Par Marie Visart
P-au-P., 03 juillet 08 [AlterPresse] --- Dans le cadre de la concertation nationale contre les violences faites aux femmes, Médecins du Monde, le Ministère à la condition féminine et aux droits des femmes (Mcfdf), Info-Femmes et la plate-forme Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (Garr), ont organisé une journée d’échanges autour des outils de sensibilisation et du matériel de communication pour la commission « Prévention et Communication ».
Tenu à Port-au-Prince, cet événement a été l’occasion de rappeler à chaque citoyenne et citoyen la nécessité de s’engager personnellement contre la violence faite aux femmes. Plusieurs recommandations ont été formulées en ce sens à la fin du mois de juin 2008, au cours d’une journée de sensibilisation à laquelle a assisté l’agence en ligne AlterPresse.
« Il a été demandé à tous les organismes qui travaillent sur ce sujet de se concerter, d’échanger, de mettre en commun les outils de communication pour permettre d’optimiser l’efficacité de nos actions. Des progrès ont été faits dans ce domaine, notamment grâce aux organisations de femmes qui travaillent avec le Ministère à la condition féminine », explique Carine Thibault de Médecins du Monde.
Pendant cette journée, chaque organisation tenait un stand présentant le panel des outils de communication en leur possession, livrets, affiches, tee-shirt, vidéo, etc..
S’agissant de Médecins du Monde, les outils de sensibilisation présentés sont axés autour de quatre thématiques : agression sexuelle, familiale, violence sur mineurs et un livret récapitulatif de toutes les formes de violence. Ces livrets sont confiés aux animateurs qui les distribuent au cours de leurs interventions de sensibilisation de la population.
« En tant qu’animatrice, je travaille avec ces outils dans les écoles, les églises. Etant une jeune femme, je me sens concernée et je veux participer à la construction du pays », précise Myrlande, étudiante en gestion et animatrice bénévole depuis plus de deux ans à Médecins du Monde.
En plus des livrets, Médecins du Monde a réalisé deux spots « nou bouke », qui traitent de la violence conjugale et « Fok nou pale », qui porte sur l’harcèlement dans le cadre professionnel.
« Dans le premier spot, la femme prend conscience qu’elle n’est pas un animal et qu’elle doit être traitée avec respect » souligne Myrlande.
Ces messages s’adressent aux victimes de violence pour les inviter à sortir de leur mutisme. Ces outils ont été conçus pour stimuler les gens, « pour empêcher les victimes de rester seules dans leur coin ».
Quant au Garr, il présentait une valise pédagogique, un outil de sensibilisation avec la communauté de base en leur permettant d’analyser la situation des femmes migrantes et les discriminations subies par celles-ci. Avec la valise pédagogique, le Garr propose un accompagnement des organisations avec lesquelles la plate-forme travaille pour leur permettre de comprendre comment utiliser cet outil.
Pendant la foire aux outils, ont été présentés les livrets conçus en français et en créole, que les animateurs distribuent après leurs animations. D’autres outils ont été également créés à destination des personnes qui ne savent ni lire ni écrire.
« Info-femmes a un centre de documentation, mais on a un nombre limité de production. Aujourd’hui, on travaille avec plusieurs types d’acteurs en vue de toucher le grand public”, confie Guerty Aimé directrice du bureau exécutif d’Info Femmes.
Pour ce faire, Info-Femmes a créé des spots publicitaires informant les victimes sur les modalités de prise en charge à la suite d’une agression. Dernièrement, l’organisation a décidé de s’adresser aux victimes à travers les médias essentiellement radiophoniques. Quatre séries d’émissions de vingt minutes, dont l’une porte sur l’accès gratuit aux soins pour les victimes de violence, ont été réalisées.
Pour Guerty Aimé, les outils proposés par chaque organisation s’imbriquent, se complètent, et la mutualisation des efforts de chacune de ces institutions va permettre d’avoir un impact plus important.
« On a réalisé qu’il valait mieux attendre la réaction de la communauté avant de lancer un outil de communication. Par exemple, une de nos campagnes nationales portait sur la date limite à laquelle une victime de viol pouvait porter plainte, c’est à dire 72 heures. Mais les gens ont eu des difficultés à évaluer concrètement la correspondance. »
Face à ce constat et à la réaction de la communauté, la mention des 72 heures a été complétée par 3 jours.
« La communauté a droit de critiquer un texte. S’il faut le réajuster, on le fera »insiste Guerty Aimé.
