Extrait de la revue La Machette
Par Gahston Saint-Fleur [1]
Soumis à AlterPresse le 3 juillet 2008
La décision des autorités de l’Union Européenne (UE) d’expulser les « immigrants non autorisés » -pour reprendre cette expression de Fidel Castro dans sa réflexion du 20 juin dernier dans une traduction littérale provenant de l’Amérique Latine - aura ses effets dans l’île. L’on doute fort que la condamnation de cette décision par presque tous les chefs d’État de la région puisse remédier à la situation. Ainsi, malgré l’intervention des hommes comme l’ancien évêque élu président de la république du Paraguay, Monseigneur Fernando Lugo, le président vénézuélien et son pétrole comme arme, le mécanisme est déjà lancé. La crise alimentaire qui prédomine sur la scène internationale ne serait-elle pas le mobile de la décision des Européens ? Ou s’agirait-il d’une décision de l’UE de continuer à faire couler la mamelle en faveur des petits pays récemment devenus membres de l’Union ? Peu importe, l’Amérique latine devra se préparer pour accueillir les siens et s’attendre aux effets contagieux de cette décision.
Cette crise alimentaire mondiale va intensifier le cercle vicieux qui existe déjà entre les pays d’accueil et d’origine des migrants. Les premiers vont activer de manière plus ardente le renvoi des étrangers en statut irrégulier pour réduire la force de la pénurie alimentaire –en ce sens, l’Union Européenne ne fait que sonner la cloche. Alors que dans le camp des seconds, cette même pénurie va se multiplier et entrainer une motivation avec beaucoup plus de force le phénomène migratoire, peu importe si l’on risque être et avoir. En plus de se priver de la force économique que représentent ces immigrants, les pays d’origine seront obligés de les nourrir. Ce qui, avant, servait d’atténuation au point de vue économique pour ces pays va se convertir, sans le vouloir, en une charge de la même sorte. À chacun de gésir dans la sueur de son front.
Sommes-nous sur le point d’assister à un phénomène de « démondialisation » ? Loin de là, car la mondialisation s’affichait toujours dans sa sélectivité : seuls se mondialisent les mondialisables. Cette « mondialisabilité » - ’on nous permet ces expressions - est procédurale et constante. Elle ne se donne pas une fois pour toute dans cette « modernité liquide », pour emprunter cette expression d’une œuvre éponyme de Zygmut Bauman. Telle est la situation en face de laquelle se trouve Haïti, pays immigrant. Telle est aussi la situation de la République dominicaine, pays d’accueil et de départ de migrants haïtiens. Souhaitons que les autorités concernées comprennent l´envergure de la situation pour apporter des médicaments proportionnels à la gravité de la maladie.
La réunion récente du président dominicain avec l’ambassadeur américain accrédité à Santo Domingo sur le thème migratoire, et son intention de continuer à se réunir avec des autorités de certains pays récepteurs d’immigrants, nous porte à penser que cela pourrait déboucher sur un processus de rapatriement massif d’Haïtiens du territoire dominicain. Il faut reconnaître que le rapatriement n´était jamais suspendu, au contraire. Nous ne devons pas écarter le côté détendu de ce phénomène qui, pour bon nombre d´Haïtiens, n´est qu´un « roulib pou n´al vizite lakay » selon le témoignage de l´un d´entre eux. De toute façon, l’on doute de la préparation du gouvernement Préval pour faire face à cette situation. Dans le cas dominico-haïtien, il nous faut préciser que la décision des Européens ne fait que motiver une idée que l´on nourrissait bien avant.
Que Leonel Fernández ait profité des scènes de la FAO, de la CEPAL entre autres, pour demander de l’aide en faveur d’Haïti, l’on ne devrait pas se précipiter à blâmer ni non plus à louer l’action. Contrairement à l’opinion de certains députés du Parti de la Libération Dominicaine (PLD) et du groupe auto-proclamé Concertation des Parlementaires Progressistes (CPP) en Haïti, le réélu dominicain demande de l’aide en faveur de son pays. Cette aide consiste d’abord, dans son intention, de réduire à moins que de faire stopper la migration massive des nationaux haïtiens dans son territoire, puis de renvoyer une bonne partie de ceux qui y sont déjà dans des conditions irrégulières. C´est à partir de cela qu´il faut apprécier les interventions publiques du Nº 1 dominicain « en faveur » d´Haïti.
Préoccupé par la crise alimentaire mondiale de laquelle aucun pays n’est exempt, le président dominicain est entrain de prendre des mesures pour amortir les effets à l’intérieur de son territoire, à l´instar de certains pays du Nord dont ceux de l´UE. La gouvernance est déjà menacée dans son troisième mandat à commencer le 16 août prochain, par les revendications des médecins et des syndicats de transport public. Ces derniers ont tenté vainement de boycotter sa réélection à la magistrature suprême. Éduqué dans le pragmatisme américain, Leonel Fernández doit articuler connaissance intellectuelle et utilitarisme immédiat pour rendre possible la gouvernance durant son troisième mandat.
C’est à nous de faire le premier pas. Pour contrecarrer la crise alimentaire et ses méfaits collatéraux dans l´île, le gouvernement Préval devrait envoyer des négociateurs avisés pour entamer des pourparlers avec son pair dominicain sur la façon de gérer la crise de manière conjointe car, tout comme un rapatriement massif affecterait la gouvernance en Haïti, une entrée massive de nationaux haïtiens sur le territoire voisin ne serait pas sans méfaits. Chercher conjointement des éléments de solutions aux problèmes qui nous affectent pourrait réduire le nombre des incidents malheureux sur la ligne frontalière aussi bien qu’à l´intérieur du territoire dominicain.
[1] -Contact : chestedr@gmail.com.