Par Vario Sérant, Patricia Sanon, Jeffson Bercy, Ferry Pigne, Myriame Etienne, Natacha Fresnel Mainsou
Soumis à AlterPresse le 13 février 2007
Située au nord de Port-au-Prince et traversée par le tronçon urbain de la (route) nationale numéro 1, Cité Soleil représente, de par sa superficie et (la taille de) sa population, le plus grand bidonville des Antilles. Elle compte près de quatre cent mille (400 000) habitants. Sa superficie exacte est difficile à établir en raison de l’absence d’une délimitation officielle définitive.
Cité Soleil ne génère pas de recettes communales ou d’impôts directs annuels. Cette agglomération est pourtant limitrophe de la zone industrielle de la capitale (ne faisant pas partie de sa juridiction). Cette situation confère à la Mairie de Cité Soleil un statut de Mairie assistée (par excellence), pouvant difficilement voler de ses propres ailes et jouer à fond la carte de la décentralisation.
Les habitants de Cité Soleil vivent en marge (par le bas s’entend) d’une bonne partie du pays, privés donc des services essentiels. Naguère (voire longtemps) une zone de « non droit » exposée et livrée à des violences multiformes, Cité Soleil connaît depuis peu une certaine accalmie. Mais la situation demeure pour le moins fragile. Une fragilité liée non seulement aux aléas politiques et à l’état des initiatives et actions ponctuelles en matière de sécurité et de justice, mais aussi et surtout aux problèmes structurels et récurrents que sont le chômage endémique, l’analphabétisme, la désertion des services publics, l’insalubrité, la faible couverture sanitaire, etc.
Une visite à la Mairie de Cité Soleil et un long et enrichissant entretien avec les édiles nous ont permis de réunir des éléments pour établir la grille d’analyse que voici :
Titre de la politique |
Nature de la politique |
Contexte spécifique de la
politique |
Philosophie |
Axes stratégiques et politiques |
Opérationnalisation |
Résultats |
Impact |
Politique communale d’éducation |
Expansion de l’accès a l’éducation
en faveur des habitants de Cité Soleil |
Insuffisance et détérioration des
infrastructures d’accès scolaire |
Scolarisation universelle et
modernisation du système éducatif Réduction
de l’éducation à double vitesse |
Réhabilitation et construction des
écoles communales Réforme
système éducatif Augmenter
l’accès aux Nouvelles Technologies de l’Information
et de la Communication (NTIC) |
Coopération externe Protocole
d’accord avec l’Université Quisqueya Centre
cybernétique |
4 Écoles réparées Le plan
de réforme du système éducatif existe X
élèves ont accès à l’éducation X
élèves ont accès aux NTIC |
Amélioration du système éducatif
à Cité Soleil Augmentation
de la fréquentation des écoles |
Politique communale d’urbanisation |
Aménagement de la commune Assainissement Cadastre |
Vulnérabilité de la commune face
aux intempéries Problèmes
liés à l’urbanisation (Bidonvilisation) |
Valorisation de la commune Cité
Soleil |
Gestion des déchets Gestion
des risques et désastres Plan de
réaménagement de la commune |
1) Financement externe 2)
Programme d’apaisement social (PAS) Protection
civile (coiffée par le Ministère de l’intérieur)
et structures déconcentrées Plan
Arbourg (projet d’études urbaine financées par le
Canada en vue de donner une réponse au problème d’urbanisation
de Cité Soleil) Food for
the Poor réponse aux problèmes lies à l’urbanisation |
a) Ramassage de X tonnes de
déchets b) X habitants employés c)
Curage de X canaux Le
Comité de gestion des risques et désastres existe X
nouvelles routes tracées Construction
de 200 logements sociaux |
Amélioration de la qualité de la
vie des habitants Amélioration
de l’habitat Diminution
du taux de chômage |
Politique sécuritaire |
Politique inclusive Epanouissement
et Emancipation des habitants de la commune |
Hausse de l’insécurité dans
la commune Climat
de grands banditismes Zone
rouge ou de non droits Bidonvilisation |
Recherche d’un climat