Les familles haïtiennes sont éclatées. La société se trouve confrontée aux différents modèles familiaux, un homme avec plusieurs femmes, et vice versa.
« A peine 20 % des familles correspondent au modèle classique. Ce phénomène a une incidence au niveau des intérêts économiques ce qui génère les facteurs de conflit et de violence », poursuit Guerty Aimé.
Parmi les différents types de violence exercés sur les femmes, le viol de la femme par son concubin est le plus répandu et souvent indétectable.
La situation d’inceste est, semble-t-il, quasiment institutionnalisée.
Sur le plan statistique, se développe un autre phénomène important : celui de jeunes filles, vendues pour le tourisme sexuel en République Dominicaine.
Les institutions travaillant avec les victimes de violence sont le plus souvent confrontées à l’absence de document attestant leur état civil. Compte tenu que les victimes n’ont pas de papiers d’identité, elles ne peuvent déposer plainte.
Mesurer l’impact des actions de sensibilisation
Différents moyens permetttent aux organisations de mesurer l’impact de leur campagne de sensibilisation sur le public.
L’un d’eux consiste à évaluer, en fin de session, la sensibilisation, en faisant remonter l’information par les groupes d’accompagnement aux victimes de violence, à partir de ce que disent les participantes et participants, ou encore en essayant de voir si un changement de croyance ou d’attitude s’est opéré.
« L’impact des outils de communication est difficile à mesurer, car, en Haïti, il n’existe pas de mesure d’audience » souligne Carine Thibaut.
« Par exemple, au moment de la campagne radio que nous avons faite il y a 6 mois, nous avons eu un retour positif, car le nombre de victimes de viol, qui venaient dans les 72 heures prendre les médicaments pour éviter les maladies sexuellement transmissibles, avait augmenté » remarque Carine Thibaut.
Bien qu’il y ait eu un changement de comportement du personnel de santé, cette campagne médiatique va permettre de ne plus banaliser l’acte de viol, souhaite Guerty Aimé.
« Dans le cadre du travail d’accompagnement des victimes, il y a trois ans, quand on devait obtenir un certificat médical pour attester d’un viol d’une structure de santé autre que l’hôpital, il fallait tout expliquer avant de pouvoir l’obtenir. Donc le délai était souvent dépassé”,. précise Guerty Aimé.
Une fillette de 13 ans a été victime de viol à Miragoâne [Sud-Ouest d’Haiti]. Pour pouvoir obtenir un certificat, il a fallu qu’elle se rende à Aquin. Là, étant donné que l’hôpital était tenu par une congrégation protestante, le directeur lui a conseillé de faire une médiation avec le violeur au lieu de lui donner le certificat.
« Il est primordial de former les professionnels de santé et de justice.. Grâce à la compréhension des documents légaux, le personnel de santé n’aura plus peur de la justice en produisant ce type de document », explique Thibaut.
Un travail de longue haleine est encore à réaliser pour permettre des progrès sur le plan médical et juridique. Le travail avec l’instance judiciaire semble être le plus difficile, car, pour l’instant, le certificat est le seul et principal document qui puisse faire preuve du viol.
Pourtant, il est connu qu’une victime, ayant vécu un tel traumatisme, met du temps à réagir, car « l’agresseur garde souvent une emprise sur la victime ».
« Il y a des pays, comme la France, où est réalisé un constat psycho-légal, c’est à dire, une expertise psychologique adressée à la justice dans le cadre du viol. Dans ces pays, tout élément de preuves, telles que les témoignages, le certificat médico-légal, les aveux, tout ce qui peut constituer une preuve, est pris en comte et analysé, il reste un long chemin à la justice haïtienne avant que les victimes soient considérées et qu’il y ait de véritable législation en matière pénale et correctionnelle », note Carine Thibaut.
Prochainement, sera rendu public un document regroupant toutes les lois qui touchent au cadre légal de l’exercice de la citoyenneté de la femme.
La journée de sensibilisation de juin 2008, ponctuée par des animations théâtrales, des déclamations de poésies, des chants tous orientés autour de la question de la violence faite aux femmes, a été l’occasion de rappeler que cette violence est multidimensionnelle.
Pour toutes ces raisons, les organisations et institutions oeuvrant dans le domaine recommandent une réforme de l’état civil, voire une réforme de l’Etat lui même [à envisager]. [mv rc apr 03/07/2008 00:30]