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Haiti : Jeunes talents à découvrir à Carrefour-Feuilles

Par Marie Visart

P-au-P, 4 nov. 08 [AlterPresse] --- De jeunes artistes âgés entre 11 et 22 ans ont exposé cette semaine leurs œuvres au Musée d’Art Haïtien du Collège St. Pierre de Port-au-Prince.

Organisée par l’Association pour la Promotion de la Santé Intégrale de la Famille (APROSIFA), cette exposition est l’aboutissement de plusieurs ateliers en vue d’encourager les jeunes à approfondir leurs réflexions sur les conditions de vie en Haïti, la violence physique et systémique dans leur environnement proche, à travers la sculpture, la poésie, le dessin et le reportage photographique.

« Ce qui caractérise la jeunesse est sa créativité, car les jeunes savent créer avec peu de moyens. Avec un bout de crayon et une feuille, ils font une œuvre », déclare à AlterPresse Rose-Anne Auguste, Fondatrice et Conseillère de l’APROSIFA.

Lors du vernissage qui a eu lieu le jeudi 30 octobre 2008, plus d’une centaine de personnes ont foulé les pelouses du musée pour découvrir les œuvres de ces jeunes.

Axé autour du thème "Création, libération et réappropriation de notre identité", ce travail a offert aux artistes en herbe l’opportunité de s’exprimer et de libérer leurs vibrations pour travailler à l’émergence d’une Haïti transformée.

Islande Henry, 20 ans, Jessica Jean, 16 ans, Emmanuel Déké Francky, 17 ans, Ricot Brodaise, 12 ans et Jean Walgens Pierre, 18 ans, ont tous commencé le dessin dès leur enfance et sont passionnés par les métiers artistiques. Ils ont expliqué à AlterPresse le sens de leur travail et ce que cette expérience leur a apporté.

« Dans nos œuvres, on parle d’Haïti et de la jeunesse »

« J’ai toujours dessiné c’est pour cette raison que j’ai rejoint l’atelier pour améliorer ma technique », explique Islande. Ces ateliers ont été créés pour permettre à la population de cette zone d’avoir une occupation, de se divertir afin de ne pas « se laisser aller », poursuit-elle.

« Dans nos œuvres on parle d’Haïti et de la jeunesse qui, souvent, une fois les études terminées, se retrouve sans métier et se laisse décourager », ce qui peut amener des conflits au sein de la famille.

Par la suite, Islande aimerait retransmettre à d’autres jeunes ce que l’APROSIFA lui a apporté à travers ces ateliers qui font de l’éducation citoyenne en sensibilisant aux problèmes de société.

« L’APROSIFA nous donne des pistes pour nous en sortir dans la vie », souligne Islande.

Pendant un an, du jeudi au samedi et ce de 1 heure à 3 heures de l’après-midi, comme de nombreux jeunes, Jessica Jean a rejoint l’atelier de dessin dans lequel l’artiste peintre et poète Gounod Louis Jean dispense des cours.

« J’ai choisi de travailler sur le thème de la violence, car, pour l’exposition, on nous a demandé de réfléchir et trouver ce sur quoi on veut dessiner ».

« La violence n’as pas de sens »

« Vyolans pa fè sans » (la violence n’a pas de sens) est le titre de l’oeuvre que Jessica a choisi d’exposer.

Elle met en scène trois poules qui se battent avec une femme qui leur distribue du maïs afin de les calmer et 12 mains représentant, chacune, un pays qui pointe le doigt vers les poules en vue de les séparer.

« Par cette scène, j’ai voulu représenter ce qui se passe dans le pays en ce moment, c’est-à-dire comme les gens ne travaillent pas ensemble, ils ont des difficultés à se comprendre ».

Outre l’atelier de dessin, Jessica prend également des cours de cuisine, pâtisserie, et elle fait partie d’une organisation pour le changement de la nation haïtienne (OCHAN) qui travaille avec des enfants et des jeunes.

« Nous avons libéré nos pieds, mais pas nos têtes »

Emmanuel a commencé à dessiner il y a 8 ans. L’atelier de dessin lui a offert de nouvelles perspectives et lui a permis d’améliorer ses connaissances techniques, confie-t-il.

Dans le dessin d’Emmanuel, on peut voir une tête d’homme enchaînée avec une femme également attachée par des chaînes.

« J’ai voulu représenter l’esclavage moderne. Nous nous sommes libérés de nos chaînes en 1804, nous avons libéré nos pieds, mais pas nos têtes », explique-t-il.

Pour Emmanuel, la condition d’esclavage est une réalité de la société haïtienne, elle est seulement passée de la forme propre à figurée. Le métier d’artiste est une véritable passion pour la plupart de ces jeunes.

« Quand je m’endors, je pense toujours au prochain dessin que je vais pourvoir faire le lendemain », dit Emmanuel.

Face aux conditions de vie en Haïti, la population se doit d’être polyvalente et d’exercer plusieurs métiers, pense-t-il.

« Le plus souvent on manque de contact, de réseau, d’encadrement pour continuer à se former et à exercer la spécialité qu’on aime », conclut-il.

« La violence de la vie »

Comme pour la majorité des jeunes interrogés, Ricot Brodaise pratique le dessin depuis l’enfance et il a rejoint l’atelier en 2007. A travers son dessin, il exprime la violence de la vie en Haïti.

« Avant, la vie était brisée. L’eau est ce qui permet le retour à la vie, l’homme donne de l’argent à sa femme, ce qui représente la continuité de la vie, et la trompette symbolise la paix, ce dont on a besoin en Haïti », explique Ricot Brodaise.

Selon lui, aujourd’hui les Haïtiens sont sous « la domination étrangère, ce qui est une forme de violence ». Il explique les différentes formes de violence dont la population est victime, comme la difficulté de sortir du pays et de circuler librement, affirme-t-il.

« La réflexion de la délivrance »

« Cette sculpture s’appelle ‘La réflexion de la délivrance’ », explique Jean Walgens Pierre.

Bien que Walgens ait toujours dessiné, il a réalisé cette sculpture cinq mois après avoir intégré l’atelier tenu par Lionel Saint Eloi.

« La réflexion de la délivrance représente une personne qui réfléchit sur les conditions de vie en Haïti afin de permettre au peuple de se sortir des ténèbres dans lesquels il se trouve ».

Par ses œuvres, Jean Walgens exprime la nécessité pour les Haïtiens de travailler ensemble pour sortir de la misère, « tendre vers la lumière » et permettre au pays d’avancer.

La question de la santé ne passe pas uniquement par les soins médicaux

« L’APROSIFA est un centre de santé communautaire qui répond aux besoins de la population par une approche anthropologique et non conventionnelle de la santé » explique Rose-Anne Auguste.

La question de la santé ne passe pas uniquement par les soins médicaux, mais elle est liée à différents facteurs, tels que le loisir qui contribue à l’épanouissement et à la curabilité, insiste-t-elle.

Face à l’absence d’activités, certains groupes isolés se livrent à la violence et d’autres sombres dans la drogue. Cette situation a amené l’APROSIFA à réfléchir avec les jeunes sur ce qui pouvait être fait pour que leurs droits cessent d’être bafoués, qu’ils puissent être reconnus et se sentir valorisés.

« On leur ouvre des perspectives. Par exemple, une fois le cours de photographie terminé, l’appareil photo leur ait offert ou, s’ils font de la peinture, on va leur apprendre les techniques photographiques pour leur permettre de photographier leurs propres peintures ».

Ainsi, les plus intéressés et investis peuvent-ils développer d’autres facultés et se diversifier.

Rose-Anne Auguste souhaiterait que le gouvernement mette en place davantage de centres culturels, d’écoles de dessin, de loisirs à l’intention de la population.

Parmi les jeunes qui ont participé aux ateliers, dont la plupart étaient âgés entre 11 et 18 ans, près d’une cinquantaine ont été formés en photographie par William Gustave et James Alexis, une soixantaine en dessin par Gounod Louis Jean, une quinzaine en sculpture par Lionel St. Éloi.

Un concours, orienté sur la construction de la paix identitaire, a été organisé dans l’atelier écriture avec prochainement l’octroi d’un prix au (à la) gagnant (e). [mv gp apr 04/11/2008 15:00]