P-au-P., 21 mai 08 [AlterPresse] --- Les éditions Mémoire d’encrier de Montreal prennent part à la foire Livres en Folie, qui sera organisée ce 22 mai a Port-au-Prince.
3 titres retraçant des pans d’histoire lointains ou récents sont proposés par la Maison d’édition, créée par l’Haitien Rodney St-Eloi au Canada en vue de promouvoir les litterautures du Sud. Il s’agit de « Duvalier. La face cachee de Papa Doc », de Jean Florival, « Dessalines », de Guy Poitrry, et « Mémoire errante », de Jan J. Dominique (Photo logo, avec St-Eloi).
Rodney St-Eloi repond aux questions d’AlterPresse :
Apr - Un intérêt particulier pour Livres en Folie ?
RSE - Mémoire d’encrier participe à une dizaine de salons du livre l’an. Nous sommes obligés de considérer le travail de nos pairs et de nous professionnaliser constamment. Un salon du livre est un espace professionnel, qui met en synergie toute la chaîne. Livres en folie est plutôt un espace de vente, qui joue le rôle de la rentrée littéraire haïtienne. L’essentiel serait de ne pas oublier le sens du livre en tant qu’œuvre et produit, car on doit revenir à la mémoire du livre, au symbole, à l’éthique et à la force de la pensée incarnée par cet objet… Le livre, un livre, comme les tracés du monde moderne, comme le défi d’exister. Que l’on arrive par croire comme Danielle Sallenave que « toute vie sans les livres est une vie ordinaire. »
Apr – Vos propositions sont axees sur l’histoire...
RSE - L’histoire nous interpelle. Dans notre programme éditorial, il y a une grande place qui est faite à l’histoire et au social. Car nous sommes sans cesse en manque de nous-mêmes. Le passé comme le présent nous échappent. La collection Chronique nous aide à proposer cette offre de lecture, qui nous concilie avec nous-mêmes.
Les trois principaux titres :
a. Duvalier. La face cachée de Papa Doc est effectivement un best-seller. Le livre lancé à Montréal, à Québec, à Paris, et à Santo Domingo, a connu un grand succès. Ceci est dû au ton. L’auteur Jean Florival a auguré un nouveau ton dans la tradition de la chronique haïtienne : le parler vrai et la responsabilisation politique… Car d’habitude, nous autres Haïtiens prétendons ne pas être responsables de nos actes. Florival est au centre des événements. Il parle à visière levée, et nous fait découvrir les faces multiples de la grande bêtise haïtienne. La deuxième édition de ce livre est un trésor, avec des photos, des documents d’archives et des portraits qui permettent de comprendre le régime des Duvalier.
b. Dessalines : reconstitution de ce fondateur d’Haïti par un auteur suisse Guy Poitry. Un roman d’une grande richesse qui nous montre que Dessalines est un personnage historique universel et qu’il appartient autant qu’aux Suisses qu’à nous. L’auteur Guy Poitry nous livre un beau portrait de Dessalines, le rebelle. Et dans l’éclatement des voix, il nous invite à mieux nous regarder.
c. Jan J. Dominique a publié le récit Mémoire errante. Ce livre retrace la vie du journaliste Jean L. Dominique, assassiné en avril 2000 à Port-au-Prince. C’est un ouvrage poignant et tragique qui nous propulse au fond du drame haïtien. La fille ouvre ses entrailles, parle et parle… Elle pleure le père tant aimé, également le pays perdu. Un livre qui porte sur l’impunité en Haïti, et le règne des intouchables. Le grand mérite de Jan J. Dominique est d’avoir dépassé le côté revanchard, en allant vers le collectif, vers la question de la justice pour tout un peuple piégé dans la rhétorique de la mort et de la survie. Le beau portrait de Jan L. Dominique qui en ressort nous met en face d’un homme de conviction, qui va jusqu’au bout de ses mots. Un livre qui est comme une leçon de vie.
Apr – Par ailleurs, Memoire d’encrier boucle 5 ans d’existence. Un bref bilan...
RSE - Pour les cinq ans de Mémoire d’encrier, nous avons mis en place un espace éditorial ouvert. Un journaliste m’a qualifié d’éditeur sans frontières. Nous avons travaillé en collaboration avec des éditeurs français, suisse, haïtien, martiniquais, sénégalais, canadien, etc. Nous sommes en train de travailler avec les Amérindiens du Canada actuellement. Nous ouvrons des fenêtres sur le monde, évitant l’enfermement facile et la fatalité de l’échec. Car, la pensée haïtienne a trop longtemps été pervertie par le cloisonnement mulâtrisme versus noirisme. J’essaie donc de renverser la question de l’origine. Ne pas faire du territoire ni de la langue ni de la couleur, une essence. Se projeter sur le monde de manière décomplexée. Refuser le cloisonnement identitaire : noir versus mulâtre, qui nous a conduit à toutes les défaites et à tous les ressentiments que nous sommes en train de vivre. Mémoire d’encrier est une maison montréalaise ouverte sur Haïti, sur les Caraïbes, sur l’Afrique et sur l’Europe. Nous avons posé la question de l’autre, l’autre en nous avec nous. C’est ce travail de l’altérité qui est au cœur du programme éditorial de Mémoire d’encrier. Le vœu est que pour Haïti, qui est notre passion et notre terre, il faut arriver à combattre les imbécillités, les mesquineries et la barbarie. Le seul moyen dont nous disposons est le livre pour que vienne le temps de la parole libérée.
Apr – Lecture ou liberté, alors...
RSE - La lecture m’a appris le sens de la révolte, de l’insoumission. C’est par la lecture que j’ai découvert les êtres et les choses. Toute ma vie passe par les livres et se résume à quelques phrases lues. On a besoin pour Haïti de pensées dissidentes. D’intellectuels visionnaires, qui empêchent de tourner en rond. On a besoin d’une intelligence inquiète, capable de secouer les assises d’une société qui se regarde trop le nombril. On a besoin pour vivre beaucoup plus d’incertitudes et de révoltes. Et c’est en lisant que l’on découvre toutes ces choses folles et merveilleuses. Je suis vivant grâce à ce vers de René Char : « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards, ni patience. »
[gp apr 21/05/08 17:00]