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Haiti : La catastrophe n’était pas naturelle

Par Myrtha Gilbert

Soumis à AlterPresse le 4 novembre 2008

Il n’y a pas de catastrophes naturelles.
Jean-Paul Sartre

Sans préjuger de la valeur de l’interdiction légale de déboiser ou de l’effort de reboisement systématique, on ne peut vraiment agir sur le déboisement fondamental d’origine paysanne, qu’en apportant des modifications sensibles à la structure même de l’économie agraire…
Paul Moral (1959)

Chronique d’une catastrophe redoutée

La note cyclonique est particulièrement salée cette année pour la population un peu partout dans le pays. Il est vrai que Gonaïves et Cabaret semblent les plus touchés.

Une saison cyclonique 2008 exceptionnellement dévastatrice. D’ailleurs les images dantesques diffusées sur plusieurs chaînes de télévision accompagnant le faciès désespéré d’hommes, de femmes et d’enfants, les pieds dans la boue, en disent long sur la profondeur de la tragédie.

On n’en finit pas d’enregistrer des pertes cruelles en vies humaines : plus de 700 morts confessent les autorités ; plusieurs centaines de têtes de bétail emportés, mais aussi des dégâts matériels considérables au niveau des infrastructures routières et électriques, les maisons d’habitation. Des pertes qui s’élèveraient selon les dernières informations, dans les villes comme dans les campagnes à plusieurs millions de dollars.

Bien avant, des témoignages rapportaient l’inquiétude exprimée par les travailleurs des Gonaïves, affectés aux travaux de canalisation entrepris par des firmes et ONG aux lendemains du passage du cyclone Jeanne. Ils critiquaient la manière de faire qui selon eux, pouvait empirer un mal qu’on prétendait soigner. Ces paysans furent vertement remis à leur place !

L’année dernière, au mois de septembre 2007, beaucoup de voix s’étaient élevées lors de catastrophiques inondations du côté des Cayes, de Cavaillon, de Cabaret, de Léogâne.

Certaines autorités locales de la ville de Cabaret déclaraient sur les ondes, avoir recherché vainement l’appui du pouvoir central pour relocaliser les populations les plus exposées et faire adopter certaines mesures de prévention.

Les autorités du pouvoir central avaient certainement d’autres chats à fouetter et d’autres demandes plus pressantes à honorer !

Alors, sont-ce uniquement des cyclones, des tempêtes ou des ouragans ravageurs la cause de tant de maux au pays ? Haïti est-elle victime de tempêtes, d’ouragans et de cyclones de catégorie plus élevée que ceux qui frappent les autres pays de la Caraïbe comme notre voisine la République Dominicaine, Cuba, les petites Antilles ?

Vulnérabilité accrue, irresponsabilité, impunité

Il y a de cela quatre ans, le 18 septembre 2004 plus précisément, le cyclone Jeanne s’abattait sur la ville des Gonaïves. Bilan officiel : 3 000 morts, 2600 blessés et près de 300 000 personnes sinistrées.

On devrait plutôt parler de l’inondation Jeanne, car ce ne furent pas les vents violents, comme d’habitude qui provoquèrent un tel niveau de désastre, mais les trombes d’eau venues de loin, des hauteurs de Puilboreau, de Marmelade, de Bienac, qui dévalèrent avec furie les mornes dénudés pour se précipiter dans la rivière La Quinte et le bassin Mayan.

L’ensablement progressif des rivières et l’absence de curage des canaux d’écoulement ont aggravé la situation ; la topographie de la ville y a aussi mis du sien. Et dire que Gonaïves est la ville à pluviosité la plus faible du pays. On dirait le contraire !

Il convient aussi de rappeler que cette ville existe depuis le temps des indiens- avant l’arrivée de Christophe Colomb en 1492- sous l’appellation de Gonaibo. En ce temps là, existaient les forêts denses et les mornes verdoyants et impénétrables. Pendant longtemps, (jusqu’à l’occupation américaine) la couverture forestière encore importante, continuera à faire le travail confié à elle par la nature à savoir, absorber presque toute l’eau de pluie et alimenter le débit des rivières.

Par ailleurs, où sont passés les millions de dollars mis à disposition des Gonaïves, après la catastrophe de 2004 ? Qui sont ceux-là qui géraient les fonds ? Où sont les contrats de service et les rapports d’exécution des travaux : canaux, routes et ponts, réhabilitation des bassins versants, appui psychologique… ? Motus et bouche cousue.

Bref. Peu avant la première catastrophe des Gonaïves, ce furent Mapou et Fonds Verrettes pratiquement rayées de la carte d’Haïti. La disparition presque totale de la couverture forestière a rendu nos rivières tourmentées jusqu’à la folie. Elles ont perdu leur lit, elles ont perdu la raison.

Hélas, les palabres sur la reconstruction de ces petites villes ont alimenté de coûteuses réunions et la décision de transformer la Secrétairerie d’Etat à l’environnement en Ministère, avec politique à l’appui, pour plus d’efficacité disaient les autorités. Et puis, Epi anyen.

Déjà en 2003, le Bassin Général qui s’était fait oublier pendant vingt ans réagissait avec fracas à l’incurie et à l’anarchie, charriant au moins une vingtaine de maisons qui avaient le malheur d’être construites sur son passage, entraînant les gravats jusque dans une cour présidentielle.

De Hazel à Gordon, la constance de l’incurie

La tempête Gordon qui, en novembre 1994 n’avait apporté que de la pluie -beaucoup de pluie il est vrai- causa des pertes considérables en vies humaines, ravagea quantité de plantations paysannes, détruisit comme aujourd’hui, routes et ponts à cause du débordement de nombreuses rivières qui sortirent furieusement de leur lit, au fil de l’érosion des mornes.

La Commission d’urgence avait dénombré 800 (huit cent) morts au 23 novembre 1994, pour les trois départements les plus touchés : l’Ouest, le Sud’Est et la Grand’Anse.

Aucune annonce n’avait été faite à la population.

C’était l’époque de la deuxième occupation et nous avons été les témoins privilégiés de ce sinistre qui nous a surpris à l’entrée de la ville de Jacmel. Les éboulements le long de la route de l’amitié, l’effondrement des ponts ainsi que les nombreuses rivières en crue nous ont épargné comme par miracle.

En remontant le cours du temps, nous n’en finirions pas de parler des cyclones d’hier dont maints dégâts n’ont jamais trouvé réparation sous les dictatures passées : Georges, Cléo, Inès, Flora parmi les plus ravageurs et bien entendu Hazel en 1954, sous le gouvernement de Paul E. Magloire. Célèbre cyclone qui a ouvert en Haïti l’ère de l’humanitaire et des premières ONG, donc du « manje sinistre » et de l’assistanat durable. Une ère qui sera encore plus catastrophique peut-être pour le peuple haïtien que les catastrophes naturelles elles-mêmes. Mais nous n’allons pas aborder ce sujet pour l’instant.

Christian Girault qui a étudié en profondeur l’économie caféière haïtienne rapporte la frustration des paysans déplorant l’absence totale d’appui de la part du régime duvaliériste en ce qui à trait au relèvement des plantations détruites après le passage du cyclone Flora.

Dans bien des cas signale Girault, les caféiers ont été purement et simplement remplacés par la culture de céréales (maïs, pois, etc.) plus facile à cultiver mais hautement dommageable pour les pentes des mornes.

Les choix catastrophiques de l’Etat Haïtien

Où se trouve donc la différence entre les catastrophes d’hier, d’avant-hier et d’aujourd’hui ? Pourquoi les communautés de Mapou, et de Fonds Verrettes ont-elles été rayées de la carte d’Haïti ? Pourquoi La double tragédie des Gonaïves et de Cabaret ? Toutes les villes haïtiennes sont-elles menacées ? Quel douloureux processus a pu aboutir à nous donner la frousse de la pluie et amener des populations à crier Abas la rivière ? La rivière, source de vie !

La boutade de Jean-paul Sartre a de quoi nous faire réfléchir.

Dans son ouvrage sur l’économie haïtienne sorti en 1959, le géographe Paul Moral qui parcourait le pays depuis 1952 écrivait ceci :

« Le territoire haïtien achève de se dénuder… Le drame de la terre qui n’était encore qu’un thème littéraire aux environs de 1930, concrétise maintenant toutes les menaces qui pèsent sur le destin de la nation haïtienne ».

Mais la terre haïtienne ne se dénude pas par hasard. C’est d’abord ce qu’il faut comprendre. C’est le résultat de rapports socio-économiques. L’aboutissement de choix désastreux de politiques agraires et fiscales anti-nationales appliquées par les couches dominantes prédatrices haïtiennes en collusion/soumission avec l’étranger à partir de 1825. C’est l’expression de l’Etat contre la Nation.

