Note de la communauté universitaire à l’attention des parlementaires de la 48e Législature
Document soumis à AlterPresse le 17 juillet 2008
La communauté universitaire suit avec beaucoup d’attention et d’intérêts l’évolution de la situation politique et l’ensemble des positions qui se sont exprimées autour de la désignation de Madame Michèle Duvivier Pierre-Louis au poste de premier ministre.
La communauté universitaire estime qu’il est normal qu’émergent, dans une société qui cherche sa voie vers la démocratie, des conflits de valeurs et d’intérêts. Ainsi, comme toutes sociétés en pleine mutation démocratique, la nôtre n’est pas à l’abri de la crise des interprétations que peuvent susciter les échelles de valeur. Aussi, même si elle ne les partage pas, la communauté universitaire comprend la logique de chacune des prises de position et croit que l’une des prérogatives d’une société axée sur les valeurs de liberté et d’égalité est de garantir un espace ouvert à tous les points de vue.
Dans ce sens, la société se doit, dans sa dynamique d’évolution, de se doter des moyens de l’équilibre démocratique dans le respect non seulement des positions individuelles, mais aussi et plus fondamentalement, dans le respect des principes de l’État de droit.
Nous savons, en outre et au moins depuis Max Weber, que toute action dans une société, « peut s’orienter selon l’éthique de la conviction ou selon l’éthique de la responsabilité ». Si les croyances et valeurs individuelles peuvent relever d’une certaine éthique de conviction, seule une éthique de la responsabilité garantit le sens du réparti politique qui caractérise l’État de droit. En effet dans toutes sociétés, « les maximes de convictions » peuvent être totalement différentes et irréductiblement opposées d’un individu à un autre. Ainsi, devant la possibilité « d’opposition abyssale » des éthiques de conviction, seule une éthique de responsabilité peut répondre à une consolidation de l’intérêt collectif.
De ce fait, la communauté universitaire tient à exprimer une certaine inquiétude devant la possibilité de voir certains parlementaires faire intervenir une éthique de conviction à des fins de délibération politique et s’écarter ainsi des prescrits de la constitution et fragilisant du même coup, les bases déjà trop faibles de l’État de droit en Haïti.
La communauté universitaire s’inquiète que les croyances, convictions ou morales individuelles puissent se substituer aux règles juridiques clairement établies pour la ratification d’un premier ministre. Dans un État démocratique, le sens éthique et moral à promouvoir ne peut être qu’une éthique de la responsabilité dont l’expression réside dans la transcendance des particularismes, la tolérance, l’ouverture, le respect de la différence et de la liberté, le sens de l’égalité, de l’équité et de l’intérêt collectif.
Nous pensons qu’il est impératif que les éthiques de conviction n’étouffent pas l’éthique de la responsabilité, qui seule rend possible, dans l’espace public, la cohabitation des différences et la résolution des divergences.
Nous appelons donc les parlementaires au strict respect de la responsabilité procédurale qui leur incombe légalement dans le processus de ratification du premier ministre désigné. Nous ne pouvons que souhaiter, à ce tournant historique, que certaines éthiques de conviction ne nous conduisent pas à un déni de la démocratie et du respect des règles démocratiques.
A ce moment crucial où notre pays est en proie à des émeutes de la faim et où le crime se banalise, plus que jamais les parlementaires doivent assumer leur responsabilité politique devant la nation. La ratification d’un premier ministre répond à des exigences constitutionnelles précises. C’est seulement au regard de ces exigences que se joue l’éthique de la responsabilité. Aucune allégation – soupçon, supputation ou rumeurs de quelque nature que ce soit – ne saurait ni légalement ni démocratiquement déterminer un vote négatif à l’encontre d’un premier ministre désigné, si ce n’est que dans la mesure où cette allégation indique une violation des prescrits constitutionnels.
