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Haiti : « Je ne reviendrai jamais à Port-au-Prince, je ne suis pas fou »

Extrait du texte de la Campagne 2008 de l’organisme belge Broederlijk Delen, dont le Groupe Médialternatif est l’un des partenaires en Haiti

Basé sur l’histoire de la vie d’un paysan de Cap Rouge (Sud-Est d’Haiti)

Repris par AlterPresse le 11 février 2008

« En comparaison avec la capitale Port-au-Prince, Cap Rouge est le paradis », dit le paysan Joachim Sanon.

« Il n’y a pas de bruit et qui veut du travail, peut manger. Je n’y retournerai jamais, je ne suis pas fou ».

Joachim habite avec sa femme André-Rose Lycée une petite ferme dans les collines de Cap Rouge, dans la commune de Cayes-Jacmel, près de la côte Sud-Est d’Haïti. Ils ont quatre enfants. Jodel Archange (10 ans), Rose Hermith (6 ans) et Frantz Cadet (3 ans) habitent à la maison. Méliza (7 ans) habite chez sa marraine. André-Rose est enseignante dans l’école primaire de Cap Rouge. Les cours n’ont lieu que le matin. L’après-midi, elle travaille comme paysanne. La famille est membre de VEDEK, une organisation paysanne spécialisée en formations en techniques agricoles, qui prend aussi des initiatives pour améliorer le revenu et la qualité de vie des ménages. Joachim est trésorier de VEDEK.

Les projets qu’il avait quand il était jeune étaient complètement différents. En 1981, il était parti à Port-au-Prince pour étudier l’électronique et était déterminé à ne plus jamais retourner à la campagne. Un diplôme en poche lui aurait permis de mener une belle vie en ville. « La première confrontation avec Port-au-Prince fut un choc », raconte-t-il. « Je logeais chez des connaissances de ma mère. Nous étions seize dans une maison et avions faim tous les jours. Parfois, je retournais chez moi à la campagne pour chercher de la nourriture pour pouvoir continuer quelques jours de plus’. Il ne pensa pas à renoncer : « Tu te raidis. Tu veux prouver que tu peux quand même survivre dans la ville. J’emménageai dans la maison d’un copain et alors, ça alla un petit peu. J’étudiais et je travaillais en même temps. Après d’avoir obtenu mon diplôme en 1985, j’ai pu commencer dans une usine de pièces électroniques, un emploi mal payé ».

À cette époque-là, il déménage de nouveau, cette fois-ci à Cité Soleil, le grand bidonville de Port-au-Prince. Joachim garde de mauvais souvenirs des six ans, qu’il a vécus là-bas : « Seuls des animaux peuvent vivre là. Des moustiques et des rats. On y habite l’un sur l’autre ; ça pue terriblement ; l’eau est polluée, Il y a la misère et un grand manque d’hygiène… Mais, ma réaction fut de nouveau de résister. Je voulais réussir. Je ne voulais pas tomber en chômage et acceptais aussi le travail de nuit. C’était une vie indigne ».

Le coup de grâce arriva le 30 septembre 1991, le jour du coup d’État contre le président Aristide. L’usine ferma. « Pour moi-même, le coup d’État fut au fond une délivrance », dit Joachim : « Après 11 ans de vie urbaine, je décidai de retourner à Cap Rouge chez mes parents et de donner un nouveau départ à ma vie ».

Paysan à Cap Rouge

« Mes parents furent heureux de me voir, mais ils n’avaient pas compris que je voulais rester », sourit Joachim. « Même quand j’achetai des cochons, ils pensèrent que c’était pour les manger en ville et pas pour les élever. La première année, je travaillai avec eux à la ferme. Plus tard, ils me donnèrent une partie de leur terrain afin que je puisse commencer ma propre ferme. En 1992, je commençai la culture des bananes. J’achetai 250 souches. Les gens ici pensèrent que j’étais fou, parce que je traînais avec moi un bac pour les excréments des animaux, comme fumier pour mes plants de bananes. Plus tard, ils virent les résultats et commencèrent, eux aussi, à utiliser les engrais organiques ».

Joachim devint ainsi pionnier d’introduction de nouvelles techniques agricoles, que la plupart des paysans de la région utilisent maintenant. André-Rose et Joachim montrent comment et pourquoi ils attachent leurs cochons à un fil, dans la plantation de bananes. Chaque jour, ils attachent les animaux à un autre plant de banane, de manière que le fumier tombe directement au bon endroit. Dans leur jardin, ils cultivent des ignames, des haricots, des légumes et des fruits.

« Et ainsi, la vie ici à Cap Rouge n’est pas mal », trouve Joachim. « Nous avons une maison. Notre alimentation est abondante et variée. Nous avons une famille. Nous avons pris la responsabilité et nous l’avons reçue ».

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