Les Dominicains se rendent aux urnes ce 16 mai 2008 afin d’élire un nouveau président, a l’issue d’une campagne qui a quasiment fait silence sur la question haïtienne, ce que les observateurs considerent comme inédit.
Par Wooldy Edson Louidor
P-au-P., 16 mai 2008 [AlterPresse] --- Pris entre de puissants groupes de pression ultranationalistes et la pression de la communauté internationale, les principaux candidats à la présidence dominicaine ont préféré, au cours de presque toute leur campagne électorale, garder le silence sur la thématique haïtienne.
D’une part, les groupes de pression ultranationalistes qui détiennent plusieurs formes de capital (politique, économique, social et culturel) plaident pour la réduction voire l’élimination de la présence haïtienne en République Dominicaine, notamment par le contrôle strict du flux migratoire provenant d’Haïti, des rapatriements intensifs, la militarisation de la frontière, la substitution du Jus sanguini (droit du sang) au Jus soli (droit du sol) pourtant consacré par la Constitution dominicaine en vigueur, le refus d’octroyer la nationalité dominicaine aux descendants d’Haïtiens, etc.
D’autre part, le monde entier a les yeux fixés sur la République Dominicaine, principalement sur la situation déplorable des migrants haïtiens et de leurs descendants dans ce pays.
Des réseaux de solidarité, des organismes de droits humains, des organisations internationales et des pays (dont les États-Unis d’Amérique, la Norvège, la France et des nations latino-américaines) de la Communauté internationale ne cessent de presser les autorités dominicaines à prendre des mesures concrètes pour garantir le respect des droits humains des migrants haïtiens et de leurs descendants sur leur territoire, conformément aux prescrits des instruments juridiques régionaux et internationaux relatifs aux droits humains.
Réactions de quelques journalistes dominicains
Considérée comme l’une des priorités dans l’agenda de la République Dominicaine, la thématique haïtienne a pourtant eu peu d’incidence dans les campagnes électorales des candidats des trois principaux partis politiques à la présidence dominicaine : Amable Aristy Castro du Parti Réformiste Social Chrétien (PRSC), Leonel Fernández Reyna du Parti de Libération Dominicaine (PLD) actuellement au pouvoir et Miguel Vargas Maldonado du Parti Révolutionnaire Dominicain (PRD).
Les trois aspirants ont, de l’avis de certains analystes dominicains, négligé le thème haïtien qui polarise fortement la société dominicaine.
Dans son éditorial « Agenda e inmigración haitiana » paru le 21 février 2008 dans l’hebdomadaire Clave, Fausto Rosario Adames, directeur général de l’agence en ligne dominicaine Clave Digital, faisait le vœu que « les aspirants à la présidence proposent, dans leurs discours ou dans leurs programmes de gouvernement, quoi faire avec la migration haïtienne dans notre pays ».
De son côté, Eddy Beltre de l’agence en ligne Espacio Insular a souligné, dans son article “El tema haitiano en la recta final de la campaña electoral en la república dominicana” publié le 21 avril 2008, que « le thème haïtien, récurrent dans les processus électoraux dominicains antérieurs, fondamentalement avant la mort de Peña Gómez en mai 1998, n’a pas eu dans l’actuelle campagne une incidence politique spéciale ».
Propositions de deux candidats
Seulement deux des candidats, Amable Aristy Castro et Leonel Fernández, se sont prononcés ouvertement sur quelques aspects de la thématique haïtienne, dont : la crise politique et sociale en Haïti et ses impacts sur le pays voisin, la migration haïtienne, la frontière et les rapports commerciaux entre les deux républiques.
Dans une émission spéciale réalisée au cours du week-end du 19 au 20 avril 2008 par les médias appartenant au puissant Groupe Corripio, Amable Aristy a affirmé que la migration haïtienne constitue le principal problème de la République Dominicaine. Sitôt élu président, il promet de prendre des mesures drastiques contre le flux migratoire provenant d’Haïti dont l’instabilité politique et sociale représente une menace pour la République Dominicaine.
Pour sa part, Leonel Fernández, actuel président dominicain, a proposé, dans le document de son programme de gouvernement pour les 4 prochaines années (2008-2012), de « contrôler la migration illégale des Haïtiens », de prioriser la sécurité frontalière, le développement de projets binationaux et la création de mécanismes pour réactiver la Commission Mixte Haïtiano-Dominicaine.
