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Haïti-Élections Sénatoriales 2008 : Retard circonstanciel du processus ou répit démocratique planifié ?

Débat

Par Gary Olius

Soumis à AlterPresse le 26 mars 2008

Les élections présidentielles qui ont vu le retour de M. René Préval au pouvoir ont fait jubiler la communauté internationale. Pour elle le pari de la démocratisation du pays était en grande partie gagné - du moins dans sa première manche - étant donné la marrée humaine qui s’était déferlée dans les bureaux de vote. Avec un triomphalisme à peine contenu, l’OEA [1] et les responsables onusiens se sont attribués un satisfecit et ont considéré que lesdites élections n’avaient pas de pareilles en Amérique Latine. Deux ans après, que reste-t-il de cette euphorie manifestée à hue et à dia ? L’échéance constitutionnelle fixée pour le renouvellement du tiers du Sénat s’épuise dangereusement et ceux là qui ont sauté au plafond en février 2006 donnent aujourd’hui leur langue au chat.

Pourtant ces élections sénatoriales devraient confirmer la progression, s’il en est, du processus de démocratisation d’Haïti. Il y a cette velléité de confirmation de ces acteurs en quête de prouesses pouvant garnir leur rapport de mission, mais il y a aussi la réaction quasi prévisible d’un électorat désenchanté et qui s’est rendu compte que dans cette démocratisation sur mesure, il ne constitue que le dindon de la farce. Les faits sont là pour prouver qu’il n’attend que le moment opportun pour rendre à tous les décideurs la monnaie de leur pièce.

Etant donné cette réalité, la prudence est de rigueur. Des élections sénatoriales avec moins de 10% de participation constitueraient un vrai camouflet tant pour le gouvernement que pour la communauté internationale. Le risque étant le même pour tous, l’obligation de solidarité s’impose d’emblée comme abri commun. Et sur cette base, on en vint à établir un pacte de fait : le gouvernement fait ce qu’il peut pour sauver les meubles et la communauté internationale s’engage à rester muette sur la question ou à lancer sournoisement des signaux d’approbation sur les mesures entreprises. Du reste, tous savent que cette façon de faire a ses limites et que le temps qui passe est toujours prêt à les mettre à nu. Avec ou sans le ferme appui des puissances internationales l’exécutif ne pourra pas sans fin s’amuser à brûler les échéances constitutionnelles sans s’exposer à la risée des observateurs avertis.

La volonté d’organiser des élections en temps et lieux est là, et personne n’est logiquement autorisé à prêter aux dirigeants et aux bailleurs de fonds de mauvaises intentions. Et on peut dire mieux, ils veulent des élections avec une participation massive de l’électorat. Mais comment y parvenir, quand on sait qu’en cette matière les espoirs déçus, l’insécurité, la morosité économique et la faim sont mauvais conseillers ? Voilà la grande question…. Le gouvernement, qui n’avait pas le choix de sa politique macroéconomique, a réussi à faire tant bien que mal ce qui lui a été demandé : les indicateurs – jadis au rouge – sont revenus au vert. Cependant politiquement, cela a un effet dévastateur, car le peuple ne vit pas d’indicateurs, mais de résultats immédiatement traduisibles au quotidien dans les assiettes. Bref, le constat navrant c’est que les gens votent massivement et les assiettes restent désespérément vides. Leur demander de retourner aux urnes avec la même ferveur, c’est un peu comme leur suggérer d’appuyer la poursuite d’une politique dans laquelle ils ne sont pas sûrs d’avoir quelque chose à gagner dans l’immédiat. Or, un peuple affamé ne vit que de l’immédiateté. Ce n’est pas du populisme déguisé, la politique en contexte de pauvreté massive est ainsi faite. Qui sait pour combien de temps le peuple pourra encore continuer à vivre avec le sentiment – justifié ou pas – de perdre le beurre et l’argent du beurre !

La grande erreur commise, donc, est que le gouvernement et la communauté internationale ne se sont pas mis d’accord sur une politique d’accompagnement, pouvant servir de choc-absorber aux grandes décisions prises au niveau macro-économique. On se fout le droit dans l’œil en pensant pouvoir résoudre les problèmes urgents du peuple toujours en ayant recours au DSNCRP [2]. Les résultats de cet outil sont étalés sur le moyen et le long terme ; et cela dit, il ne saurait constituer par exemple une réponse aux problèmes de la cherté des produits de première nécessité. Adresser avec dextérité des besoins aussi urgents du peuple n’est en rien une tentation au populisme, mais une preuve de clairvoyance politique, car la misère non prise en charge fait perdre aux individus leur estime de soi et, à terme, peut mettre en péril leur citoyenne réelle. C’est justement ce que traduisent les abstentions massives lors des élections, lesquelles ne constituent qu’un déni de citoyenneté.

