Prise de position de la Coordination Europe-Haiti [1]
Document soumis à AlterPresse le 20 mai 2008
Les émeutes de début avril 2008 à Port-au-Prince et dans d’autres villes d’Haïti, ont fait des morts et des dizaines de blessés. Devant ces événements, les organisations de la Coordination Europe-Haïti font état de leur préoccupation sur la crise alimentaire dans ce pays, où actuellement la sous nutrition touche environ 25% de la population. Les manifestations actuelles de la population haïtienne sont la conséquence de la récente hausse des produits alimentaires de base et le résultat des choix de politique économique libérale non contrôlée aux conséquences sous estimées qui sont en cours dans le pays depuis les années 80.
Ces émeutes, qui ont vu la destitution par le Sénat haïtien du Premier Ministre Jacques Edouard Alexis, dont le gouvernement n’a pas apporté de réponses concrètes à la crise, doivent amener à une réflexion plus profonde sur une politique de souveraineté alimentaire en Haïti.
Depuis 2007, les marchés internationaux enregistrent une hausse des prix sur certains aliments de base comme le riz, le blé, le mais et d’autres produits alimentaires. Cela est dû à plusieurs facteurs conjoncturels et structurels tels que :
le remplacement partiel des carburants traditionnels par les agro-carburants et la réduction des surfaces agricoles, particulièrement dans les pays du Sud, pour subvenir à la demande du Nord,
la demande croissante en produits alimentaires des nouveaux pays émergents comme la Chine et l’Inde,
les actions de spéculations financières sur les marchés internationaux de matières premières y compris alimentaires,
les politiques de subventions agricoles telles que les pratiquent les pays comme les Etats-Unis et l’Union européenne, ainsi que les politiques de libéralisation déloyales prônées par les Institutions Financières Internationales (IFI), particulièrement l’OMC,
la faiblesse de l’appui, voire de la mise en place des services agricoles fondamentaux dans le pays,
l’absence de planification décentralisée et participative devant impliquer systématiquement les organisations professionnelles agricoles.
Les différents acteurs au niveau international, national et local doivent s’interroger sur la manière de concevoir le développement et l’exploitation de l’environnement en Haïti. Si d’un coté il y a le choix inadéquat des politiques sociales et économiques mise en place par les différents gouvernements pendant ces dernières années, de l’autre la communauté internationale et les Institutions Financières (IFI) n’ont pas su donner une réponse à la crise structurelle et à la pauvreté en Haïti. En particulier les politiques des IFI ont amené Haïti à être l’un des pays les plus libéralisés au monde : 80% de ses recettes d’exportation sont actuellement utilisées pour des importations de produits alimentaires.
En Haïti la crise alimentaire a ainsi atteint un niveau plus élevé en cumulant les effets négatifs d’un trop fort niveau d’ouverture du marché et d’une désarticulation de la production locale.
Des politiques comme celles portant sur les tarifs d’importation, la privatisation ou les zones de libre commerce, ont poussé la population à l’exode rurale et à la migration vers l’étranger, mais elles ont aussi empêché la production locale et amené le pays à être de plus en plus dépendant des importations de biens de première nécessité et donc plus vulnérable aux fluctuations du marché international. Sans parler du fardeau de la dette qui épuise depuis des années les caisses de l’Etat au détriment d’investissements qui devraient normalement être utilisés pour stimuler la production nationale et améliorer les conditions de vie des couches les plus fragiles de la population.
Nous saluons les récents efforts de la communauté internationale visant à octroyer des aides financières au gouvernement haïtien pour faire face à gravité immédiate de la crise. Nous souhaitons cependant que ces solutions ne s’arrêtent pas au simple état d’urgence. Toute stratégie doit être concertée et pensée dans une perspective à long terme pour qu’elle soit assimilée et ensuite gérée par la population.
Jusqu’ici les bailleurs de fonds n’ont pas vraiment considéré comme une priorité dans leurs programmes, la revitalisation du secteur agricole, duquel dépend 70% de la population haïtienne. Les représentants de la communauté internationale, et notamment l’UE, devraient commencer par mettre au centre de leurs préoccupations la valorisation de la production nationale en Haïti tout en faisant du secteur agricole un moteur de la croissance économique et en venant en appui à la politique agricole définie par le gouvernement haïtien en étroite collaboration avec les élus locaux et les organisations professionnelles agricoles.
La valorisation de la production nationale en Haïti devrait se faire à partir des axes suivants : renforcement de la sécurité foncière, mise en place d’infrastructures agricoles (système d’irrigation, routes vicinales..), soutien à la production des activités agricoles et familiales, soutien aux services dans le domaine rural tels que la formation technique des paysans et une recherche développement à leur service, l’accès aux crédits et à l’équipement, mais aussi et d’abord le renforcement des organisations paysannes. En même temps, il est nécessaire d’assurer le développement des infrastructures locales, départementales et nationales de façon à favoriser l’émergence de petites et moyennes industries de transformation, le transport des productions rurales et la promotion de la consommation locale.
Des interventions en Haïti pour une politique énergétique visant à l’autonomie locale et régionale sont également indispensables. Néanmoins, les cultures effectuées en vue de produire des agro-carburants ne doivent pas détourner le secteur agricole de sa vocation première qui est de nourrir la population. Elles ne doivent pas non plus accaparer des terres fertiles pour d’autres objectifs tels que par exemple la culture des plantes à caoutchouc et du sisal.
Tout programme qui demande des transformations réelles doit être lancé à partir d’un dialogue où le gouvernement, le parlement, les élus des collectivités territoriales et les secteurs organisés de la société civile élaborent, mettent en œuvre et évaluent ensembles un cadre global et opérationnel de développement. L’expérience montre qu’en Haïti les initiatives de développement et leurs résultats ne sont pas durables s’ils ne sont pas portés par la population locale.
Bruxelles, le 29 avril 2008
Coordination Europe-Haïti (CoE-H)
Coordinatrice : Alessandra Spalletta
[1] La Coordination Europe-Haïti (CoE-H) est un réseau de 60 ONG engagées en Haïti et originaires de 8 pays européens. Formalisée en 2004, la Coordination s’est fixé pour objectif de remettre Haïti au centre des préoccupations du public et des gouvernements européens. Elle mène ainsi des actions de plaidoyer auprès des institutions européennes (Parlement, Commission et Conseil de l’UE) en lien avec 50 organisations partenaires en Haïti.