sécuritaire a Cite soleil Pacification Environnement
sur et stable |
Démantèlement et réinsertion de
gangs armés Réhabilitation
du commissariat de Cité Soleil Encadrement
de la population civile |
CNDDR (Commission Nationale de
Désarmement et de Réinsertion) Renforcer
et équiper les forces de sécurité. « Kay
Jistis » |
X membres de gangs armés s6nt
démantelés, réinsérés ou emprisonnés X armes
à feu remises ou récupérées Le
commissariat est réhabilité X
plaignants bénéficient d’un accompagnement
judiciaire |
Baisse du taux de criminalité dans
la commune Augmentation
du pourcentage de retour des déplacés Baisse
des cas de justice expéditive |
Politique Santé |
Politique participative |
Offre sanitaire limitée par
rapport à la demande Absence
de la CAMEP |
Améliorer la qualité de vie de la
population |
Augmenter l’offre sanitaire
communale par la construction d’un hôpital de
district Restructuration
du système de distribution d’eau courante |
Financement du gouvernement Cubain Partenariat
de la Mairie avec une ONG (CDS) |
1 hôpital communal est construit X
membres de la population bénéficient de l’eau
courante |
Amélioration des indicateurs de
santé Augmentation
du taux d’approvisionnement de la commune en eau
courante |
Politique Divertissements et
loisirs |
Santé mentale, physique et sociale |
Absence de lieux de loisirs
adéquats |
Epanouissement des habitants de la
commune de Cité Soleil. |
Réhabilitation des centres de
loisirs (cinéma, plage publique) |
Financement externe |
1- Cinéma (ciné Babette)
réhabilité 2- Places publiques réaménagées et
fonctionnelles |
1- Baisse de l’incidence et de
la prévalence des maladies liées au stress. 2- Baisse
du taux de la criminalité dans la commune de Cité
Soleil. |
Interprétation de la grille
Les politiques - mentionnées dans la grille - font partie d’un plan directeur élaboré par l’Administration communale de concert avec « la population » lors de « forums citoyens des notables ». Dit autrement, ce document cadre est le fruit de forums d’évaluation des besoins de planification des interventions réalisées dans les trente-quatre (34) quartiers de Cité Soleil avec la participation de membres de la communauté.
Les sources de financement de ces politiques dénotent une certaine indifférence du pouvoir central par rapport à la gestion des affaires de la commune et une absence de vision en terme de développement humain durable de Cité Soleil. La part relative du financement de ces politiques par le Trésor public est très faible.
Le gouvernement local (l’Administration communale de Cité Soleil) semble pétri de velléités et de volonté démocratiques en regard de leur démarche participative dans l’étude et l’exécution des plans.
Nombre de ces politiques sont inclusives et visent à améliorer les conditions de vie de la population durement éprouvée par les récentes crises que le pays a connues. On est toutefois en droit de se demander si les édiles ont les moyens de leurs politiques, celles-ci étant assujetties presqu’exclusivement aux financements externes (étrangers).
Politique éducative
La politique communale d’éducation rejoint - dans son esprit - les plus hautes préoccupations démocratiques et de justice sociale exprimées dans la Constitution (du 29 mars 1987). Elle vise à répondre, soulignes les édiles, à la demande de quelque cinquante mille (50 000) enfants en âge de scolarisation et (à) casser la logique d’une éducation à deux vitesses qui perpétue le classement des individus de la Cité et freine leur mobilité (sociale).
La démarche consistant à rechercher l’apport de l’Université Quisqueya à l’élaboration d’un plan de réforme éducative est louable. Elle procède d’une quête d’excellence et d’une volonté de bannir l’exclusion. La reconstruction des écoles aura à terme un impact certain sur le taux de scolarisation dans la commune, conformément au vœu de scolarisation universelle clairement exprimé par la charte fondamentale (la constitution).
