Par Marie Visart
P-au-P., 27 mai 08 [AlterPresse] --- La 14 e édition de “Livres en folie”, organisée le 22 mai 2008 au parc historique “la canne à sucre”, a bénéficié d’une forte participation, notamment de jeunes, malgré le contexte socio-politique actuel, a observé l’agence en ligne AlterPresse.
« La présence des jeunes et des bibliothèques scolaires a été l’aspect le plus intéressant de cette année », relève Max Chauvet, co-initiateur avec la banque commerciale privée “Unibank” de “Livres en folie”, lors d’une interview accordée à AlterPresse.
Cette année, 1 409 titres ont été mis à la disposition des lectrices-lecteurs/acheteuses-acheteurs, soit 160 nouveaux titres de plus que l’année précédente.
« Si l’événement continue à avoir autant de succès, on va devoir l’étendre sur deux jours. La deuxième journée sera exclusivement consacrée aux écolières/écoliers. Mais le seul problème qui risque de se poser est d’ordre logistique », remarque Chauvet, directeur du quotidien centenaire “le Nouvelliste”.
Des jeunes enthousiastes
De nombreux enfants, assis au stand spécialement aménagé par une bibliothèque portable, dévorent les livres mis à leur disposition, constate AlterPresse qui est allée à la rencontre de ces jeunes.
Participant pour la première fois à “Livres en folie”, Joseph, 12 ans et Christopher, 9 ans profitent de cette journée pour lire quelques bandes dessinées. Tous deux sont venus à cette manifestation parce qu’ils aiment lire.
« Dans mon école, il y a une bibliothèque et j’ai beaucoup de livres chez moi », confie Joseph , apparemment habitué aux livres.
« J’essaie de lire des livres et j’aimerais qu’il y ait une vraie bibliothèque dans mon école », dans déplore Christopher.
Et Christopher de conclure : « ce que j’aime le plus, c’est les livres et manger » !
Quid de la bibliothèque portable ?
« Le système de bibliothèque portable est un projet qui vise à désacraliser le livre en le mettant à la disposition des jeunes et des enseignants. L’objectif est de créer des lecteurs en familiarisant les enfants au livre pour leur donner le goût de la lecture”, explique à AlterPresse la bibliothécaire Marie Ange Sénat à l’initiative de ce projet.
La bibliothèque portable propose un premier paquet d’un mois avec formation des maîtres et un deuxième paquet pour l’accompagnement. Le programme s’étend de la première à la sixième année fondamentale. Il peut desservir deux classes en même temps.
“ Les deux premières années, les enfants ont un programme spécifique et, à partir de la troisième année, ils peuvent louer les livres et les ramener chez eux. Les bibliothèques portables offrent une sélection large dans laquelle les professeurs peuvent effectuer une sélection plus ciblée », ajoute Marie Ange Sénat, en charge de ce programme depuis cinq ans, notamment du programme de lecture dans la classe de français renforcé.
Dans cette équipe, essentiellement composée d’enseignants et d’étudiants bénévoles, elle est l’une des deux personnes permanentes de la bibliothèque portable.
« Les enfants ont besoin de pouvoir lire et comprendre la langue de l’enseignement », souligne la bibliothécaire, insistant sur les carences dans les bibliothèques en Haïti.
Il y a un véritable manque au niveau des structures qui offrent un accès aux ouvrages.
« Aujourd’hui, le pays compte une cinquantaine de bibliothèques, dont une dizaine de bibliothèques portables réparties à Port-au-Prince, au Cap-Haïtien et à Furcy » précise Sénat.
Pour la bibliothécaire Sénat, l’Etat a beaucoup de projets en cours, mais il n’a jamais initié ni appuyé des projets de développement de la lecture.
« Ce genre d’initiative pourrait être introduit auprès des bailleurs de fonds qui allouent des financements à l’Etat », ajoute-t-elle.
Opinions des lectrices/acheteuses
Cette foire a été l’occasion de recueillir des informations sur les lecteurs-acheteurs. Quatre étudiantes : Sabine Harry, 22 ans, sa soeur Roselaure, 18 ans, accompagnées de Ashtact Joanis, 22 ans, et de Alexandra Lacoste, 22 ans, dont plusieurs fréquentent pour la première fois “Livres en folie”, se sont confiées à AlterPresse (Au centre M. Visart, reporter d’Apr).
« Beaucoup de jeunes préfèrent la série “Arlequin” et les livres sur internet. Nous, nous sommes venues ici, parce que c’était l’occasion de se revoir et une autre manière de se distraire, car il n’y a pas grand’chose à faire à Port-au-Prince », déclarent-elles, interrogées par AlterPresse sur les raisons qui pousseraient les jeunes à participer ou non à ce type d’événements culturels.