Et ce qui est rarement dit, les premiers problèmes d’érosion d’origine coloniale concernaient les montagnes plantées en café à découvert, lesquels problèmes ont été résolus par le monde rural, grâce aux méthodes culturales pratiquées par la paysannerie après 1804 avec le café sous abri.

Par la suite, l’Etat parasite et ses brasseurs d’affaires, vivront pendant 170 ans près, sur le dos presque exclusif de la paysannerie et de son café. Mais aussi de la coupe effrénée des bois pendant le 19ème siècle et le début du 20ème siècle : acajou, campêche, gaïac etc. Beaucoup de compagnies étrangères y font beurre et ravage avec la concession de contrats à bail (le plus souvent louches) pour des durées allant de 10 à 60 ans. Paul Moral parle de « la danse des contrats » et des détournements opérés par plusieurs ministres dans le cadre de la vente des bois.

Quelques chiffres d’exportation illustrent la frénésie de la coupe : 3 millions de billes d’acajou en 1825, 4 millions en 1840, 2 millions en 1882, 100 000 en 1914 ; 4 000 tonnes de campêche en 1825, 18 000 tonnes en 1850, 140 000 tonnes en 1887, 25 000 tonnes en 1914. La courbe indique l’ampleur de la trouée et la dévastation de la couverture forestière qui s’ensuivit.

Mais il faut souligner que durant le 19ème siècle, la coupe des bois concernait dans une grande mesure les îles adjacentes de la République d’Haïti : La Gonâve, La Tortue, L’Ile à Vaches, Les Cayemites.

« L’île de La Tortue est…l’objet de quatre contrats successifs (1862, 1875, 1892, 1899) dont aucun n’arrive à échéance normale et qui donnent lieu avec l’intervention du capital anglais ou français, à de ténébreuses affaires d’indemnités » [1].

Vers 1900, Les forêts d’acajous et de campêche de l’île de la Gonâve sont livrées à un concessionnaire. La grande terre étant encore peu touchée, l’échéance des désastres s’en trouvait retardée. Mais retardée seulement !

Le personnel politique vit tant de courtage sur les contrats que des droits exceptionnels et des surtaxes grevant le café paysan. Mais coupe massive et sauvage et impôts sur le café servent aussi à payer la dette dite de l’Indépendance.

Vers la fin du 19ème siècle, la population rurale a sensiblement augmenté. La pression sur les ressources naturelles devient plus forte. Or L’Etat et ses « grandons » refusent le plat pays aux paysans. Ces derniers continuent à planter surtout dans les mornes : « les plaines, (sont) objet de la sollicitude particulière des pouvoirs publics », pourtant « (elles) sont dans l’abandon… De sorte qu’en 1884 « Sur 30 000 ha (au niveau de la plaine du Cul de Sac) 4000 seulement sont cultivés en canne et autant en vivres » [2].

Les fossoyeurs de la patrie ont toujours fait fi de ce principe élémentaire : « L’investissement le plus productif et le plus dynamisant est, en somme, celui qui tend à satisfaire les besoins fondamentaux des producteurs. Primo vivere : vivre d’abord » [3]

C’était encore la soif et l’illusion de la grande plantation de type colonial, sans les moyens politiques de la faire revivre. Mais, le parasitisme urbain avait encore de beaux jours devant lui.

L’occupation américaine et la coupe de survie

Au moment où l’obsolescence des structures agraires aiguise les luttes paysannes, survient l’occupation américaine de 1915. Elle va aggraver le sort du petit paysan par le biais de dépossessions massives qui pousseront ce dernier soit vers les bateys de Cuba et de St-Domingue, soit vers l’occupation des terres marginales ou les forêts de la grande terre. Seulement dans le nord, 50 000 paysans furent brutalement chassés des terres présumées vacantes où ils cultivaient vivres et café, au profit de la grande culture du sisal.

Alors va s’accentuer au fil du temps, un double déboisement : la déforestation de survie du paysan et la coupe commerciale parasitaire liée aux besoins et aux intérêts du monde urbain ainsi qu’aux projets de l’occupant et ceux des firmes étrangères.

