Español English French Kwéyol

Haïti : développement et système de savoirs

(Notes de lecture)

P-au-P., 20 août 08 [AlterPresse] --- Ceux-là et celles qui souhaitent se départir de l’univers politique marécageux de ces derniers mois où les idées brillantes sont rarissimes peuvent se réfugier dans la lecture de « l’économie et ses fondements cognitifs en Haïti ».

C’est le titre du tout dernier ouvrage du docteur en économie Frédéric Gérald-Chéry, dont a pris connaissance l’agence en ligne AlterPresse.

Une réflexion dans la facture de celles que nous a habitué l’auteur, à travers notamment ses deux précédents ouvrages : « Société, économie et politique en Haïti (la crise permanente) » et « Discours et décision ».

Dans sa toute dernière étude, ce professeur d’université recourt à l’approche cognitive en économie pour tirer les arguments amenant à un constat des plus accablants.

Production et salarisation

« La société haïtienne n’est pas encore parvenue à se donner une conception de la production et du travail salarié afin de faire participer tous ses membres à la vie économique, notamment ses chômeurs ».

Parlant de chômage et de production, nous rappelons, après Fred Doura, que le taux de chômage et de sous-emploi chronique oscille entre 60 et 70% de la population active et que le pays dispose d’un appareil de production incomplet et d’une insuffisance de main d’œuvre qualifiée et de cadres.

Gestion de la monnaie

Frédéric Gérald-Chéry trouve absurde que l’administration économique haïtienne soit tournée autour de la seule gestion des finances publiques, négligeant par ainsi une approche de la gestion de la monnaie axée sur la production. Or, c’est cette dernière approche, de l’avis de l’auteur, qui pourrait servir de catalyseur pour les investissements et la création d’emplois.

Plus loin, après avoir pointé une lacune de taille de la société haïtienne, à savoir la non disponibilité d’un complexe et d’une densité des savoirs qui pourraient concourir à l’organisation de l’économie nationale, l’auteur se demande perplexe « pourquoi les membres de notre société chercheraient-ils à rejeter, même instinctivement, le savoir et l’immatériel qui sont aujourd’hui les principaux atouts du développement économique ».

Le poids du passé

Frédéric Gérald-Chéry analyse le poids du passé esclavagiste de la société haïtienne et de l’histoire de son système fiscal sur les attitudes des uns et des autres vis-à-vis de l’économie et tente d’expliquer, à travers l’approche cognitive, les blocages sociaux du développement en Haïti.

Les préalables

L’économiste épingle les recommandations superficielles faites généralement par les bailleurs de fonds à l’État haïtien et préconise une mobilisation et un questionnement du savoir ainsi que du substrat subjectif des individus comme préalables à la matérialisation de la réorganisation de l’administration et de la gestion de l’économie nationale.

Facteurs de blocage

Frédéric Gérald-Chéry pointe le mode de constitution du système fiscal haïtien comme un facteur de blocage pour l’évolution de la société haïtienne vers la connaissance de la totalité. Il rappelle plus loin que « l’accès à l’emploi ou à un revenu monétaire régulier est une modalité de participation du citoyen à la totalité qu’est l’économie nationale ».

Parmi les facteurs pouvant expliquer le dénuement de l’État haïtien en termes de « moyens cognitifs pour mener les réformes de l’économie et la prise en charge de sa population », l’auteur évoque la totale déconnection de la pensée collective de la notion de totalité des individus et les errements des militants politiques qui ne s’engagent pas dans la bataille pour l’emploi.

Exigences de la démarche cognitive

En conclusion de son livre, Frédéric Gérald-Chéry se demande si les acteurs impliqués dans les changements économiques et sociaux en Haïti sont bien imbus des exigences et de l’ampleur de cette démarche cognitive.

Il rappelle en ce sens que le capital étranger n’est pas une condition suffisante du développement. À la base de ce dernier se trouve, martèle-t-il, « une vision du monde qui imprègne la société en rendant possible le fait que la rationalité dans la gestion des biens économiques est acceptable par les individus ».

« L’économie et ses fondements cognitifs en Haïti » comporte pas moins de 218 pages réparties en onze chapitres. Ces derniers portent respectivement sur les finances publiques et les fondements cognitifs, la monnaie et le conservatisme en Haïti, la pensée d’État, la bourgeoisie et l’économie en Haïti, l’État pauvre, la pensée d’État et la société, la désarticulation de l’économie haïtienne, l’échec des projets économiques en Haïti, et la politique économique après 2004.

« L’économie et ses fondements cognitifs en Haïti » : un livre en totale rupture avec la posture conservatrice dans laquelle s’installe depuis des lustres la société haïtienne. [vs apr 20/08/2008 13:00]