P-au-P., 11 sept. 03 [AlterPresse] --- Un film qui se donne à voir, moins qu’à écouter, malgré la narration. Celle-ci n’est en effet pas du tout envahissante. C’est la première qualité, d’un point de vue technique, du tout dernier documentaire de Arnold Antonin
« André Pierre, celui qui peint le bon ».
Le film séduit aussi par la simplicité du montage qui colle bien à l’humilité proverbiale du personnage et à l’un des ses univers naturels, un « lakou ». Pas d’effets trompeurs, mais de simples « cut » le plus souvent pour passer d’un plan à un autre.
Parallèlement à la peinture qu’il exerce depuis l’âge de 46 ans, André Pierre est aussi un grand prêtre vodou. Le film a le mérite de transporter le spectateur, de l’immerger dans les différents lieux de culte du personnage où celui-ci se met en scène, sans paradoxalement forcer la note. La verve extraordinaire d’André Pierre, malgré ses quatre-vingt-neuf ans, facilite bien, il est vrai, la tâche au réalisateur.
En revanche, le rythme du film paraît lent, trop posé peut-être. Ce qui pourrait déranger des initiés attachés aux techniques conventionnelles de la structure cinématographique. Mais, comme on le sait, « ce n’est pas coulé dans le béton ». Le réalisateur peut imprimer et imposer son rythme dans la mesure où ceci se justifie.
La lenteur du rythme pourrait s’expliquer par les caractéristiques et l’évolution même du personnage : urbain, paysan, orphelin dès l’âge de huit ans et ayant construit son destin, casseur de pierres, « pè savann », « sage-femme », houngan, une célébrité internationale vivant dans la gêne, malgré que ses toiles soient vendues à prix fort, en dollars américains et que la liste de gens lui sollicitant des tableaux soit très longue. Peut-être, ce rythme lent, posé, nous installe dans l’environnement, dans la peau du personnage, fascinant, généreux et mystérieux.
Peintre ontologique, simple médium, créateur d’icône, fabricateurs de talismans, mystificateur génial ? Qui est André Pierre ? Comment qualifier son art ? Le film a le mérite de soulever un débat que les spectateurs avisés vont peut-être poursuivre.
Les cinéphiles, qui suivent le parcours cinématographique de Arnold Antonin, et particulièrement ceux-là qui ont vu ses quatre précédents documentaires de création consacrés à la peinture haïtienne, noteront à coup sûr une certaine évolution dans la touche technique du réalisateur qui trouve, dans « André Pierre, celui qui peint le bon », un juste milieu, un meilleur dosage tout au moins, entre la narration (trop présente et linéaire parfois) et l’absence de narration obtenant souvent les faveurs de plus en plus de
cinéastes qui se réclameraient d’un courant moins traditionnel.
Par ailleurs, une partie du film qui peut déranger des cinéphiles avisés, c’est cette longue interview très explicative et descriptive d’un historien de l’art sur la peinture de André Pierre. Si ce passage fera plaisir à ceux-là qui souhaitent comprendre le travail pictural de l’un des peintres haïtiens les plus célèbres à l’étranger, il est venu cependant casser la
forte sensibilité, le rythme d’ensemble et le montage visuel spontané qui transpirait des différents univers fascinants du personnage.
Mais c’est là le dilemme des cinéastes chevronnés, qui doivent souvent concilier leur choix de réalisation avec les remarques du public. Lors de la sortie de son film sur Jean Claude Garoute dit Tiga, certaines gens avaient reproché au réalisateur de n’avoir pas insisté suffisamment sur le travail pictural du maître de Saint Soleil. Alors que d’autres gens trouvaient appropriés une trame qui emmenait dans tous les sens et qui collait donc
mieux à la personnalité de l’artiste à facettes multiples et à l’artiste philosophe que représente Jean Glaude Garoute.
Tout ceci est de bonne guerre et est de nature à encourager le réalisateur Arnold Antonin qui saura qu’il ne donne pas des coups d’épée dans l’eau.
Arnold Antonin en est donc à son cinquième film sur la peinture haïtienne. Par cette série, il entend, a-t-il dit, contribuer à sauvegarder la mémoire nationale. Car, à son avis, les artistes haïtiens, figurent parmi ceux-là qui contribuent le plus à sauvegarder le patrimoine national et la dignité du pays au cours des dernières décennies.
Bonne continuation à Arnold Antonin ! [vs apr 11/09/2003 11:15]