Éditorial du quotidien francais Le Monde (15 octobre 2008) [1]
Repris par AlterPresse le 16 octobre 2008
Pour endiguer la plus grave crise financière depuis celle de 1929, la planète jongle avec des centaines de milliards de dollars. Les Etats s’endettent, les banques respirent et les Bourses se redressent. A la hauteur d’une tempête qui invite à s’interroger sur les fondements mêmes de nos systèmes économiques, de telles sommes donnent le vertige. Pour éradiquer la sous-alimentation qui touche 923 millions d’humains, il suffirait, selon les calculs des ONG, de 30 milliards de dollars par an. Moins de 5 % du seul plan Paulson ! Une misère.
En pleine crise financière, la Journée mondiale de l’alimentation, jeudi 16 octobre, sonne comme un signal d’alarme. Selon le bilan de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’envolée des prix agricoles et du pétrole a provoqué, en 2008, une augmentation de 75 millions du nombre de personnes qui souffrent de la faim. En dépit d’une hausse de la production mondiale de céréales, les marchés agricoles restent tendus, et les experts s’attendent à une succession de crises alimentaires.
Alors qu’un enfant de moins de 10 ans meurt de la faim ou de ses conséquences toutes les cinq minutes dans le monde, l’association Action contre la faim relève qu’elle a "beaucoup de mal à mobiliser les énergies et les fonds". Cela ne fait que souligner le contraste avec l’apparente facilité avec laquelle des fonds ont été trouvés pour sauver les banques. Le traitement d’un enfant malnutri coûte environ 60 dollars par an. Mais les moyens mondiaux mis en oeuvre ne permettent de traiter que 5 % de la malnutrition sévère.
A environ 2 400 kilomètres de Wall Street, Haïti, un des pays les plus pauvres de la planète, résume ces misères du monde. En avril, il a connu de violentes émeutes de la faim. Entre le 15 août et le 15 septembre, il a été dévasté par deux cyclones et deux tempêtes tropicales qui ont fait près de 800 morts et ont accentué la pénurie alimentaire. Mais, en Haïti comme ailleurs, loin des marchés, on meurt en silence. La mobilisation internationale ne dure guère au-delà du temps médiatique des catastrophes. Avec la crise financière, la diaspora haïtienne a réduit ses envois de fonds. Il faudra bien pourtant que, après ses faillites financières, le monde s’attaque à ses faillites morales.
[1] Titraille adaptée par AlterPresse