Español English French Kwéyol

Haiti : En souvenir de mon ami Jean-Claude Charles

Par Eric Sauray

Soumis à AlterPresse le 9 mai 2008

J’ai une grande douleur au cœur après avoir appris la mort de Jean-Claude Charles. Je suis profondément meurtri et conformément à mon appartenance philosophique, je gémis. Je gémis parce que j’avais pour Jean-Claude une vraie admiration.

Il avait ce génie propre aux écorchés vifs. Du fait de mon jeune âge, je n’ai rencontré Jean-Claude pour la première qu’en novembre 2004 lors d’une rencontre entre écrivains Haïtiens à Aime. Il ne me connaissait pas mais je le connaissais un peu pour avoir lu ses livres, pour avoir entendu parler de lui et pour l’avoir vu animer quelques soirées littéraires ou d’hommage à Paris.

Lors de cette rencontre à Aime, nous avons sympathisé tout de suite parce que nous avions parlé de littérature, de mon sujet de thèse qui l’intéressait beaucoup, des écrivains haïtiens et d’Haïti. Nous avions sympathisé parce que je respectais le personnage qu’il était et que je ne me suis jamais permis un seul jugement sur lui et sur sa vie. Mais, dès que j’ai vu Jean-Claude, j’ai compris que quelque chose n’allait pas. Je ne lui en ai pas parlé parce que les blessures d’un homme ne relèvent pas de la confidence. Et je pense que c’est pour cette discrétion qu’il m’appréciait. Il a dû tellement souffrir du rejet dont il faisait l’objet de la part de beaucoup de gens trop prompts à juger les autres !

Nous avions sympathisé parce qu’il était fasciné par mon ambition et ma volonté de créer un lieu culturel pour les Haïtiens vivant en France. Il me disait que c’était bien de faire ça et de préparer ainsi la voie pour mes enfants à qui je n’ai pas encore annoncé cette triste nouvelle. Compte tenu de leur âge, ils ne comprendront pas ce que cela signifie de ne plus revoir notre Ami Jean-Claude. Cet ami qui faisait partie des rares intellectuels de Paris à venir dans la petite Librairie Toussaint Louverture que j’avais créée avec mon épouse. Cet ami que j’avais du bonheur à inviter chez moi pour qu’il me parle de littérature, de ses souvenirs d’Haïti, de l’œuvre de Jean Métellus qu’il me semblait respecter et admirer comme un grand frère et d’Aimé Césaire dont il adorait les écrits.

Chacune de ses visites à mon domicile était pour moi l’occasion d’apprendre des choses et de progresser. Mais, je l’avoue, la dernière fois que j’ai vu Jean-Claude, j’ai eu peur pour lui. Il avait tellement maigri. Je sentais qu’il souffrait beaucoup mais pour ne pas l’attrister nous n’avons pas parlé des choses qui fâchent. J’espérais malgré tout le voir se rétablir pour reprendre cette œuvre dont il était fier. Je le revois encore dans la Librairie Toussaint Louverture me parler de son œuvre, me montrer les coupures de presse le concernant du temps où la grande Marguerite Duras critiquait, et donc valorisait, son œuvre. Cette œuvre méconnue en Haïti. Cette œuvre qui aurait dû lui valoir l’estime des autorités culturelles d’Haïti. Cette œuvre qui aurait dû lui ouvrir les portes d’une Académie haïtienne si les autorités culturelles avaient la bonne idée de créer une structure qui nous permet enfin d’avoir une institution pour les gens d’esprit.

Je lui avais dit que, si un jour, j’ai le bonheur de devenir ministre de la culture d’Haïti, je créerais cette Académie où je le verrais bien avec Dieudonné Larose, Robert Martino, Leslie Manigat, Marc Bazin et d’autres grands esprits ou artistes haïtiens.

Et voilà qu’il meurt sans que je ne puisse honorer ma promesse ! Alors, je gémis parce qu’il est parti trop tôt. Je gémis. Mais j’espère parce que tu resteras dans la mémoire de ma famille qui t’aimait beaucoup et parce que je sais que les morts se rencontrent souvent. Alors, un jour, je le sais, on se reverra l’ami ! Que Dieu te garde…