Quelques témoignages et dénonciations autour des violations de droits humains des migrants haïtiens et de leurs descendants en 2007
Les propositions de ces candidats n’ont pas pris en compte les multiples dénonciations sur la situation des droits humains des migrants haïtiens et de leurs descendants en République Dominicaine, notamment en 2007.
Ces dénonciations ont été produites par des réseaux de solidarité des migrants dominicains et haïtiens vivant principalement à Porto Rico et aux États-Unis d’Amérique et par des organismes et groupes de défense des droits humains dans le pays voisin et au niveau international.
En janvier 2007, des organisations internationales telles que l´organisation américaine Refugees International (RI) et le Service Luthérien pour l´Immigration et les Réfugiés (LSIR) ont produit un rapport sur la migration haïtienne en République Dominicaine invitant les deux gouvernements à s’entendre sur la mise en œuvre de procédures non discriminatoires dans le cadre des accords sur le statut migratoire des travailleurs haïtiens dans le pays voisin et sur l’octroi de documents d’identité à leurs descendants.
En février 2007, un réseau de solidarité animé par Grassroots Haiti Solidarity Committee réunissait devant le Consulat dominicain à New York plusieurs Haïtiens et Dominicains qui réclamaient de meilleurs traitements pour les migrants haïtiens en République dominicaine.
À la fin du même mois, à Porto Rico le Comité Pro-Niñez dominico-haïtien exigeait du gouvernement dominicain le respect du droit à la nationalité des descendants d’Haïtiens vivant sur son territoire.
De multiples rapports et autres documents publiés au cours de la même année par Amnesty International, le Département d’État américain, Solidaridad Fronteriza, le Réseau frontalier Jeannot Succès, etc., ont pointé du doigt les multiples abus et violations de droits humains subis par les migrants haïtiens et leurs descendants en République Dominicaine au cours des rapatriements, sur les lieux de travail, à la frontière, dans les marchés frontaliers, dans les bateys…
Des organisations de droits humains basées en République Dominicaine, dont le Mouvement des Femmes Dominico-Haïtiennes (MUDHA) et le Service Jésuite des Réfugiés et Migrants (SJRM), ont aussi critiqué l’institutionnalisation accrue de la discrimination contre les Dominicains d’ascendance haïtienne à travers des mesures prises par la Junte Centrale Dominicaine (JCE).
Par exemple, la JCE a promulgué, le 29 mars 2007, la Résolution numéro 17 exigeant des officiers de l´État civil l´examen minutieux des registres de naissances lors de la délivrance de toute copie d’acte de naissance ou de n’importe quel document relatif à l’Etat Civil. Suite à cette promulgation, certains Dominicains d’origine haïtienne ont été surpris d’apprendre que leurs actes de naissance ont été déclarés inexistants, annulés ou simplement confisqués par des fonctionnaires de cette institution étatique.
Une exposition photographique « Esclaves au paradis » sur les coupeurs de canne haïtiens vivant dans les bateys a été réalisée à Paris du 15 mai au 15 juin 2007, à Montréal du 19 au 23 septembre 2007 et à Port-au-Prince en décembre 2007. À cette occasion, les Pères anglais Christopher Hartley et belge Pierre Ruquoy ont donné des témoignages poignants sur les conditions de vie et de travail des coupeurs saisonniers et de leurs familles qui ont été assimilées à l’esclavage.
À rappeler aussi que des organisations, dont le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (Garr), ont dénoncé l’impunité concernant des crimes de nature xénophobe (anti-haïtienne) ayant été commis contre des haïtiens en République Dominicaine en 2007.
Trois cas retiennent le plus l’attention : celui des étudiantes haïtiennes qui ont été violées par des bandits à Santiago le 27 juin 2007 ; celui des maisonnettes occupées par une vingtaine d’haïtiens qui ont été incendiées dans la localité de Montecristi, au Nord de la République Dominicaine ; celui d’un gardien affecté à l’élevage bovin sur la ferme d’un grand propriétaire terrien à Azua qui a été assassiné le 15 décembre 2007 par les proches de ce dernier...
Poussés par les journalistes et médias dominicains à présenter leurs propositions sur la thématique haïtienne, les aspirants à la présidence dominicaine ont tout simplement évité l’épineuse question des droits humains des migrants haïtiens et de leurs descendants. Une question qui ne fait pas l’unanimité dans la société et dans les cercles de pouvoir dominicains. [wel gp apr 16/05/08 01:00]