Toutefois, comme nous le mentionnions chemin faisant, la question du financement reste un point d’achoppement vu que ces appuis financiers proviennent exclusivement de la coopération externe.
Politique d’urbanisation
La politique d’urbanisation s’attache à aménager l’espace physique de la commune, l’assainir et réduire sa vulnérabilité face aux intempéries.
Quelques résultats sont visibles en termes de ramassage de détritus, d’un certain nombre d’emplois directs et indirects (notamment pour des techniciens de surface) et (en terme de) tracé de routes.
À plus long terme, la politique d’urbanisation se propose d’améliorer la qualité de vie de la population de Cité Soleil, améliorer l’habitat et faire reculer (considérablement) le chômage).
Mais tous ces efforts peuvent déboucher sur des résultats très modestes en raison des limitations d’ordre opérationnel. La quasi-totalité du financement (non exempt de toutes sortes d’aléas) provient de la coopération internationale. Il en est de même pour l’expertise devant paver la voie à une éventuelle réponse aux problèmes d’urbanisation de la commune.
Le pouvoir central se fait sentir un tant soit peu (au niveau de l’opérationnalisation) à travers le Programme d’apaisement social (financé partiellement par le Trésor public et la « communauté internationale »).
Lancé officiellement par le gouvernement Haïtien en 2006, le PAS devait contribuer à lever les obstacles les plus évidents à l’inclusion sociale, rétablir l’accès aux services de base (eau potable, assainissement, électricité, infrastructures, santé et éducation), relancer la production nationale et créer des emplois pour les travailleurs non spécialisés.
Mais dans la réalité, le PAS a évolué en dents de scie et ne paraît pas avoir d’impact réel sur la vie de la population.
Politique sécuritaire
La politique sécuritaire cherche à exorciser un passé récent fait de turbulences politiques, de grand banditisme et de criminalité galopante ayant valu à Cité Soleil la réputation de « zone de non droit ».
Dans cette recherche d’un climat sécuritaire, sûr et stable, la Mairie est partie prenante d’initiatives et d’actions visant au désarmement, au démantèlement et à la réinsertion de gangs armés ainsi qu’au renforcement et à l’équipement des forces de sécurité de la Cité, à travers notamment la CNDDR.
Elle s’emploie également à encadrer la population civile à travers la réhabilitation du Commissariat et la mise en place d’une structure d’accompagnement des plaignants en matière judiciaire (« Kay Jistis »).
Quelques résultats sont tangibles comme la réhabilitation du Commissariat, la récupération d’un certain nombre d’armes à feu, le démantèlement, la réinsertion ou l’emprisonnement d’une quantité indéterminée de membres de gangs armés.
La politique sécuritaire a eu pour effet de réduire le taux de criminalité dans la commune et d’y faciliter le retour de plus en plus de déplacés (qui avaient fui les violences des récentes années).
Néanmoins, malgré les acquis sécuritaires à Cité Soleil, la situation (y) demeure fragile. En témoignent de récentes altercations entre chefs de bandes rivales, partie prenantes du programme de réinsertion (mis en place par la CNDDR) à la faveur d’un forum de sécurité communautaire organisé par la CNDDR avec l’appui du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD).
Politique de santé
La politique de santé se voudrait participative et viserait à améliorer la qualité de vie de la population. Pour parvenir à cette fin, la Mairie s’est employée à augmenter l’offre sanitaire à travers la construction d’un hôpital de district, grâce un appui du gouvernement cubain.
Elle a aussi entamé la restructuration du système de distribution d’eau courante à travers un partenariat avec une ONG locale, les CDS (Centres de Santé Communautaire). Ces initiatives ont débouché sur la construction effective d’un hôpital communal et d’une extension relative de la distribution de l’eau courante.