Selon certaines données, la couverture forestière de la République d’Haïti, avant l’occupation américaine s’élevait à 60% ; au départ des américains en 1934 elle était réduite à 21 %.

Ce n’est donc pas étonnant que ce fut sous l’occupation américaine que des membres avisés de l’élite intellectuelle, évoqueront pour la première fois le phénomène de l’érosion. Mais il faudra attendre 1938, sous le gouvernement de Sténio Vincent, quatre ans après la désoccupation, pour la publication d’une « loi de Salut » relatif à ce phénomène.

Dix ans plus tard, en 1948, le patriote Georges Séjourné fustigera le comportement des gouvernants haïtiens, leur irresponsabilité et leur inconsistance face à ce phénomène :

« Si, depuis sa publication, cet Arrêté avait été exécuté, il aurait été planté au moins 1 million d’arbres par an soit en ces 10 ans DIX MILLIONS d’arbres. Combien d’eau pour arrosage nous aurions en plus ? Combien d’hectares de terres arides pourraient être mis en culture ? »

La SHADA : un désastre national

Mais avant 48, le pays haïtien allait devoir affronter un nouveau désastre sur le plan écologique et alimentaire avec les folles concessions faites par le président Elie Lescot à la SHADA (Société Haïtiano-américaine de Développement Agricole) :

« L’aide du président Lescot a permis que la SHADA obtienne ses gigantesques étendues de terre…On n’aurait pu les obtenir sans le président Lescot… », écrivait le journal Daily News, dans sa livraison du 3 avril 1943.

Dès août 1941, commença la confiscation brutale des meilleures terres du pays au profit de la culture du caoutchouc principalement, mais aussi du sisal : razzia terrible à Jérémie, à Dame-Marie, à l’Anse d’Hainault, aux Cayes, au Cap, à Bayeux, dans La Plaine des Gonaïves, dans La Plaine du Nord, etc., où sous les ordres de la SHADA et avec l’appui de l’appareil répressif, on arrachait à tour de bras la production vivrière paysanne, on abattait sans crier gare les arbres fruitiers.

Pour contenir les protestations paysannes et patriotiques, l’état de siège fut décrété le 8 décembre 1941 sur toute l’étendue du territoire et le 28 décembre 1942, un second décret instaura « zones stratégiques », toutes les régions choisies par la SHADA pour planter le caoutchouc ou le sisal. Selon ce décret, lesdites zones stratégiques étaient considérées « zones de guerre ». Aussi, de lourdes peines étaient-elles prévues contre les actes considérés par le pouvoir comme relevant du « sabotage » y compris les écrits s’opposant au projet !!! 100 000 acres devaient être plantées en cryptostegia (l’arbre à caoutchouc), soit 33 000 carreaux environ.

Non content d’accaparer les meilleures terres des plaines, les forêts firent aussi partie du butin de la compagnie. La coupe sur la terre ferme se fit avec férocité au niveau de la Forêt des pins dans l’Ouest, mais aussi du morne Doco dans la Grand’Anse, La Miel et Bois Laurence dans le Plateau Central. En tout, 78 000 ha de forêts (plus de 60 000 carreaux) furent livrés à « l’exploitation scientifique », expression utilisée dans les contrats signés entre l’Etat Haïtien et la compagnie.

Deux scieries furent installées très tôt à la Forêt des pins. Elles travaillèrent « si vite et si bien » qu’en janvier 1942, après seulement cinq mois de fonctionnement, Thomas Fennel le président de la SHADA, se félicita d’avoir débité sur le marché local 60 000 (soixante mille) pièces de planches de pins ! Informant par ailleurs des bonnes perspectives d’exportation vers le Vénézuela.

La SHADA travailla « si vite et si bien » dans « L’exploitation scientifique » de la Forêt des Pins, qu’en 1942 « …deux importantes excursions (furent) organisées par les étudiants de la Section Agricole (pour visiter) la forêt du morne des Commissaires (et observer) les aspects du déboisement et de l’érosion (sic) ». [4]

En fin de course, (vers 1944), la SHADA, menacerait même, selon le journal La Nation, de raser la forêt des pins pour y planter de la figue banane, question d’éviter les trop fréquents feux de forêts !!!

Pourtant, selon Georges Séjourné, les EEUU utilisaient dès 1941, avec beaucoup de succès, le pin, pour combattre l’érosion chez eux.