L’État a des lois, et ses institutions ont des codes de déontologie. Mais l’État n’a pas de morale officielle fondée sur une religion, des croyances ou une quelconque vérité révélée. La communauté universitaire souhaite rappeler aux parlementaires que, quoi que puissent être leurs appartenances religieuses, leurs croyances ou convictions, ils sont les parlementaires de la République et de la République seulement. La seule éthique souhaitable et démocratiquement nécessaire pour un État de droit est une éthique de l’intérêt commun, c’est-à-dire une éthique qui, a priori et par définition, ne privilégie aucune morale particulière, mais qui les transcende toutes. Dès lors, nous attendons des parlementaires qu’ils agissent en fonction de l’éthique de la responsabilité et des lois de la République et non suivant leurs éthiques de conviction et d’une quelconque appartenance particulière.
L’histoire de notre pays nous enseigne que des épisodes d’exclusion au motif de campagne anti-superstitieuse, ont été sauvagement orchestrés contre une partie de la population par des tenants d’une certaine éthique de conviction. Si nous devons respecter les convictions, il nous faut aussi rester vigilants quant à la possibilité de leur usage dans l’espace public à des fins d’exclusion, de matraquage ou de lynchage politique. En effet, si les morales commandent les préférences individuelles, seul le droit, in fine, décide.
La communauté universitaire invite les parlementaires à prendre la mesure de la gravité de la situation économique et sociale du pays et à ne pas prendre leurs points de vue individuels comme mesure de moralité sociale collective au détriment des intérêts majeurs de la collectivité. L’éducation morale pour une société démocratique est avant tout une pédagogie du respect de la différence et de la responsabilité de chacun envers la collectivité.
Comme indiqué ci-devant, nous pensons que la conviction de chacun mérite respect et de ce fait, nous croyons que c’est du devoir de la communauté universitaire de garantir cette pédagogie de respect, de tolérance et de pluralité, axée sur le sens de la responsabilité et l’esprit critique.
Par ailleurs, nous prenons acte que la candidature de Madame Michèle D. Pierre-Louis a le mérite de réunir chez une seule et même personne de la compétence, une expérience de travail avec toutes les couches sociales du pays, une personnalité à l’abri des pratiques de corruption qui ont longtemps gangrené la nation, une grande exigence éthique et professionnelle, une véritable ouverture sur le monde international, et une volonté de rassemblement de toutes les tendances démocratiques de l’échiquier politique.
Mesdames, Messieurs les parlementaires, le pays attend de vous le geste le plus significatif de l’éthique de la responsabilité : la primauté de l’intérêt collectif et du bien commun. L’histoire prendra acte de votre capacité à transcender les particularismes et de votre sens de l’histoire.
1) Jean Vernet Henry
2) Fritz Deshommes
3) Wilson Laleau
4) Christian Rousseau
5) Rudolphe Mallebranche
6) Janin Jadotte
7) Josué J. Pierre Dahomey
8) Yves Dorestal
9) Pierre Vernet
10) Bérard Cénatus
11) Jacques Gourgues
12) Luc Joseph Pierre
13) Vertus Saint-Louis
14) Jean Marie Théodat
15) Fritz Calixte
16) James Darbouze
17) Kerline Devise
18) Lionel Trouillot
19) Edelyn Dorismond
20) Jhon Picard Byron
21) Renel Exentus
22) Nixon Calixte
23) Wilson Jabouin
24) Thélot Fils-Lien
25) Jean Eddy Saint Paul
26) Darline Alexis
27) Guy Maximilien
28) Yves Déjan
29) Faubert Bolivar
30) Marie Ensie Paul
31) Darline Cothière
32) Schallum Pierre
33) Leslie J. R . Péan
34) Glodel Mézilas
35) Evelyne Trouillot
36) Olsen Jean Julien
37) Jorès Philippe
38) Michel Acacia
Personnalités d’universités à l’étranger travaillant avec la communauté universitaire d’Haïti :
Robert Chaudenson, Professeur émérite (Paris)
Salikoko Mufwene, Université de Chicago (USA)
Pierre-Henri Tavoillot, Sorbonne (Paris)
Michel Degraff, MIT (USA)
Dominique Fattier, Professeure (Paris)
Daniel Véronique, professeur (Marseille, France)
Bogumil Jewsiewicki Koss (Québec, Canada)
Marie Meudec, Université Laval (Canada)
Alain Deneault, Université du Québec à Montréal (Canada)