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Haïti-Québec-Musique :Rachelle Jeanty, une voix qui fait vibrer la francophonie

Par Nancy Roc

Soumis à AlterPresse le 20 août 2008

Elle respire la jeunesse.

Pourtant, cette chanteuse québécoise d’origine haïtienne a une longue expérience, issue d’un riche parcours de collaboration avec des grands noms de la musique francophone : elle a été la choriste de Céline Dion, Eddy Mitchell, Véronique Sanson. Grande gagnante du concours Rythme FM - Le plus beau rythme du Québec, en première partie de Corneille -, elle fait vibrer des milliers de spectateurs avec ses chansons, notamment en première partie de Gino Vanelli en 2005 et en interprétant « Summertime » en duo avec Bob Walsh au Festival International de Jazz de Montréal la même année.

Il y a deux semaines, elle s’est lancée en solo avec la sortie de son premier album intitulé « D’Âme Soul » [1], un heureux jeu de mots qui lui est venu dans un rêve.

Rachelle Jeanty a performé sur la scène des Francofolies de Montréal le 2 août 2008. Un spectacle qui a failli être gâché par la pluie ! Mais, les prières de la mère de Rachelle semblent avoir eu raison du mauvais temps, et cette nouvelle dame soul garde un merveilleux souvenir de la véritable communion qu’elle a ressentie avec le public présent.

« Je me suis sentie écoutée et cela c’était super. J’ai des choses à dire à travers mes textes et j’ai remarqué que les gens y prêtaient attention. Les gens étaient vraiment avec moi et c’était formidable », nous a-t-elle révélé.

Ce premier album, enregistré au Studio Victor, se veut un opus rare. Rachelle s’est entourée de talents, comme Maurice Soso, Marc Bonneau, Denis Chiche, François D’Amour et de celui du réalisateur parisien Stéphane Le Navelan, a/k/a PIT, génie musical dont la feuille de route inclut Phil Collins, Alpha Blondy, Diziz La Peste et Doc Gynéco.

On retrouve même sur l’album, en duo avec la chanteuse, le seul et unique Boule Noire, [2] si touché par la version de son hit « Loin de la ville » revisité par Rachelle, qu’il a tenu à y poser sa voix.

Un album riche en talent, en émotion, en chansons solides à fort potentiel radiophonique et commercial, dont certaines cosignées par Frédéric Baron, Diane Cadieux ou encore Harvey Mason Jr (Justin Timberlake, Whitney Houston).

Sa carrière en solo promet, puisque son premier album a été sélectionné comme le disque de la semaine par un grand journal québécois. Quant aux animateurs culturels québécois, ils ne tarissent pas d’éloges : pour Francine Grimaldi de Radio Canada, la voix de Rachelle Jeanty « arrache l’âme » et le chroniqueur culturel du journal La Presse reconnaît en elle « tout le potentiel d’une star ».

La musique dans les tripes

« Quand je chante, j’y mets toutes mes tripes et, dans ces dernières, il y a beaucoup de vécu », affirme la chanteuse de 39 ans.

Et de fait, cette auteure-compositrice et interprète livre dans son album des chansons très intimes, telles que « Les poings sur les hanches », [3]le single choisi pour lancer l’album.

Pour Rachelle, ce titre décrit son parcours et est « une façon intéressante et authentique » pour le public de la découvrir.

« Le message dans cette chanson est important pour moi à partager. J’espère qu’il inspirera comme j’en ai rêvé », nous a-elle confié.

À travers « Sœur de sang », elle partage ses préoccupations pour la femme noire. Cette chanson lui a été inspirée par l’oscar remporté par Halle Berry, la seule femme noire qui ait obtenu un oscar à Hollywood depuis Dorothy Dandrige.

« Cela m’a fait réfléchir » souligne Rachelle, qui y dénonce aussi « l’obstination de certaines de nos sœurs à vouloir vivre par rapport aux critères de beauté du Blanc, quitte à endommager la sienne à force de crème éclaircissante, par exemple ».

Toutefois, avec le temps, elle s’est rendue compte que ce message s’adresse à toutes les femmes du monde qui ont souvent les mêmes réflexes.

Dans le titre « Sans Lui », on découvre la foi de l’artiste. Elle avoue ne pas être pratiquante, mais elle a une grande foi et revendique sa spiritualité.

Lui c’est Dieu : Il ne me laisse jamais seule
Je garde sa flamme
Et pour tous ceux qui le veulent
Je chanterai cette prière qui plane,

chante-t-elle dans cette composition à forte consonance gospel.

Rachelle dit adorer le gospel, même si elle n’en a pas fait souvent, et elle attend avec impatience le jour où elle pourra chanter « Sans Lui » dans une église.

Cette Dame Soul, arrivée au Québec à un an et demi, est québécoise, mais elle a conservé de la culture haïtienne « la foi, la joie naturelle et l’amour de Dieu, la dignité, la musicalité de notre musique et… le groove ! », s’exclame-t-elle.

La musique est dans ses tripes et dans son sang, puisque l’inoubliable Occide Jeanty était le cousin de son arrière grand-père. Son père, Constant Jeanty, a été un grand danseur et chorégraphe dans les années 1950.

Malgré tout, au début, elle a été obligée de cacher à ses parents qu’elle faisait de la musique. Après avoir fait des études en récréologie, la musique l’a rattrapée et, un soir de concert, son père lui a enfin donné sa bénédiction.

Un moment émouvant pour elle, puisque son père lui « a fait revivre la danse folklorique haïtienne à un moment où l’on s’en détournait ; il m’a donc transmis sa passion pour la danse et pour les rythmes racines. Toute petite, j’ai dansé et chanté dans sa troupe », dit-elle.

Optimiste de nature, pratiquante de méditation et de yoga, Rachelle a exprimé dans cet album « l’écœurement de la bassesse à laquelle l’être humain est capable de se rendre pour quelques sous et un brin de pouvoir » dans le titre « Nature humaine ».

Mais, quand on lui demande sa définition de la nature humaine, elle répond :

« elle peut être belle, motivante et unique comme elle peut être décourageante et frustrante de limites et d’erreurs de l’égo. Nous sommes tellement plus que ce corps, ces voitures, cette position, ce titre, et pourtant toute l’énergie que l’on dépense à vouloir les préserver, parfois au détriment du bien être des autres et du nôtre, jusqu’à s’entretuer même, est abasourdissante. On gagnerait à se connecter plus souvent sur notre nature spirituelle ».

Une pensée sur laquelle les Haïtiens devraient réfléchir…

Rachelle Jeanty rêve d’avoir une petite maison (« toute petite » précise-t-elle) près de la plage en Haïti et n’attend qu’une invitation pour venir chanter dans son pays natal, à qui elle dédie la chanson « Libre » :

« Plus forte que mes ennemis
Je suis arrivée jusqu’ici
Et j’ai payé le prix
Pour vivre cette vie
Dans la liberté (…)
Oser aller là où le rêve devient réalité
Affronter les ténèbres et en sortir illuminée ».

Rachelle Jeanty : une âme, des textes profonds, des messages, à découvrir absolument à travers la sensualité de la musique soul francophone et une voix de velours.

Nancy Roc, Montréal le 20 août 2008


[1Mile End Records

[2Décédé d’un cancer le 18 juin 2007, il a été une des figures marquantes des musiques dansantes des décennies soixante-dix au Québec.

[3À découvrir et à écouter sur www.myspace.com/rachellejeanty