Dans un tel contexte, la situation s’aggravait rapidement, mais nous n’en étions pas encore à l’inondation totale et la disparition des villes. La fumisterie aidant, les rentiers pouvaient encore s’asseoir sur les lauriers des autres. Et c’est ce qu’ils firent pendant que les lois contre le déboisement se multipliaient.

Déboisement criminel et catastrophe écologique

Sous la dictature des Duvalier l’âpreté de la lutte pour la terre et les contrats juteux, notamment au niveau de la Forêt des Pins fit couler beaucoup de sang. Une vingtaine de membres de la famille Fandal furent massacrés parce que la scierie familiale était convoitée par un très haut dignitaire du régime.

Par ailleurs, plusieurs affidés du clan, comme Jean Julmé, des officiers supérieurs de l’armée, Marie Denise Duvalier etc., obtinrent le privilège du pillage des ressources forestières.

Mais dans son délire, François Duvalier fit pire. Il ordonna notamment le déboisement des bassins versants de l’Artibonite, où ne devaient demeurer debout ni arbre, ni homme, ni bête, pour éviter l’infiltration des « camoquins ».

Cette politique criminelle aggravait sensiblement une situation environnementale déjà très préoccupante. Et comme le prévoyait Paul Moral, « La destruction anarchique du manteau végétal » allait désorganiser « les bassins d’alimentation des rivières et des sources » et « provoquer dans la circulation des eaux des perturbations irrémédiables ».

Mais, à la bonne manière haïtienne, des lois furent votées.

Elles s’appliquaient sévèrement contre le menu fretin et ceux qui se trouvaient en dehors du cercle des favoris. Et l’érosion poursuivait sa marche inexorable.

Nous ne sommes pas sortis de l’auberge

La chute de la dynastie des Duvalier avait permis tous les espoirs. Les premières coulées de boue qui avaient défiguré la capitale vers la fin du régime, alertèrent les rentiers eux-mêmes, dérangés dans leur paresse, mais se sentant finalement concernés. A leur façon bien sûr.

A partir de 1986, les associations d’obédience écologique se multiplièrent ainsi que les démarches de sensibilisation aux problèmes sévères de l’environnement haïtien. Plusieurs ONG s’impliquèrent résolument dans toutes sortes de programmes de reboisement. Mais rien n’y fit. Puisque l’essentiel encore une fois continuait à être superbement ignoré en dépit des prescrits de la Constitution de 1987, à savoir : les indispensables réformes dans l’économie agraire, la réhabilitation du paysan.

Au contraire, la poursuite de la dénudation des mornes comme le regrettait Paul Moral, allait « renforcer les contrastes climatiques » observés depuis un certain temps, et accentuer « la gravité de la sécheresse d’hiver et la brutalité des pluies du printemps et de l’automne ».

L’aggravation de la misère rurale, la rapacité des rentiers et des brasseurs d’affaires et l’effondrement de l’Etat ont achevé la destruction de notre environnement.

De 1986 à nos jours, les réponses de l’Etat Haïtien, des tenants du pouvoir, face à la catastrophe écologique demeurent inappropriées voire incohérentes donc très loin de l’urgence des actions à entreprendre. A croire qu’ils sont frappés de cécité.

Aussi, le constat d’aujourd’hui n’est-il autre que la chronique d’un désastre annoncé depuis longtemps par Anthony Lespès quand il affirmait dès 1945 :

« Sans une politique positive et courageuse de conservations de nos ressources naturelles, sans une révolution dans notre politique agraire, notre agriculture est condamnée, nos institutions sont condamnées, la Nation en son ensemble est condamnée… »

Cependant, les mauvais choix d’hier ne peuvent en aucune manière servir de prétexte et de justifications à l’adoption des politiques désastreuses d’aujourd’hui.

Dans ce sens, nos ancêtres nous ont largement montré le chemin, quand dans des conditions autrement périlleuses, ils ont affronté avec courage et détermination, les trois plus grandes puissances esclavagistes et colonialistes de l’époque, pour nous léguer cette terre de liberté que nous avons le devoir sacré de protéger, d’embellir et d’enrichir.


[1Paul Moral, Le paysan haïtien, première édition, 1961 p50

[2Idem p54

[3Jacques B. Gélinas : Et si le Tiers-Monde s’autofinançait p188.

[4Bulletin mensuel. Bureau du représentant fiscal (1942)