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Haïti : Plaidoirie pour une réforme de la diplomatie

Par Pierre Richard Cajuste

Soumis à AlterPresse le 13 mars 2008

Dans sa déclaration de politique générale devant le Parlement en juin 2006, le Premier Ministre Jacques Édouard ALEXIS a plaidé en faveur de l’adoption de « nouvelles orientations dans le domaine de la politique extérieure…en vue d’avoir des retombées plus immédiatement visibles pour le pays en termes de promotion culturelle, de recherche d’investissements, d’ouverture de marchés pour nos produits… ».

Deux ans après, les changements réels au niveau de la diplomatie se font toujours attendre.

Comme on a pu le constater, Haïti est devenue membre du Groupe de Rio et est en train d’assurer la présidence de l’Association des Etats des Caraïbes (Aec) et du Conseil économique et social des Nations Unies (Ecosoc).

Alors, il s’avèrerait urgent pour le pays de jouer sa nouvelle carte, tant dans la dynamique des relations bilatérales, multilatérales, que dans la coopération décentralisée. A ce stade, qui contestera le fait que les nominations dans les services externes de la Chancellerie aient été effectuées, sous le gouvernement de transition Latortue-Alexandre, avec autant de désinvolture et de légèreté que de partisannerie politique.

Notons qu’il est tout à fait évident qu’à côté de la pratique traditionnelle des relations internationales, fondées sur le maintien des liens d’amitié, de paix et de concorde entre les nations, la diplomatie haïtienne doit faire montre de créativité, étant donné la situation exceptionnelle dans laquelle se trouve le pays.

C’est précisément cet exceptionnalisme qui doit conduire les décideurs haïtiens à conceptualiser, dans cette conjoncture, un nouveau paradigme politico-diplomatique qui peut servir de cadre à l’avancement du pays. Ceci, en prenant en considération la spécificité haïtienne.

La diplomatie peut et doit servir de moteur dans la quête du développement du pays en adressant les questions urgentes, comme : la lutte contre l’insécurité, la lutte contre la pauvreté, l’instauration d’un état de droit, la mise en marche des institutions de l’état, la conquête de l’investissement étranger et du commerce international, la défense des droits des immigrés haïtiens, l’amélioration de l’image du pays à l’étranger.

Ce dernier point est remarquable par son importance. C’est comme un impératif de premier ordre de travailler à changer l’image du pays à l’étranger en neutralisant les vieux réflexes pavlovisés de violence, de misère, d’insalubrité, à partir desquels est perçu habituellement le pays.

Pour ce, le Gouvernement haïtien se doit de créer un agenda clairement défini, en sus d’une vision stratégique et d’un cadre opérationnel clair ; d’autant que les diverses crises politiques, qui ont affecté le pays depuis de nombreuses années, l’ont mis très en retard.

Dans le contexte actuel, l’action diplomatique doit être aussi l’expression d’une politique extérieure qui se définit par référence aux nouvelles données de l’ordre mondial, à savoir la prépondérance du marché et l’universalisation des valeurs démocratiques.

Pourtant, depuis l’installation du gouvernement en juin 2006, rien de substantiel n’a été fait dans la diplomatie.

Les Chefs de Mission (on ne dira pas les Ambassadeurs) occupent encore leur poste en violation de l’article 141 de la Constitution de 1987). Car, nommés à une période où il n’y avait pas de Parlement, ils auraient dû être présentés devant la Commission des Affaires Étrangères du Sénat dès l’avènement de ce gouvernement constitutionnel et légitime qui, implicitement, a décidé de les garder à leur poste.

On a vu ce cas avec le Directeur général de la Police nationale d’Haïti (Pnh), Mario Andresol, qui, nommé par le Gouvernement intérimaire Latortue-Alexandre, fut obligé de se présenter devant le Sénat (toujours en vertu de l’article 141 de la Constitution de 1987) lorsqu’il a été reconduit par le Président René Préval.

