La coordination régionale du Sud-Est (Cros), en partenariat avec Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF), une Ong française, tentent d’encourager, depuis une année, une réflexion sur l’aménagement du territoire, à partir de ce qu’elles appellent « la construction d’une maquette en 3 dimensions ». Il s’agit de porter la population locale d’une zone donnée à se représenter les reliefs (mornes, bas fonds, cours d’eau) et à identifier les informations relatives à l’environnement (usage des sols), aux infrastructures et aux services de base (route, école, centre de santé, tribunal…), en vue de rechercher des pistes de solutions..., argumentent les deux organisations. Mais, alors, quels secteurs vont payer les coûts d’un aménagement véritable du territoire d’Haïti ? Les deux organisations suggèrent un dialogue non partisan et une mobilisation générale entre les différentes actrices et les différents acteurs concernés...
Soumis à AlterPresse le 25 septembre 2008
Par Florian Delerue [1]
En trois (3) semaines, ce n’est pas moins de quatre (4) tempêtes tropicales (Fay, Gustav, Hanna et Ike), dont 3 de force cyclonique, qui ont frappé Haïti.
À météorologie exceptionnelle, dégâts exceptionnels : « au moins 600 morts, des milliers de sans-abris, sans eau potable ni nourriture. Plus d’un million des 8,5 millions d’habitants sont sinistrés » [2].
Gonaïves, Cabaret, Les Cayes, Jacmel et les autres. C’est presque la totalité du territoire national qui est touché. Routes, ponts, réseau EDH… Les dégâts matériels sont aussi très lourds.
Et pourtant, l’ampleur de ces catastrophes était prévisible. Chaque cyclone voit son lot de dégâts et de discours sur l’absolue nécessité de reboiser les mornes pour éviter des récidives de plus en plus sérieuses. Tout le monde s’accorde sur la gravité de la dégradation de l’environnement, avec en tête la déforestation de l’ensemble du territoire, même des zones les plus reculées, et sur ses conséquences sur le ruissellement des eaux.
Les déclarations politiques, de divers ingénieurs-agronomes, des ministères concernés (ministère de l’environnement / Mde ; Ministère de l’agriculture, des ressources naturelles et du développement rural / Marndr ; ministère de l’intérieur et des collectivités territoriales / Mict ; ministère des travaux publics, transports et communications / Mtptc) se succèdent et se ressemblent.
Pourtant, il n’y a pas de reboisement effectif en Haïti, au contraire, les colonnes de fumée se multiplient, la production et le commerce de charbon est décidément une des seules voies pour faire face aux besoins quotidiens d’une population paysanne à bout de souffle. Il y a bien quelques projets timides, menés avec plus ou moins de succès (ou d’échec) par les ministères, organisations non gouvernementales (Ong), et autres sur des micro-zones, mais c’est bien l’ensemble du territoire, des habitants et des infrastructures qui sont en péril.
Les techniques de reboisement, mais aussi de conservation des sols, de corrections des lits de rivières sont connues, maîtrisées et reproductibles, et pourtant l’aménagement des bassins versants reste un échec.
Plus généralement, l’aménagement du territoire national souffre toujours de planifications claires, de prises de décision, de réglementations respectées et d’actions concrètes. Alors oui, les techniques sont là, mais comment rationaliser l’usage des terres ? Comment transformer ces techniques en aménagement durable dans un tel contexte de misère sociale, en particulier en zone rurale ?
Comment s’accorder sur l’utilisation et l’aménagement de l’espace ? Comment procéder aux changements nécessaires, quand on est à ce point dans l’urgence au quotidien, que l’on s’endette pour chaque rentrée scolaire pour envoyer ses enfants dans un système éducatif en faillite, quand le moindre problème de santé peut avoir des conséquences dramatiques par absence de centres de santé ?
Comment influer sur une dynamique de reboisement alors que le pays « en dehors » est, à ce point, oublié et marginalisé par l’Etat, quand les paysans n’ont pas d’autres alternatives que de continuer à cultiver des zones de plus en plus pentues et d’entraîner leurs enfants dans le même cercle vicieux ? Comment reboiser, lorsque la pression démographique et foncière est si élevée et que tout le monde a besoin d’un peu de terre pour continuer à cultiver pour manger ?
Oui !, la problématique est complexe, et les solutions préconçues n’existent pas. Pour parler d’aménagement efficace du territoire haïtien, il faut avoir une connaissance précise de celui-ci, de ses potentiels et de ses limites.
Quelles sont les zones à reboiser en priorité ? Quelles sont les zones où intensifier l’agriculture pour assurer la sécurité alimentaire du pays ? Quels sont les zones à risques ?
La plupart des élus, ingénieurs-agronomes et acteurs du développement ont bien une connaissance générale du territoire, mais il leur manque une vision opérationnelle, pratique pour raisonner concrètement l’aménagement de celui-ci.
Mais qui vit sur ce territoire ?
