Mise en contexte
Par Vario Sérant
P-au-P., 27 sept. 03 [AlterPresse] --- Alors que la polémique enfle en Haïti entre pouvoir et opposition autour de l’assassinat suspect du tout puissant chef de bande pro-lavalas, Amiot Métayer, et que les alliés de celui-ci clament, à coup de manifestations enflammées, leur rupture avec le président du 26 novembre, Jean Bertrand Aristide magnifie, au siège de l’ONU, à New-York, les vertus de la paix et la liberté.
Au moment où le chef de l’Etat haïtien prononce ce discours, ce 26 septembre, la ville des Gonaïves vit sa quatrième journée de tension qui se solde par un mort (Joseph Elisé, 21 ans) et environ six blessés dont un enfant de six ans qui jouait près de sa maison.
« Pour vivre libre et vivre en paix, il faut éradiquer la violence d’où qu’elle vienne. Que luise enfin une ère de paix au Moyen Orient, en Afghanistan, en Afrique, en Asie, en Irak, partout où les guerres infligent à l’humanité d’indicibles souffrances », s’exclame le président lavalas.
Jean Bertrand Aristide n’a pas cité Haïti dans cette énumération. Peut-être parce que nous sommes la terre de la paix et de la liberté. Et peut être aussi, parce qu’on n’est pas encore en 2004. Oyez plutôt !
« Le 1er janvier 2004, ce sera la fête de tous les noirs et de tous les blancs amoureux de la liberté. Ce sera la fête de tous les peuples assoiffés de liberté et de paix. Aussi, voulons-nous passer par ce bicentenaire de liberté pour atteindre un millénaire de paix », dixit Jean Bertrand Aristide. Et c’est réglé, n’est-ce pas ?
Le peuple haïtien aurait bien voulu avoir le coeur en fête comme le chef de l’Etat et vivre sur la même planète que lui. Connaître une situation différente en matière de droits humains où les conditions sont caractérisées par la dégradation continue, comme l’a souligné l’expert indépendant des Nations-Unies pour Haïti, Louis Joinet, dans un rapport présenté à Genève, le 17 avril 2003.
C’est un tableau tout aussi hideux qu’a dressé une délégation de la commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH), le 22 août 2003, à l’issue d’une visite d’information de quatre jours en Haïti.
Lors d’une conférence de presse à Port-au-Prince, le deuxième vice-président et rapporteur pour Haïti de la CIDH, Klare kamau Roberts, s’est dit alarmé par l’existence de groupes armés agissant en dehors de la loi et par l’échec de l’Etat à garantir la sécurité des citoyens dans certains endroits, ainsi que son inefficacité à mettre fin à l’impunité et à résoudre certains dossiers, dont les assassinats des journalistes Jean Dominique et Brignol
Lindor.
Le leader lavalas a profité de la tribune des Nations-Unies pour glorifier Toussaint Louverture, l’apôtre de la liberté, qui lui ressemble tant d’ailleurs, selon la propagande lavalassienne. « Deux hommes. Deux siècles. Même vision », pouvait-on lire à l’occasion du bicentenaire de la mort de Toussaint Louverture, le 7 avril dernier, au bas d’un poster (officiel) géant, à l’effigie des deux hommes, dans certaines rues de Port-au-Prince.
Dans le contexte du bicentenaire de liberté devant amener à un millénaire de paix, tel que décrit par Jean Bertrand Aristide à l’ONU, Haïti, a-t-il dit, « vise un développement durable permettant d’atteindre les objectifs du millénaire adoptés en l’an 2000 par les chefs d’Etat et de gouvernement du monde ».
Les dirigeants du monde envisageaient, au sommet du millénaire, la réduction de moitié, d’ici 2015, du pourcentage de la population mondiale, dont le revenu est inférieur à un dollar par jour.
Dans l’édition 2002 de son rapport consacré à la situation économique et sociale d’Haïti, le programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) a souligné « l’enlisement d’Haïti dans une crise multiforme qui l’entraîne inexorablement sur la trajectoire fatale du déclin économique et l’enfonce davantage dans la spirale descendante de la misère ». Le dit rapport a entre autres suggéré de jeter les bases d’un développement durable.
A l’ONU, Jean Bertrand Aristide a donné l’impression de mesurer aussi l’ampleur de la situation. « En Haïti comme ailleurs, pour atteindre les objectifs du millénaire, l’exercice du pouvoir implique le respect des libertés fondamentales, la tolérence, la bonne gouvernance, la lutte contre la corruption, le trafic de la drogue et l’impunité, l’investissement dans l’humain, la sécurité pour tous et la tenue d’élections libres, honnêtes et démocratiques », a précisé le chef de l’Etat haïtien.
L’étude du PNUD sus-mentionnée s’est interrogée, à la lumière d’un ensemble de facteurs de l’année 2002, sur l’état d’avancement réel du projet d’instauration et l’institutionnalisation d’une démocratie moderne en Haïti, et a soutenu que le pays est en pleine crise structurelle de transition.
La situation socio-économique désastreuse d’Hati décrite fréquemment par divers rapports nationaux et internationaux ne semble pas dérouter Jean Bertrand Aristide. « Appauvrie, mais consciente de ses richesses humaines, culturelles et historiques, Haïti brille au-delà des ténèbres de la colonisation comme un phare de la liberté. La première République nègre du monde est et demeure le pivot géographique de la liberté des noirs », a lancé le président lavalas à l’ONU.
Dans la foulée de cette « percée Louverturienne », Jean Bertrand Aristide a invité les participants à la cinquante-huitième session de l’assemblée générale des Nations-Unies à prendre part à la célébration du bicentenaire de l’indépendance.
A propos de célébration, dans une interview au mensuel martiniquais « Ase Plere Annou Lite », parue en septembre 2002, l’écrivain haïtien Franck Etienne a fait savoir qu’en guise de préparation, « nous sommes encore au stade de la « danse folklorique », du « tonbe leve », du « vire tounen ».
Pour sa part, dans un discours prononcé le 30 juin 2003, deux jours avant l’ouverture de la vingt-quatrième rencontre régulière des chefs d’Etat et de gouvernement de la communauté économique de la Caraïbe (CARICOM), le président sud-africain, Thabo Mbeki, avait entre autres fait le commentaire suivant :
« Quand nous disons l’histoire de la révolution haïtienne, nous ne devrions pas nous arrêter à la glorieuse victoire de 1804. Nous devrions également parler de ce qui s’est produit après, de ce qui s’est produit après que la diaspora africaine ait donné aux Africains de partout le grand cadeau de la première république noire d’Haïti ».
Thabo Mbeki de poursuivre : « A cet égard, nous devons reconnaître que les révolutions américaine et française ont réussi à créer les conditions du développement des américains et français, tandis que tel n’a pas été le cas d’Haïti. En effet, ce pays a pris une voie diamétralement opposée à celle du développement », fin de citation.
Ces commentaires, récents, ne font pas frémir Jean Bertrand Aristide. Le leader lavalas est rentré satisfait à Port-au-Prince, ce 27 septembre, de sa « prestation » aux Nations-Unies. « Haïti était à l’honneur », a-t-il lancé lors d’une « conférence de presse » à l’aéroport international Toussaint Louverture. Ceci nous encourage à préparer « janvier 2004 avec encore plus de conviction et de détermination », a conclu Jean Bertrand Aristide. [vs apr 27/09/2003 18:00]