Cette diplomatie coûte plus de 2 millions de dollars américains par mois à la nation haïtienne, alors que les ambassades, les consulats et les missions permanentes, non seulement ne fonctionnent pas, mais ne sont pas en cohérence avec la vision dégagée dans la politique générale du gouvernement. Pareille somme pour appuyer l’action diplomatique serait dérisoire si elle était utilisée à bon escient, dans une logique de profit en faveur de la Nation.

Ils sont légion, les cas de dysfonctionnement de l’appareil diplomatique, qui prouvent, par le menu, que le renforcement des capacités devrait être aussi une priorité dans la conceptualisation et la mise en œuvre d’une politique étrangère valable, viable et susceptible d’accompagner le gouvernement dans sa stratégie de développement.

La bonne gouvernance ne s’accommode pas d’un gaspillage de ressources, ni d’une mauvaise allocation de ces ressources. Pourquoi avoir deux, trois ambassadeurs dans une même mission diplomatique ? Et un personnel pléthorique qui ne correspond pas aux besoins réels des Missions Diplomatiques et consulaires ?

Les décideurs au niveau de la chancellerie doivent être capables de faire marcher les missions diplomatiques et consulaires et les représentations permanentes. Il est aussi connu que ces missions fonctionnent à vau-l’eau, sans instructions/orientations précises de la part du ministère des affaires étrangères. Elles sont livrées à elles-mêmes.

Va-t-on appuyer le processus du Conseil économique et social des Nations Unies (Ecosoc) ou allons-nous vers la Commission de consolidation de la paix (Ccp) ? Sans concertation ? Sans cohésion ? Une situation qui génère un énorme gaspillage de ressources.

La République d’Haïti préside actuellement l’Ecosoc. La grande question consiste à savoir : est-ce que l’exercice de cette présidence, en dépit de son caractère honorifique, est vraiment important pour Haïti ?

Cette présidence à l’Ecosoc coûterait à l’État haïtien la rondelette somme de plusieurs milliers de dollars américains par mois.

Jusqu’à présent, Haïti ne s’est pas bien structurée pour gérer l’Alternative bolivarienne des Amériques (Alba) de façon institutionnelle.

Le pays n’a toujours participé qu’aux conseils présidentiels. Les autres structures de l’Alba ne sont pas animées, comme le conseil des ministres, le conseil des organisations sociales et le secrétariat permanent, ainsi que les diverses commissions.

La dynamique économique et surtout commerciale entre la République d’Haïti et ses alliés, qui se développe depuis quelques années, traduit la nécessité de la mise en place d’un nouveau positionnement et d’une nouvelle politique de coopération vis-à-vis de ses partenaires privilégiés et des nouveaux acteurs émergeant sur la scène internationale.

La diplomatie doit appuyer les négociations entreprises par le ministère de l’économie et des finances ainsi que le ministère de la planification et de la coopération externe dans le cadre du multilatéral et du bilatéral, de manière à créer une synergie entre les acteurs.
L’élaboration du document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (Dsncrp) placera, éventuellement, Haïti dans une autre sphère de coopération.

Le ministère des affaires étrangères, en tant que ministère transversal, doit jouer son rôle dans le cadre du Dsncrp, en réalisant le lien institutionnel et systémique entre le maintien d’un environnement sécuritaire et le réseau international d’assistance et de mobilisation des bailleurs de fonds. Le passage de la phase de stabilisation à celle de la consolidation et à la question de la souveraineté : tout cela appelle une nouvelle réflexion, un nouveau débat.

Bref, l’appui international reste un élément important dans la reconstruction du pays. Cet appui international n’arrivera tout bonnement pas si l’action diplomatique n’est pas efficace et efficiente, si la léthargie et le laxisme continuent à caractériser les pratiques diplomatiques.

Pierre Richard Cajuste

cajuste2000@yahoo.com