Si cette politique proactive de santé a certes influé positivement sur les indicateurs de santé, elle n’en constitue pas moins une goutte dans la mer, en raison des criantes limitations en terme d’opérationnalisation, comme nous l’évoquions plus haut pour d’autres domaines.
La Mairie s’appuie prioritairement sur des partenaires étrangers et ONGs locales. Le pouvoir central est présent à Cité Soleil à travers le Ministère de la Santé Publique et de la Population. Mais cette présence est marginale. La clinique communautaire du MSPP a en effet une capacité d’accueil extrêmement limitée par rapport à la demande (aux besoins) de (soins de) santé de la population de Cité Soleil.
Politique de divertissement et de loisirs
Pour pallier la carence, voire l’absence de lieux de loisirs adéquats à Cité Soleil, la Mairie s’est employée à réhabiliter des centres (de loisirs) dans un souci d’épanouissement des habitants de la commune.
Ces projets dont la plupart se sont déjà matérialisés comme la réhabilitation d’un cinéma (Ciné Babette) et le réaménagement de places publiques sont financés par des bailleurs étrangers.
Ces initiatives ont dû probablement peser, à côté d’autres facteurs déjà mentionnés plus haut, dans la réduction du taux de criminalité à Cité Soleil. En attendant que des statistiques (fiables) viennent le confirmer, on peut tout aussi penser qu’elles (ces initiatives) ont également entraîné une certaine de l’incidence et de la prévalence des maladies liées au stress.
Conclusion
Les politiques publiques en cours à Cité Soleil à l’initiative de la Mairie semblent refléter en grande partie les principes et préoccupations démocratiques édictés par la Constitution Haïtienne ainsi que les besoins identifiés et exprimés par la population, à travers notamment les « forums citoyens de notables » des trente-quatre (34) quartiers du vaste bidonville.
Cependant, ces politiques achoppent sur des problèmes opérationnels sérieux inhérents à la quasi-absence de l’État central dans la Cité. L’État a semble-t-il choisi de faire dépendre le fonctionnement et la survie de cette commune des aléas de la coopération internationale, en dehors de tout projet national transversal et inclusif.
Par ailleurs, dépourvue de recettes internes (propres), consécutivement à une délimitation (quoique non définitive) jugée discriminatoire, la Mairie ne peut pas jouir d’une réelle autonomie telle que stipulée dans la Constitution.
Pour la plupart des initiatives qu’ils souhaitent entreprendre, les édiles n’ont d’autres choix que d’entreprendre des démarches auprès du pouvoir central (du Ministère de l’Intérieur plus précisément). Le sort de telles démarches est souvent lié à des considérations d’ordre politique. Car, malgré son dénuement, Cité Soleil représente un enjeu politique important.
La décision de faire voter par le Parlement un budget précis pour chaque commune (chaque Mairie) pourrait porter l’État central à se décharger d’un certain nombre de responsabilités et renforcer la marge de manœuvre des administrations communales face aux réponses à donner à certains besoins identifiés et exprimés par la population.
Bien entendu cela suppose aussi une gestion transparente, saine et éclairée de la part des Mairies et une évaluation constante des politiques (dans les municipalités) de sorte à mesurer l’efficacité à l’aide d’indicateurs de performance pour, dans un second temps, en apprécier la pertinence.
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Références bibliographiques
http://www.pyepimanla.com/decembre/cite_soleil.html
http://www.operationspaix.net/Haiti-a-la-croisee-des-chemins
http://www.ena.fr/index.php?page=ressources/rapports/memoires/1999/andrianirina
http://www.afsp.msh-paris.fr/activite/groupe/pp/pptxt.html
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/evaluation-politiques-publiques/index.shtml
MINOT, Didier et al, Le projet de territoire, _ http://www.redcross.int/FR/mag/magazine2006_2/10-11.html
http://www.enfants-soleil.org/Chap_Activites/ecoles_partenaires.htm
Séances Politiques Publiques, Prof. Wilson Jabouin, CEPODE, 2007