Compte-rendu
P-au-P., 03 mars 2008 [AlterPresse] --- Les questions ayant trait à la déontologie journalistique viennent d’être relancées, lors d’une conférence-débats, organisée par le Groupe Médialternatif, société de communication sociale, à Port-au-Prince, a observé AlterPresse.
Tenue le 22 février 2008, dans le cadre d’activités de formation et d’échanges soutenues par l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), la conférence s’est déroulée autour de la thématique « Éthique journalistique aujourd’hui en Haïti : Pratiques et défis ».
Trois journalistes de carrière et responsables de médias ont été les principaux intervenants. Marvel Dandin, directeur de l’information de Radio Kiskeya, Marcus Garcia, directeur général de Radio Mélodie et de l’hebdomadaire Haïti en Marche, les deux ayant chacun plus de 30 ans de métier, sont intervenus aux cotés de la journaliste Marie Raphaëlle Pierre, elle-même appartenant à une génération plus récente. Exerçant à Radio Ibo, la consœur est secrétaire administrative de l’Association des journalistes haïtiens (Ajh).
Cette soirée de réflexion a mobilisé plus d’une soixantaine de personnes, dont de nombreux journalistes, des professionnels de la communication sociale et étudiants en communication. On comptait également des représentants d’ambassades étrangères et de (divers groupes organisés de) la société.
La question de l’éthique journalistique a été abordée sur divers angles, en tenant compte du contexte médiatique et de la situation haïtienne en général. Les intervenants ont fait état de leurs expériences et points de vue sur l’éthique, exprimé leurs préoccupations à propos de multiples dérives constatées dans la pratique de la profession et ont souligné des défis à relever par la corporation.
Le journaliste Marcus Garcia s’inquiète de la perspective d’un contrôle des médias haïtiens par les secteurs financiers, une situation défavorable au respect de l’éthique journalistique.
Marcus Garcia dénonce une « puissante mainmise financière » sur les médias, objets d’une dynamique de concentration, qui tend à dévier la presse de son objectif, qui est d’informer, d’autant que le contexte organisationnel ne favorise pas, selon lui, des passerelles entre les associations du secteur. Dans ces conditions, Garcia craint que l’information devienne « captive des puissants groupes ».
De son coté, la journaliste Marie Raphaëlle Pierre constate différents accrocs à l’éthique journalistique en Haïti. Se basant sur plusieurs cas de dérogation à l’éthique professionnelle, la consœur estime que durant les 20 dernières années « la situation a empiré ».
Elle cite, en exemples, « des journalistes qui exigent d’être monnayés pour couvrir un évènement (…), un manque de respect de la vie privée des personnalités (et) une utilisation abusive des genres journalistiques ».
Pour sa part, le journaliste Marvel Dandin dresse un bilan désastreux en matière de respect de l’éthique journalistique en Haïti. Tout en admettant que la concentration et l’instrumentalisation des médias représentent des « menaces », Marvel Dandin perçoit « un sérieux problème » de « méconnaissance par des professionnels eux-mêmes des notions de base d’éthique ».
Observant les pratiques, qui ont cours dans le milieu, il s’interroge sur la capacité de « nos journalistes » à appliquer les « principes les plus élémentaires », qui régissent la profession.
Pour Marvel Dandin, nombre de journalistes ignorent les notions de protection des sources, secret professionnel, exactitude des faits, sens de responsabilité par rapport à l’information traitée, interdiction du plagiat, obligation de rectification, etc., et des pratiques intolérables s’inscrivent dans le quotidien. « Il y a péril en la demeure », estime Marvel Dandin.
A une question du public sur la relativité de l’obligation d’éthique quand « on est sous-payé », les intervenants s’accordent à souligner que l’exigence d’éthique professionnelle est « absolue », quelles que soient les conditions de travail des journalistes.
Ils reconnaissent, cependant, que de mauvaises conditions de travail peuvent avoir des effets sur le respect de l’éthique. D’où la nécessité, selon eux, que les deux problématiques soient posées en même temps, sans que l’une soit subordonnée a l’autre.
Des interrogations ont surgi également sur l’attitude à observer par les journalistes, en liaison avec des questions d’appartenance idéologique ou de pratique politique.
Selon Marvel Dandin, l’éthique exige que le distinguo soit établi « entre l’information et l’opinion politique » et d’éviter de « déformer les faits pour les ramener à des proportions convenables a son opinion politique ». Il ne faut pas sacrifier les exigences journalistiques au profit des exigences politiques, préconise-t-il.
Marcus Garcia exprime sa conviction que la capacité professionnelle et l’exercice honnête et consciencieux de la profession permettent aux journalistes de s’imposer, au-delà de l’orientation générale des médias. Il importe de « bien posséder son métier », relève-t-il.
Par ailleurs, Marie Raphaelle Pierre, pense que les médias doivent faire preuve de plus de rigueur dans le recrutement des travailleurs de la presse, de manière à ne pas permettre que « n’importe qui » puisse s’ériger en journaliste.
Elle admet, cependant, que le contexte actuel, marqué par un foisonnement de médias, en particulier des stations de radio (environ 200), dont les fréquences ont été accordées « à des gens qui ne savent rien du fonctionnement d’une station de radio », ne facilite pas un relèvement de la situation.
En outre, Marvel Dandin prône une atmosphère sereine d’échanges entre patrons de presse et journalistes, pour poser les problèmes (de conditions de travail et autres) avec « sérieux ». Il y a des revendications à soumettre aux patrons de presse et ces derniers ont « naturellement » des devoirs vis-à-vis des journalistes, qui doivent eux-mêmes renforcer leurs capacités professionnelles, soutient Marvel Dandin.
Durant les deux jours précédant la tenue de cette conférence-débats, 13 jeunes journalistes de différents médias de la capitale, dont 6 femmes, ont pris part à un séminaire sur les genres journalistiques.
La formation, conduite par le Groupe Médialternatif, portait principalement sur l’écriture journalistique et mettait l’emphase sur les genres les plus courants : la brève, le compte rendu, le reportage et l’interview.
Le séminaire se voulait un espace d’échanges en vue de renforcer les connaissances techniques des jeunes confrères et consœurs, et de leur permettre de réfléchir sur leurs pratiques quotidiennes. [gp apr 03/03/2008 11:00]