P-au-P., 16 janv. 08 [AlterPresse] --- Située dans le département du Sud-Est, la ville de Jacmel, à 121 kilomètres au sud-est de la capitale et qui s’apprête à célébrer "son carnaval nationalf" le dimanche 27 janvier 2008, figure parmi les chefs lieux qui connaissent un taux d’accroissement annuel modéré par rapport à d’autres départements géographiques du pays, observe l’agence en ligne AlterPresse.
Les mouvements de population constatés ces soixante dernières années ont connu diverses phases. Ces mutations, dans lesquelles interviennent notamment les variables migratoires, ont influé sensiblement sur la situation socio-économique de la ville.
Les déplacements ou sorties (de population)
Jacmel a subi une véritable hémorragie à la fin de la première moitié du vingtième siècle. Des familles entières ont laissé cette ville pour aller s’établir à Port-au-Prince.
On a relevé parmi ces « déplacés » (volontaires) de grandes figures de la bourgeoisie commerçante. Progressivement, le bord - de mer où se concentrait le négoce - s’est vidé, faisant perdre à la ville sa réputation de cité commerçante et d’exportation par excellence.
La décision, plus tard, du gouvernement de François Duvalier de centraliser les activités d’exportation à la capitale (haïtienne) apportera le coup de grâce à Jacmel, comme à d’autres villes portuaires d’Haïti. Le port de la ville sera fermé vers les années 1960.
Cette tendance (au départ) s’est accentuée au cours de ces années (1960). Le mouvement a surtout touché cette fois-ci des professionnels de la classe moyenne. De nombreux professeurs et avocats (entre autres) ont émigré en Afrique et en Amérique du Nord pour des raisons politiques et économiques.
Les entrants ou arrivants
Parallèlement à ces déplacements, la ville a accueilli de nouveaux arrivants.
Ces gens sont venus principalement de certaines localités environnantes, comme « La Montagne », « Montagne La Voûte », « Mabial », « Kalafon », Cap Rouge, Marigot, Cayes-Jacmel, Pérédo et Belle-Anse.
Ces nouveaux arrivants sont majoritairement des paysans en quête d’un emploi et d’autres (paysans) fixant la résidence de leurs enfants (à Jacmel), de sorte que ces derniers puissent poursuivre leurs études, les établissements scolaires de leurs localités ne dépassant pas (le plus souvent) le cycle primaire.
Le taux de croissance annuel de la population de Jacmel a varié, pour la période allant de 1971 à 1982, autour de 3.17%, contre 1.32% et 1.71% pour les périodes 1950-1971 et 1971-1982 respectivement.
Cette progression de la population a coïncidé avec (l’époque de) la construction de la Route de l’Amitié sous le gouvernement de Jean Claude Duvalier.
Cette (nouvelle) route, venue remplacer celle très cahotante qui passait par Carrefour Fauché (en allant vers Grand Goâve, dans le département de l’Ouest), a facilité l’accès de Jacmel à des habitants de sections communales limitrophes (entre Jacmel et Léogane plus précisément).
Une fois établis à Jacmel, ces paysans s’adonnent au commerce de détail (« chenjanbe », « fritay », etc.). Mais la très grande majorité vit, en fait, d’expédients.
A partir de l’année 2000, on a constaté l’établissement à Jacmel d’un certain nombre d’éléments de la classe moyenne de Port-au-Prince et de quelques ressortissantes et ressortissants étrangers.
La plupart s’y fixent définitivement, alors que d’autres y mettent une maison de villégiature. Ce dernier cas est perceptible notamment dans les environs de la métropole du Sud-Est (Meyer, les Orangers, Marigot, Cayes-Jacmel, Raymond Les Bains, Lamandou).
L’adoption, par ces groupes, du chef lieu du Sud-Est résulte du fait que Jacmel réponde à un certain nombre de conditions, à savoir la sécurité, l’électricité (24h/24, du moins jusqu’à tout récemment) et une certaine vie nocturne.
Causes
A côté des autres variables démographiques que nous n’analysons pas dans ce texte, celle de la migration (sorties / entrées) nous a semblé d’une extrême pertinence pour comprendre la dynamique de la croissance de la ville de Jacmel.
