Japan) qui ont déjà injecté plus de DEUX MILLE SIX CENT DOUZE MILLIARDS DE DOLLARS AMERICAINS (2 612 milliards USD) dans leur économie. Il est donc parfaitement correct et approprié que l’Etat intervienne avec autorité et célérité pour corriger les fautes du marché et protéger l’économie réelle.
Les conséquences du mal développement subi par nos pays résultent des mauvaises politiques pratiquées et des contraintes imposées. Elles constituent des défis qui, aujourd’hui, dépassent largement nos frontières et nos capacités nationales. Comment résoudre les problèmes posés par les changements climatiques, les catastrophes sanitaires, l’hyper vulnérabilité sociale, la crise énergétique, la crise alimentaire, la fracture technologique sans des Etats stratèges et des ressources fiables et régulières ? Comment combattre la criminalité organisée, les seigneurs de la guerre, le trafic de la drogue et des armes, et les organisations mafieuses qui infiltrent nos territoires ? Eh bien, voilà ce qui gangrène nos sociétés et qui hypothèque l’avenir de générations de femmes et d’hommes qui payent des dettes qu’ils n’ont ni contractées, ni connues et ni consommées. Voilà ce qui se passe quand des pays ont été
forcés de se livrer uniquement aux bonnes volontés du marché en écartant l’Etat des responsabilités naturelles et régaliennes qui sont les siennes .Mes expériences et mes engagements personnels dans les efforts et processus participatifs m’encouragent, par les résultats obtenus, à croire dans la capacité des peuples à se développer. Les partenariats stratégiques et la solidarité véhiculée et exprimée à travers les actions des organisations de base, les agents de développement, les organisations de la société civile et la coopération internationale sont des ingrédients importants. Mais, ils ne peuvent remplacer le rôle fédérateur, régulateur et responsable de l’Etat.
Les Institutions Financières Internationales chargées d’accompagner le financement du développement requièrent, dans cet ordre d’idée, un profond changement de paradigme. Celui-ci devrait articuler des notions de responsabilité, de solidarité, de transparence et de respect des engagements pris, avec des actions concrètes et utiles en faveur des populations des pays pauvres, principalement au niveau local. Lesdites actions correspondent aux interventions prioritaires et spécifiques définies par les gouvernements nationaux légitimes. Elles fondent la base des politiques publiques qui doivent être soutenues dans la durée en vue de permettre à nos territoires et à nos régions d’exprimer leur potentialité, de créer des opportunités pour nos populations, particulièrement pour les jeunes, et d’encadrer les marchés. Combattre la faim et faire reculer la pauvreté ne peuvent résulter que des investissements structurants dans les
infrastructures, la production agricole et l’agro-transformation, l’accès au marché, la formation technique et scientifique, le transfert technologique, la valorisation des ressources culturelles, les pratiques productives et consommatrices efficaces, la construction de la stabilité politique et de la cohésion sociale. Des institutions et des partenariats qui facilitent la réalisation de ces actions, voilà ce qu’il nous faut.
Dans ses expériences douloureuses de pauvreté et de marginalisation Haïti est lassée de promesses creuses d’aide internationale, trop souvent des leurres. Mon pays a une mémoire historique et culturelle, des gens créateurs et rudes travailleurs, une immense richesse potentielle qui ne nécessite que des investissements appropriés pour se réaliser. Nous vivons un paradoxe car nous savons bien que nous ne pouvons nous en sortir tous seuls, malgré nos efforts. C’est là, le vrai sens du devoir de solidarité internationale dont on a tant parlé ici au cours de ces Journées Européennes du développement. Il est donc temps de s’engager et de délivrer !
...........................
Photo logo : Bernard Kouchner, ministre français des Affaires étrangères, avec Michèle Pierre-Louis. Quai d’Orsay, Paris - France