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Haïti / Débats sur la nationalité : Une redéfinition de la nation s’impose

Par le Groupe d’appui aux rapatriés et réfugiés (Garr)

Soumis à AlterPresse le 21 février 2008

Au cours d’une séance tenue à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de l’Université d’Etat d’Haïti, le lundi 18 février 2008, autour du thème "Nationalité, Citoyenneté et Migration", deux intervenants ont fait ressortir la nécessité pour la société haïtienne de clarifier sa vision et sa représentation actuelle de la nation afin d’aboutir à un consensus sur la question de la nationalité.

« Il est fondamental que ce débat ne se réduise pas au champ politique, mais que d’autres secteurs se prononcent également sur la question », a indiqué Me Patrick Camille, responsable de la Section Droits Humains et Migration au Garr, plateforme d’organisations travaillant sur la thématique de la migration, qui a pris l’initiative de cette rencontre.

Les deux intervenants, Véronique Talbot, étudiante en maîtrise en Droit international de l’Université du Québec à Montréal (UQUAM) et le juriste Beaubrun St Pierre, ont tour à tour présenté la problématique de la nationalité liée à la migration, dans le contexte international et haïtien.

Selon les contextes et les objectifs, l’approche sur la double nationalité diffère.

Véronique Talbot a donné l’exemple du Mexique, qui a opéré, en 1998, un changement de politique en matière de nationalité, en raison d’une importante communauté de migrants mexicains à l’étranger, notamment aux Etats-Unis d’Amérique, pays voisin. En dépit du fait que l’Etat mexicain reconnaît la double nationalité, des restrictions demeurent pour l’exercice de certaines fonctions liées à la sécurité nationale et à la définition de politiques publiques.

Le second cas de figure analysé fut celui du Canada, où la multinationalité est acceptée et aucune restriction n’est imposée pour l’exercice des droits civils, politiques, sociaux, économiques ou culturels. Sur 308 députés, le Parlement canadien compte 41 binationaux. L’une des raisons justifiant cette approche, explique Véronique Talbot, renvoie à « la situation de décroissance de la population canadienne qui a poussé l’Etat à opter pour une plus grande migration et à pratiquer le multinationalisme ».

Au terme de son exposé, la conférencière a relevé les avantages et inconvénients de la double nationalité. Face à la situation de certains pays qui se retrouvent avec des nationaux éparpillés aux quatre coins du monde, elle a souligné la nécessité d’une réflexion profonde autour du concept de nation et de transnationalisme.

Pour sa part, Me Beaubrun St Pierre, qui a abordé la problématique de la nationalité haïtienne par rapport au phénomène migratoire, a rappelé qu’une certaine conception de la nationalité en Haïti a toujours considéré l’adoption d’une nationalité étrangère comme un acte de trahison. Cette conception tire son origine du passé colonial et esclavagiste, et de l’âpreté des luttes pour l’indépendance et sa conservation dans un climat d’hostilité internationale.

« Faut-il, aujourd’hui, considérer comme traîtres nos migrants et migrantes qui sont nos plus grands contributeurs et qui ont opté, en terre étrangère pour une autre nationalité ? », s’est interrogé l’intervenant, qui a encouragé l’auditoire à répondre à un ensemble de questions pouvant l’aider à définir une nouvelle vision de la nationalité haïtienne qui cadre avec le contexte actuel.

D’autre part, Me Saint-Pierre a rappelé que, selon la législation, la nationalité est prouvée par les actes d’Etat Civil. Pourtant, l’Etat haïtien n’arrive pas encore à doter toute sa population d’actes de naissance, « alors que le débat sur la double nationalité fait rage », constate le juriste.

Il en a profité pour évoquer la situation de plusieurs générations de descendants d’Haïtiens nés-es en République Dominicaine et qui n’ont la couverture diplomatique d’aucun Etat. La nationalité leur est refusée alors que la Constitution dominicaine prévoit le jus soli, exception faite des fils et filles de diplomates et des personnes en transit.

Le conférencier a insisté sur la nécessité, à travers les représentations diplomatiques haïtiennes en territoire voisin, de doter les travailleurs migrants haïtiens de documents d’identité afin de réduire leur vulnérabilité et faciliter leurs démarches pour l’enregistrement de leur progéniture.

A la phase des débats, les universitaires présents et d’autres participants-participantes, issus d’institutions privées et publiques, ont formulé diverses questions et commentaires liés à la citoyenneté, la nationalité et la migration.

Une représentante de l’Office national d’identification (Oni) a donné l’assurance que « dans 10 ans, la modernisation de l’Etat Civil haïtien sera une réalité ; la Carte d’Identification Nationale ne posera aucun problème sur le plan de l’identification ».

Une étudiante a souhaité une solution au problème de non-documentation des descendants d’Haïtiens en République Dominicaine.

La Chargée de Plaidoyer du GARR, Martine Dorvilas, a encouragé les participants-participantes à poursuivre la réflexion et partager leurs points de vue à travers des correspondances et le Forum en ligne, mis en place par l’institution pour recueillir les avis des Haïtiens-Haïtiennes où qu’ils se trouvent.

Cette séance de réflexions à la Faculté de Droit de Port-au-Prince entre dans le cadre d’une série de rencontres-débats autour de la Nationalité, la Citoyenneté et la Migration, réalisées par le Garr en vue de recueillir les opinions de différents secteurs et régions sur la question.

Colette Lespinasse

Coordonnatrice