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Haiti / Monde / E-Gouvernement : Un impératif tant national que global

Par Jean-Marie Raymond NOEL, Ing., MSc

Soumis à AlterPresse le 19 février 2008

Le deuxième lundi de janvier 2008, dans son message à la Nation par-devant le Parlement, le Président René Préval déclara que l’une de ses deux priorités pour les trois (3) ans à venir est la Modernisation de l’Etat, en insistant sur le développement d’un système d’information fiable monté autour d’un ensemble d’outils numériques : registre civil, registre foncier, registre des sociétés commerciales, archives nationales. Plus loin, le Président associa cette modernisation à une utilisation des nouvelles technologies de l’information. Sans le nommer, il faisait donc référence à un programme d’e-Gouvernement [1], tout en reconnaissant que le travail ne sera pas facile : « Se pap yon travay fasil, men li endispensab e li dwe fèt ». Il s’agit maintenant de passer à l’action dès maintenant, pour espérer recueillir les premiers fruits très concrets d’ici 2011.

A cet effet, je recommande vivement aux Responsables le rapport de l’UNDESA [2] « From e-Governement to Connected Governance » sorti cette année 2008 [3]. Il est riche d’enseignement et peut aider dans la définition des stratégies. Il présente l’e-Gouvernement comme un auxiliaire significatif dans le processus de réforme de l’Administration publique entreprise dans nombre de pays sous l’impulsion des aspirations des citoyens. Néanmoins, souligne-t-il, le bénéfice réel de l’e-Gouvernement réside moins dans l’utilisation des technologies que dans leur application au processus de transformation.

Le suivi fait auprès de 189 pays montre que :
- à travers le monde, les gouvernements s’engagent de plus en plus dans des programmes d’e-Gouvernement ;
- compte tenu des préalables fondamentaux (infrastructure, politiques appropriées, potentiel humain, contenus adaptés), le progrès est lent. A ce jour, peu de pays consentent les investissements nécessaires pour passer de simples applications d’e-Gouvernance à un niveau de gouvernance plus intégrée et plus connectée ;
- en termes de connectivité, un réseau large bande robuste est un paramètre critique pour le développement d’applications et de services d’e-Gouvernement ;
- s’agissant du degré de préparation à l’e-Gouvernement, de très grandes différences subsistent entre les régions. L’Europe se détache avec un indice de préparation à l’e-Gouvernement égal à 0,6490 contre 0,2739 pour l’Afrique. Le succès des pays européens s’explique en grande partie par les investissements importants consentis en matière d’infrastructure et de connectivité ;
- sous la forte influence des Etats-Unis et du Canada, les deux seuls représentants du continent parmi les 35 premiers pays, l’Amérique vient en deuxième position avec un indice de 0,4936. En termes de participation citoyenne et d’interaction Gouvernement-Citoyens en ligne (e-participation), les Etats-Unis se classent en première position ;
- avec un indice global de 0,4480, la sous-région caribéenne améliore son score de près de 5% par rapport à 2005 ;
- des treize (13) pays caribéens retenus, Barbade arrive encore en tête avec 0,5667 et Haïti en queue de peloton ;
- l’indice d’ Haïti est pourtant passé de 0,1786 en 2005 à 0,2097, soit une augmentation de près de 17,5%, la plus forte progression de la zone après la République Dominicaine (plus de 21%) ; le pays est ainsi passé du 185ième au 165ième rang mondial, grâce notamment à une présence en ligne plus forte d’entités de l’administration publique. De 0 en 2005, l’indice correspondant (Web Measure Index) est calculé à 0,0635 en 2008.

Dans sa deuxième partie, le rapport insiste sur l’importance de l’Ingénierie des Connaissances (Knowledge Management) face aux défis croissants de l’Economie du Savoir. Reconnaissant que la principale ressource d’une organisation est l’ensemble des connaissances de ses hommes et femmes, et que les trois aspects essentiels à considérer dans la mise en place de stratégies d’Ingénierie des Connaissances (IC) sont : les gens, les processus et la technologie, le rapport souligne qu’une bonne IC est à même de :
- accroître la communication entre les différents « compartiments » de l’administration publique ;
- construire un environnement qui installe la confiance entre les employés ;
- promouvoir la créativité et l’innovation parmi les employés ;
- améliorer la qualité des relations avec les contribuables et les partenaires du secteur privé ;
- mieux approcher les questions de confidentialité, d’intégrité, et de disponibilité de l’information ;
- augmenter la productivité, l’efficience et la qualité des services fournis par l’institution publique ;
- offrir aux employés des opportunités de renforcement et de développement de leur carrière.

Le rapport relève une tendance plus forte vers la mise en œuvre de services gouvernementaux intégrés et coordonnés que vers le développement d’e-services. L’emphase est désormais mise sur la valeur des services fournis aux citoyens par l’administration publique. Cela ne se fera pas sans une consolidation des systèmes et processus en cours. Il convient donc de penser gouvernance connectée à travers la re–ingénierie de la technologie, des processus, des compétences, et des mentalités des officiels du gouvernement dans un cadre holistique. Avec les TIC, les efforts de gouvernance connectée contribueront à améliorer la coopération entre les agences gouvernementales, à permettre une interaction active et efficace avec les citoyens et une plus grande concertation avec les acteurs multisectoriels à l’échelle régionale et internationale.

En considérant d’un côté les objectifs principaux de l’e-Gouvernement et de l’autre les défis auxquels font face les responsables des pouvoirs publics, il est proposé une stratégie en trois étapes :
- création d’une infrastructure d’information tant dans l’administration publique qu’au niveau de la société at large en vue de permettre l’accès des citoyens, du secteur des affaires, et de tous autres acteurs en n’importe quel point ;
- Intégration de la nouvelle infrastructure dans l’ensemble des institutions du secteur public en vue d’un meilleur partage d’informations à l’interne et à l’externe ;
- poursuite du travail d’innovation dans les services et l’e-Gouvernement, dans la logique d’une gouvernance de réseau.

Le succès de l’intégration passe par l’existence d’acteurs du changement qui doivent se retrouver aux niveaux opérationnel et stratégique. Là où il y a acteurs du changement, il y aura bénéfices clairement articulés, compétences bien définies, et l’intégration des fonctions et des processus se fera sans heurts, traduisant bien que le succès ou l’échec est moins le fait de la technologie que celui des gens.

Le rapport conclut en présentant l’e-Gouvernement comme une dimension centrale de la capacité du monde à répondre collectivement à certains défis. Dans une ère marquée par l’interdépendance environnementale, économique et technologique, un plus haut degré d’interdépendance politique est aussi requis, ce qui fait de l’e-Gouvernement un impératif tant national que global.

Contact : raymond.noel@fds.edu.ht


[1e-Gouvernement : Désigné aussi Gouvernement électronique, il réfère à l’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC) par les services publics en vue d’améliorer leur efficacité, de réduire l’inefficience et de se rapprocher des citoyens et des entreprises.

[2United Nations Department for Economic and Social Affairs

[3Le rapport peut être téléchargé à l’adresse http://unpan1.un.org/intradoc/groups/public/documents/UN/UNPAN028607.pdf.