Document soumis à AlterPresse le 3 juillet 2008
A chaque fois qu’une femme se distingue en politique ou est amenée à assumer un poste de décision, le débat est ramené automatiquement à son être social, à son genre. En dépit des conventions signées par les Etats, et malgré certaines avancées la question de la présence des femmes au pouvoir constitue un dilemme. Elle prend la forme d’un combat contre la socialisation différenciée selon le sexe et la domination masculine. Conditionnés par le système patriarcal, les hommes ont tendance à se rattacher aux privilèges que leur confère la masculinité. C’est comme si ils se sentaient déclassés, refoulés, et déchus d’un pouvoir qu’ils ont détenu depuis des siècles et qu’aujourd’hui ils étaient contraints de partager.
La désignation d’une femme au poste de cheffe de gouvernement haïtien est une occasion pour approfondir la réflexion sur les stéréotypes sexistes en politique. Le déferlement d’insultes à son encontre et l’indexation de son mode de vie mettent une fois de plus en relief cette peur des hommes de découvrir la suprématie des femmes qualifiées et compétentes dans la gestion des affaires publiques ou privée.
Stéréotypes sexistes en politique, expression manifeste de la volonté d’exclure
L’usage des stéréotypes sexistes est l’expression manifeste de la peur des hommes de partager en toute équité ou de céder démocratiquement en fonction de critères tels les qualifications académiques et les capacités intellectuelles des espaces de pouvoir à des femmes compétentes aux qualifications éprouvées. Aussi, la bataille contre les stéréotypes sexistes prend-t-elle toute sa dimension en questionnant ce refus du partage.
Les stéréotypes sexistes deviennent l’arme privilégiée des hommes (et des femmes) politiques conservateurs contre les besoins de parité exprimés par une société en quête de renouveau. Les tenants-es d’un certain conservatisme veulent à tout prix maintenir les inégalités en s’appuyant sur la négation des droits des femmes d’être présentent dans les espaces de décision. Il ne s’agit guère là d’une lutte personnelle entre hommes et femmes, mais bien de préjugés malsains, de pratiques surannées de domination masculine dans une société composée pourtant d’hommes et de femmes.
Traitement différencié
La politique est et reste, pour le moment, une "affaire d’hommes". Les femmes y sont considérées comme illégitimes.
Les préjugés nés de la société patriarcale affirment que le pouvoir est masculin. La politique fonctionne donc comme un refuge de la masculinité. Les hommes politiques sont hostiles à sa féminisation. Une longue tradition de domination masculine a favorisé chez les hommes l’émergence de réflexes de frères prompts à défendre leurs places et leurs privilèges : depuis toujours, "les hommes ont fait de la politique entre eux. Ils ont ainsi défini une culture, des usages, un langage que l’intrusion des femmes perturbe. Ils ont fondé une république des frères, un fratriarcat que la présence des femmes remet en question" (Françoise Gaspard - 1995, « Des partis et des femmes », M. Riot-Sarcey éd., Démocratie et représentation, Paris, Kimé)
Les femmes politiques éprouvent des difficultés. "Toute femme qui fait de la politique éprouve un jour ou l’autre, le sentiment d’être une intruse dans un microcosme dont elle découvre que les codes lui échappent et les usages la marginalisent", (Françoise Gaspard)
Elles occupent très souvent les ministères de l’Education, de « Condition Féminine », de la Culture, des Affaires Sociales... en prolongement de leur rôle social de responsable de la reproduction Les ministères de l’Intérieur, de la Planification, des Affaires Etrangères, de l’Economie et des Finances sont généralement réservés aux hommes, (sauf exception en 1991 et 1995). En Haïti aucune femme n’a dirigé les ministères de l’Agriculture et des Travaux Publics. Ce cantonnement des femmes dans des domaines traditionnellement féminins les relègue dans des zones déclassées et déclassantes du champ politique. Les hommes monopolisent la quasi-totalité des postes prestigieux et régaliens (la défense, l’intérieur, la diplomatie, les affaires économiques). Aux femmes les rôles familiaux et aux hommes les rôles magistraux et hautement politiques. Les fonctions qui leur sont attribuées répondent à une division sexuée du travail traditionnel.
Les femmes élues se plaignent du fait que leur parole ait moins de valeur que celle des hommes. Elles doivent en permanence apporter la preuve de leur légitimité à exercer le pouvoir lié à leur fonction, montrer qu’elles sont à la hauteur et qu’elles "méritent" leur place ce, non seulement auprès de leurs collègues masculins, mais aussi auprès des citoyens et citoyennes.
L’appellation
L’exclusion des femmes a une évidente dimension symbolique. Sur le plan linguistique, l’usage de « Mme le » atteste leur inexistence, leur impossibilité ou leur incongruité. La féminisation se heurte à un refus presque hystérique de toute « profanation » de la langue française. C’est en effet un processus de sacralisation qui appuie la monopolisation du pouvoir par les hommes. Les signes identitaires de la féminité sont jugés déplacés dans l’univers politique
La langue, instrument de communication par excellence, n’est nullement innocente. Et le langage utilisé -en milieu professionnel- charrie souvent un mépris certain à l’endroit des femmes et de la fonction qu’elles occupent. Il est plus que courant d’entendre l’expression créole « Madanm nan », « Madanm sa a » pour désigner une femme en poste ou briguant un poste de décision. Même si la femme en question détient un titre académique il est relégué au profit d’expressions apparemment neutres mais chargées de sous-entendus stéréotypés. Et au cours des débats, les hommes ne se privent pas d’affubler les femmes de tous les noms d’oiseaux surtout lorsque ces dernières affichent leur fortes personnalités et marquent des points indéniables.
La sexualité
Les femmes politiques doivent faire la preuve de leur féminité à travers le statut d’épouse et de mère. De fait, les femmes promues candidates sont généralement mariées et ont des enfants. Aux yeux de la société, l’image de la mère de famille est la plus porteuse. La politicienne a rempli sa mission première de femme. La célibataire et la femme sans enfants sont soupçonnées de ne pas être de "vraies femmes". Elles sont exposées aux indiscrétions, aux interrogations sur leur vie privée. Il s’agit de vérifier la conformité aux normes sexuelles établis et d’user prétexte à l’exclusion contrairement aux principes antidiscriminatoires consacrés par des lois, conventions et traités.
De manière générale, la sexualité des femmes fait peur. La société s’arroge le droit de mettre en place tout un train de mesure pour la contrôler. Aussi, en politique une attention particulière est portée sur ce sujet. De la hypersexuelle à la « célibataire mariée à la politique » toutes les femmes en politique rencontrent des problèmes de genre qui trouvent racine dans les mythes associés à leur sexualité.
Conclusion
L’égalité femmes-hommes est une valeur, un objectif et un droit consubstantiel à la démocratie. Il importe de souligner que les inégalités sont un processus vivant qui se recompose en permanence sur fond de stéréotypes. Il s’agit d’une construction sociale à laquelle nous participons tous-tes. Il nous faut en prendre conscience et nous impliquer activement pour freiner le processus. Le principe de l’égalité femmes / hommes se passe de justification.
La contribution sociale des femmes ne peut se limiter aux rôles familiaux et maternels. Les femmes qui ont développés les capacités et la personnalité nécessaires pour entrer dans l’univers concurrentiel de la politique, ne devraient pas être les proies des préjugés séculaires entretenus sciemment. La valeur des femmes, et des hommes, en matière politique, doit reposer sur des qualités intrinsèques à la fonction briguée ou occupée et en conformité aux lois régissant la matière.