Le gouvernement semble ne pas être en mesure de concevoir des programmes d’accompagnement aux politiques de stabilisation macroéconomique et la communauté internationale persiste à se voiler la face en minimisant les risques liés à l’absence pure et simple de ces programmes. Pour l’un il y a la peur d’être perçu comme populiste et pour l’autre le désir de prioriser à tout prix les interventions à impacts durables et de long terme. Dans les deux cas, il y a fondamentalement un problème de responsabilité. Et finalement, dans ce contexte électoral tous se sont rendus compte qu’on travaille mieux au profit de la démocratie en appliquant des politiques qui aident les électeurs à garder leur dignité, à être conscients de leur responsabilité citoyenne et ne pas être obligés de troquer leur voix pour un repas ou pour quelques gourdes. Il n’y a pas meilleur antidote contre le populisme…

Actuellement les décideurs craignent une abstention massive de l’électorat. Comme pour augmenter leur désarroi, les cris de détresse des uns et des autres montrent que cette éventualité est ce qu’il y a de plus probable. Pour inverser la tendance, il est impérieux de faire quelque chose, ne serait-ce que pour montrer que la démocratisation voulue est encore possible et que le gouvernement copieusement voté est à la hauteur du crédit qui lui a été attribué, il y a deux ans. L’enjeu est de taille tant pour l’un que pour l’autre.

On a besoin de temps pour faire quelque chose à impacts visibles, dès lors que sans cela tous les décideurs perdront ce qui leur reste de crédibilité. On tergiverse et les échéances critiques s’épuisent les unes après les autres. Les élections sénatoriales doivent attendre… Mais on ne sait toujours pas pour combien de temps. Pour cela, le gouvernement doit avoir sous ses pieds les pédales d’accélération et de freinage, sinon il risque d’être pris au dépourvu. C’est d’ailleurs dans cette logique là qu’il faut inscrire la démission provoquée du technocrate convaincu, Jacques Bernard. D’aucuns ont mal interprété sa décision, mais il savait très bien ce qu’il encourait s’il acceptait que le contrôle administratif et opérationnel de l’institution électorale lui soit retiré. Il a effectué la bonne lecture de la conjoncture, il a bien évalué le degré d’influence et la velléité des acteurs clés et a rendu à temps le tablier ; imbu qu’il était qu’un technocrate sans pouvoir de décision substantiel est un lion dépourvu de griffes et de dents, donc condamné à l’inefficacité. Or, il était hors de question que Jacques Bernard mette en péril l’image de technicien hautement compétent que plus d’un gardent de lui après les dernières élections.

En fait, il est tout aussi vrai que son départ a fait l’affaire des décideurs qui avaient besoin de temps. Il est parti, on a pris du temps pour nommer son successeur et il faut du temps pour que ce dernier se familiarise avec la machine électorale et évalue ce qu’on lui attribue comme pouvoir. Il faut du temps pour finaliser dans une approche participative le projet de loi électorale et il y a là-dedans des propositions-prétextes, osées, audacieuses et exploitables pour faire perdurer les débats aussi longtemps que l’on veut. Quand on pense à l’idée de faire passer le nombre de Députés de 99 à plus de 140 en feignant d’ignorer le poids de cette proposition sur le budget du trésor public, il faut penser qu’il y a là de quoi occuper les législateurs, les politiques, les aspirants députés ou même les bailleurs de fonds pendant un bon bout de temps. Entre-temps, le gouvernement prend son temps pour trouver la bonne inspiration apte à l’aider à concevoir un ensemble d’interventions à effets rapides et visibles susceptibles de l’aider à se refaire une santé politique à trouver le point d’appui nécessaire pour arriver à re-mobiliser l’électorat. Ceux qui parlent de retard dans la mise en œuvre du processus électoral n’ont pas tout à fait raison et eux-mêmes verront sous peu qu’il ne s’agit que d’un répit démocratique pour contourner un danger dont les conséquences seraient dévastatrices tant pour les décideurs que pour la démocratie haïtienne elle-même. Cela dit, croisons les doigts pour que l’on ne soit pas obligé de laisser du temps au temps…

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Contact : golius@excite.com


[1Organisation des États Américains

[2Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté