Communication adressée à la délégation de OXFAM International à la XVIIème Conférence Internationale du SIDA à Mexico
Par Rose-Anne Auguste [1]
Document soumis à AlterPresse le 5 aout 2008
Je me propose de présenter un regard critique sur la gestion de l’épidémie du VIH/SIDA en Haïti dans son caractère actuel. Je vais m’introduire à l’aide de certaines données quantitatives auxquelles je peux prêter foi. Le but des données quantitatives citées est de présenter, en quelque sorte, le panorama de la situation du VIH en Haïti. Cependant, elles perdent leurs valeurs si nous négligeons le contexte social, d’un caractère particulier, dans lequel elles prennent corps. Ce contexte renvoie à l’environnement socio-économique et culturel, à la paupérisation croissante de la population, à la féminisation de l’épidémie, à la structure défaillante du système de santé, à la controverse dans la gestion du VIH/SIDA ainsi de suite. Ce sont des facteurs qui nécessitent notre regard dans le cadre de cette présentation. Je vais les considérer brièvement dans leurs particularités. Au terme de cet exercice, je tâcherai de formuler quelques recommandations susceptibles de contribuer au redressement de la situation qui sera décrite.
L’épidémie du VIH/SIDA constitue encore une préoccupation majeure en Haïti. Malgré sa tendance orientée vers la stabilisation, une enquête sérologique réalisée à l’échelle du pays révèle un taux de prévalence de 2,2% pour l’ensemble de la population. L’épidémie a un caractère omniprésent dans la société. Cependant, elle se situe en proportion alarmante chez les individus de sexe féminin : 115 femmes pour 100 hommes. En l’année 1988, l’infection touchait 6 hommes et 1 femme et 1 homme pour 1 femme en 2002 (EMMUS-IV, 2006). Pour l’année 2007, le nombre d’individus infectés s’élèverait à : 109 116 pour les adultes âgés de 15 ans et plus, de 5 888 enfants âgés de 0-14 ans. Le nombre de décès annuels serait de 8 109 tous âges confondus. Les nouvelles infections attendues sont estimées à 12 499 (UNGASS Haïti, 2008).
De manière non apparente, ces données sont liées au contexte social décrit précédemment. Elles sous-tendent que la société haïtienne est fortement marquée par l’inégalité de genre, la marginalisation, la pauvreté, les comportements stigmatisants et discriminatoires. De telles attitudes sont entretenues dans les relations entre les acteurs à l’intérieur de la société. Leur maintien dans l’environnement socio culturel à des degrés divers constitue des facteurs de risque (OPS 2007, UNGASS Haïti, 2008). Du point de vue socio-économique, le récent phénomène d’inflation, qui vient s’ajouter aux précarités antérieures, renforce les risques dans cette société où 80% de la population ne disposent que de 32% des revenus. Ce contexte caractérisé par la pauvreté expose certainement la plupart des individus au contact du VIH surtout ceux qui se prostituent pour leur survie.
Le système de santé s’éloigne de plus en plus d’une approche de santé intégrale et adéquate. Le taux de décès maternel ne cesse d’augmenter passant de 523 à 630 décès pour 100 mille naissances vivantes. Cette défaillance est attribuable, en grande partie, à une vision très floue sur les problématiques de santé et les moyens d’y remédier de la part des acteurs concernés. En somme, le secteur de la santé, par ses pratiques, perdent de vue la dynamique de l’épidémie dans le pays. Cela peut expliquer la vulnérabilité de la population considérée à travers les jeunes, les travailleurs sexuels, les femmes défavorisées et l’ensemble des comportements observables.
Près de la moitié des individus de la population haïtienne est âgée de moins de vingt ans. 12% des adolescentes de moins de vingt ans ont déjà donné naissance à un enfant (EMMUS-IV). Cela témoigne de leur initiation précoce dans des activités sexuelles. La prévalence du VIH chez les 15 à 19 ans est estimée à 0,9% et de 2,3% dans le groupe des jeunes femmes de 20 à 24 ans. Les travailleurs sexuels, les personnes homosexuelles, les utilisateurs de drogues intraveineuses sont, quant à eux, en situation précaire et constituent une catégorie particulièrement à risque. De plus, la très faible utilisation des méthodes basées sur des preuves scientifiques en matière de communication sociale indique que les stratégies de prévention s’ajustent mal à la dynamique actuelle de l’épidémie.
Ce tableau présenté sur la dynamique du VIH en Haïti, depuis son émergence dans les années 80, est évalué par certains acteurs dans leur sphère de qualification propre. La plupart d’entre eux apportent leurs contributions à la lutte contre l’épidémie en privilégiant une prise en charge plus complète de ses multiples aspects. Leur plaidoyer pour un engagement de l’État et de la société civile dans la lutte contre la pandémie a été particulièrement déterminant. Un niveau d’engagement manifeste se concrétise, se matérialise chaque jour davantage (UNGASS Haïti, 2008). Des campagnes d’IEC (Information, Éducation et Communication) sont entreprises pour permettre à la population de prévenir la dissémination de l’infection. L’accès aux ARV est bien plus abordable depuis environ cinq années et des efforts sont déployés pour offrir une gamme de soins plus complète avec la prise en charge des infections opportunistes et un suivi médical. D’autres améliorations sont notables comme celles des dépistages volontaires.
Toutefois, certains défis persistent encore aujourd’hui. Citons : la faible extension du dépistage du VIH, la protection des personnels de santé et l’accès universel au traitement, la prise en charge de la violence sexuelle. Le ratio sites ARV/PVVIH pour l’ensemble du pays est de 1 site pour 3804. Le traitement aux Anti-rétroviraux n’est disponible qu’à travers 14%1 des institutions sanitaires du pays. L’allocation des ressources pour offrir ce service se fait en marge de conditions objectives. Pour l’ensemble du pays, il existe un site de CDV au 171 kilomètres carrées. Malgré une tendance à la ruralisation de l’épidémie, il n’existe que très peu de CDV en milieu rural. La protection des professionnels de prestation de soins exposés aux risques d’AES n’est garantie que dans très peu d’institutions. Les victimes de ces accidents ne sont pas informées de la conduite à tenir ni des points de services. L’aspect pris en compte se réduit à la sécurité des injections et la gestion des déchets.
La restructuration et la réorientation de l’offre de services liés au VIH/SIDA deviennent nécessaires. La prise en charge du VIH/SIDA n’étant pas incluse de manière systématique dans la formation de base des personnels de santé, l’essentiel de cette formation est acquis en cours d’emploi à travers des séminaires. Outre la multiplicité d’intervenants, la parcellisation des soins et le mode d’intervention (vertical) des activités de lutte contre le VIH/SIDA, constituent des obstacles majeurs à l’intégration des services de dépistage aux activités routinières des institutions de prestation. Les soins et les traitements dépendant totalement du financement extérieur, la pérennisation des interventions doit passer nécessairement par une approche globale de prise en charge du VIH/SIDA.
Finalement, par sa brièveté, ce regard sur la situation de l’épidémie du VIH/SIDA en Haïti suscite quelques recommandations susceptibles d’aider à une tentative de redressement. L’une d’elles serait de repenser de façon urgente les politiques de santé dans ce pays. Cela pourrait entraîner la réorientation de la coopération en santé, la réorganisation du système de soins afin que ceux-ci soient géographiquement accessibles de manière ininterrompue, l’évaluation des approches de recherche en santé dans le pays, la démystification des biotechnologies médicales, l’implication des groupes féministes et des PVVIH dans les instances décisionnelles de la gestion du SIDA, une digne cohabitation entre la médecine traditionnelle et la médecine scientifique, des stratégies significatives pour rétablir la souveraineté alimentaire [2] dans le pays, en dernier lieu, la construction d’un espace interdisciplinaire de chercheurs pour assurer le suivi de ce nouveau cadre interprétatif.
[1] Intervenante communautaire
M.Sc. Gestion des Services de santé
Doctorante en Sciences humaines appliquées
Invitée de OXFAM International
À la XVIIème Conférence Internationale du SIDA
Mexico City, 4 août 2008
[2] Les stratégies pour la souveraineté alimentaire d’Haïti doivent prendre en compte les facteurs considérés dans le modèle causal modélisé en annexe. La crise alimentaire constitue un facteur de risque important à la prise en charge des PVVIH.