Les données recueillies nous ont permis de voir que les facteurs d’expulsion ont surtout été d’ordre politique et économique. En revanche, ceux (les facteurs) d’attraction sont d’ordre économique, éducatif et sécuritaire.
Conséquences
Les conséquences de la dynamique de la croissance de la ville de Jacmel sont multiples.
Sur le plan strictement économique, la ville est passée de son statut de ville d’exportation par excellence - du milieu du XIXe jusqu’au milieu du XXe siècle - à une ville où domine un commerce traditionnel axé sur l’achat/(re)vente (sur le marché local) de riz, de haricots, d’huiles et de la quincaillerie.
Bien entendu, la variable migratoire doit être combinée, entre autres, au facteur politique pour une bonne compréhension de cette transformation. La dynamique de la croissance de Jacmel a, par ailleurs, entraîné un certain dynamisme au niveau des (petits) métiers de la construction.
Sur le plan éducatif, la pression de la demande a entraîné une multiplication d’écoles (des « écoles borlettes ») ne répondant pas aux normes pédagogiques élémentaires.
L’arrivée, de plus en plus, de jeunes ne parvenant pas à trouver un emploi a donné lieu, à partir des années 1990, à des attroupements quasi-quotidiens devant des maisons de la ville.
Ces regroupements (de jeunes) sont communément appelés, de manière péjorative, « Base ».
A l’oisiveté est venue se greffer - par effet d’entraînement - la prostitution qui gagne du terrain chez la population juvénile, en particulier chez les adolescentes.
Cette expansion de la prostitution ne serait pas non plus sans lien avec les pressions subies (ou « l’attraction »), par cette catégorie (juvénile) vulnérable, d’individus ayant (ou perçus comme ayant) des moyens pécuniaires (des éléments de la « diaspora », des éléments venus de Port-au-Prince, des étrangers).
Le déséquilibre entre l’offre et la demande – inhérent à la dynamique de croissance de la population – a fait exploser les prix dans divers domaines, en particulier dans le secteur du logement. Les tarifs des loyers et les prix d’achat des terrains n’ont presque rien à envier à ceux pratiqués à Port-au-Prince.
Au niveau des transports en commun, la dynamique de croissance (de la population) - ayant suivi notamment la construction de la Route de l’Amitié - a entraîné l’apparition des taxis motos (et de véhicules publics ou taxis depuis quelques années maintenant) reliant diverses localités environnantes de Jacmel, à partir de la gare routière aménagée à quelques kilomètres (entrée nord de la ville).
Si cette activité génère des revenus pour de nombreux jeunes, on doit admettre qu’elle se fait dans des conditions venant augmenter l’insécurité routière. En moyenne, on enregistre quatre à cinq accidents de la circulation impliquant ces taxis motos.
Des effets sont à noter également sur le plan artistique et culturel.
Par exemple, la dynamique de croissance de la population a influé sur les meringues carnavalesques. Celles-ci, jadis élaborées et exécutées (rigoureusement) par des musiciens professionnels à l’aide de partitions, vont faire une grande place à des instruments utilisés par les groupes de rara, comme les cornets (instruments de fabrication locale en tôle galvanisé).
Conclusion
Ce texte s’est limité à déterminer les causes et conséquences de la dynamique de la croissance de la ville de Jacmel. Il ne privilégie ni ne préconise une approche particulière pour résoudre les problèmes observés.
Néanmoins, les données recueillies sont suffisamment parlantes et montrent l’urgence de mettre en œuvre des politiques publiques prenant en compte les variables démographiques. [vs rc apr 16/01/08]
Sources :
Entretien avec Fritz Valescot, natif de Jacmel, superviseur au 2e recensement général de la République d’Haïti en 1971, passionné d’histoire, ancien animateur de l’émission radiotélévisée à succès « Fèy Payye Listwa »
Entretien avec d’autres Jacméliens dont Pierre Maxence Perpignand, expert-comptable, qui est très impliqué dans des secteurs associatifs et des activités d’encadrement des jeunes.
http://www.alliance-haiti.com/societe/ville/jacmel.htm
Séance Enquêtes Démographiques, Prof. Raymond Gardiner, CEPODE, 2007