La majorité de la population est rurale, c’est un fait. Il est grand temps d’ouvrir un dialogue clair, transparent, équitable, non partisan, avec tous les acteurs impliqués (Etats et Ministères, services décentralisés, ONG, population et en particulier population rurale) afin que tous puissent enfin décider pour l’intérêt collectif et la gestion du territoire national. Mais, pour que cela soit possible et efficace, il faut que tous aient une même vision, un même accès à l’information, une même possibilité de raisonner et de comprendre ce territoire.
Oui, le dialogue doit être ouvert à tous, et surtout à ceux vivant sur ce territoire, le parcourant chaque jour, à ceux l’ayant coûte que coûte façonné jusqu’ici, le cultivant jusque dans les moindres recoins, à ceux alimentant en produits vivriers les marchés et la population urbaine du pays.
La population rurale, comme acteur clé de la réussite d’un quelconque projet d’aménagement, doit prendre place au cœur de la réflexion sur l’avenir et les solutions à développer pour le territoire national. Elle doit pouvoir s’exprimer d’égal à égal avec les autres composantes de la société haïtienne.
Une maquette en 3 dimensions
La Coordination Régionale des Organisations du Sud-Est (CROS), mouvement social haïtien, et Agronomes et Vétérinaires Sans Frontières (AVSF), ONG française, développent depuis 1 an, à cet effet, un outil original : la construction de maquette en 3 dimensions.
Il s’agit, pour une zone donnée, sur laquelle on porte une réflexion d’aménagement du territoire, de représenter en 3 dimensions les reliefs (mornes, bas fonds, cours d’eau) par la construction d’une maquette. Les informations relatives à l’environnement (usage des sols), mais aussi aux infrastructures et aux services de base (route, école, centre de santé, tribunal…) sont ensuite localisées et reportées sur cette maquette par la population locale.
Ceci est rendu possible grâce à la troisième dimension : tout le monde reconnaît les reliefs, se repère dans l’espace présenté sur la maquette et est en mesure de reporter des informations dessus.
Nous disposons alors d’un outil transparent et compréhensible par tous. Ingénieurs-agronomes, élus locaux, paysans et autres peuvent se réunir autour de cette maquette, comme vrai espace de concertation, planification et prise de décision. Tous ont accès à la même information, ce qui permet de prioriser les interventions à mener.
Deux maquettes de ce type ont déjà été construites.
La première couvre le micro-bassin versant de la rivière Fond Melon, où elle sert directement au pilotage des activités d’aménagement de ce bassin. Concrètement, c’est autour de cette maquette que sont discutées, priorisées et décidées de nombreuses actions allant de l’intensification agricole au reboisement, en passant par la protection et la conservation des sols.
C’est, alors, bien sur la base d’une réelle maîtrise de cette espace par tous les acteurs concernés (maîtres d’œuvre du projet, Conseils d’administration de sections communales / Casec et Assemblées de sections communales / Asec, organisations paysannes) qu’est planté actuellement un lot boisé à caractère économique. Ce n’est qu’après dialogue et consensus. autour de la maquette, que la localisation du lot boisé a été décidée.
La deuxième maquette couvre un macro-bassin versant : celui de la Grande Rivière de Jacmel. Elle permet de porter la réflexion à une échelle beaucoup plus grande, indispensable à l’efficacité des aménagements à conduire pour éviter la reproduction sans fin des catastrophes humaines et matérielles à chaque cyclone.
Il est plus qu’urgent de relancer le reboisement à grande échelle à travers le pays et de repenser l’aménagement du territoire.
Nous souhaitons seulement diffuser une expérience originale et porteuse. Il faut bien commencer quelque part.
Où ? Discutons-en autour de la maquette en 3 dimensions. Quand ? Dès que tous les acteurs, en particulier les élus et autres représentants des ministères acceptent d’ouvrir le dialogue, de se rendre autour de la maquette et qu’un premier consensus se dégage.
Mais pour que des actions concrètes s’en suivent, qui portera la responsabilité, assumera les efforts et les coûts liés à la réhabilitation du territoire ?
Le reboisement oblige la diminution des surfaces cultivées.
Certes, la production agricole peut s’intensifier et se concentrer dans des zones propices, oui la plantation d’arbres à valeur économique peut être très rentable. Mais, comment la population rurale peut-elle volontairement participer à l’effort national, si cela implique pour beaucoup, dans un premier temps, une diminution de leur exploitation, production et revenus ?
Est-ce les paysans, oubliés de tous, payant déjà le prix de leur marginalisation, qui supportent la production nationale tant bien que mal, qui devront encore payer les coûts et faire des sacrifices ?
Il ne semble pas réaliste que la population rurale suive, s’il n’y a pas de compensation des pertes prévisibles.
Alors à qui incombe de supporter tous ces efforts à venir ? Le secteur privé ? L’aide internationale ? L’Etat ?
La mobilisation générale est indispensable, avec la bonne volonté de chacun et des prises de décision rapides. Sinon, l’ampleur de la tâche ne pourra être relevée.
Jacmel, le 20 septembre 2008
Florian Delerue (f.delerue@avsf.org)
Assistant technique AVSF-CROS