Mais, précisent-elles, « cette manifestation permet de rencontrer les écrivains qu’on aime et d’en découvrir des nouveaux. ».
Cependant, aucune n’est allée faire dédicacer les livres achetés, de peur de déranger les auteurs qui, selon elles, étaient très occupés.
60 auteurs en signature
Parmi les auteurs en signature, le poète et diseur Clotaire Saint-Natus présentait plusieurs ouvrages, dont Jacques Roumain Mèt lawouze Douvanjou.
Ce livre est une traduction créole de “Gouverneurs de la rosée”, lequel existe déjà dans plusieurs langues. Par ce titre, il a voulu faire une redondance avec « douvanjou » pour renforcer l’image de la rosée.
Clotaire Saint-Natus affirme avoir entrepris la démarche de traduire “Gouverneurs de la rosée” en Créole, afin de rendre cet ouvrage accessible en haïtien et pour « permettre aux personnes néo alphabétisées de l’utiliser en post lecture » précise-t-il.
« Bien que Jacques Roumain l’ait écrit en français, ce serait une faute grave de ne pas traduire ce livre en Créole ! » s’exclame Saint-Natus.
Selon Saint-Natus, qui a effectué cette traduction en l’espace de deux mois, il ne serait jamais difficile de traduire d’une langue à une autre.
« Dans ce livre toutes les conversations qui ont été faites dans un registre proche du Créole ont été faciles à traduire. »
Saint-Natus, qui considère “Livres en folie” comme “la vraie et unique rencontre littéraire”, indique avoir utilisé des périphrases pour traduire certaines expressions, qui n’ont pas été consacrées, afin de restituer le contexte.
« Sur le plan grammatical, j’ai traduit le « il » qu’on retrouve en français par « li » mais en mettant le nom du personnage, ce qui est nécessaire en Créole ».
Hérold Toussaint, sociologue et psychologue, professeur à l’Université d’Etat d’Haïti, était également en signature, notamment pour son livre « L’utopie révolutionnaire en Haïti autour de Jacques Roumain ».
Dans ce livre, Toussaint fait une lecture sociologique de la pensée politique de Jacques Roumain. Il tente d’expliquer la complexité du personnage en offrant une analyse s’appuyant sur la correspondance que Roumain a eu avec sa femme.
« Ce texte original peut provoquer, car il y a des aspects de la la pensée de Jacques Roumain qui n’ont jamais été abordés auparavant. Par exemple, dans ce livre, je présente Jacques Roumain comme un athée religieux ce qui peut surprendre ».
D’autre part, pour leur première signature, Fanfan et Bertha Calixte Sylvestre offrent « L’étrange destin de Mathilda »
L’originalité de ce roman est qu’il a été écrit en couple.
« Nous avions le pressentiment qu’en écrivant un roman, nous serions plus prêts des lecteurs et que le message serait mieux reçu », affirment-ils.
Ce roman contient des histoires qui les font rêver. Ils entremêlent l’esclavage et l’amour, en abordant des thèmes tels que la tolérance et l’amour inconditionnel, ce qui apporte un message d’espoir.
Cherchant à connaître ce qui pousse un auteur à venir à “Livres en folie”, le couple Sylvestre apporte des précisions : « les auteurs ne viennent pas à Livres en folie pour faire la promotion de leurs livres, mais pour avoir un contact direct avec leur public et pour participer à la promotion culturelle haïtienne ».
S’agissant de Gary Victor, l’événement était la signature de son premier recueil “Djamina et les sorcières solaires”. Gary Victor, qui avait publié jusqu’ici des histoires pour les enfants au “Nouvelliste”, a composé ce recueil de 9 contes qui présente aux enfants les planètes solaires.
Deuxième fois en signature, la juge Norah A. Jean-François présentait son premier tome intitulé « Un nouveau regard sur l’enfance haïtienne ».
Norah Jean-François a commencé à écrire des articles, il y a dix ans, en classe de philo. Depuis, elle s’est orientée vers la littérature et l’écriture juridique.
« J’ai écrit ce livre, car je veux vulgariser le droit des enfants, car c’est un domaine auquel peu de personnes s’intéresse nt » confie-t-elle.
Aux yeux de Norah Jean-François, “Livres en folie” est une manifestation qui met la pression pour écrire, car les auteurs désirent être en signature.
Et Max Chauvet de rappeler combien « Haïti est un pays plein de contradictions. Il y a beaucoup d’analphabètes, mais également beaucoup de poètes, donc il faut dénicher les lectrices et lecteurs » .[mv rc apr 27/05/2008 00:30]