Dossier
Par Vario Sérant
P-au-P., 8 janv. 08 [AlterPresse] --- L’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme stipule que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux nécessaires, et qu’elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas, de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».
Cet article reste un vœu pieux pour quelque huit cent millions de personnes dans le monde qui survivent avec des revenus inférieurs au minimum vital, à la ligne de pauvreté.
L’ONU range ces individus dans la catégorie des gens extrêmement pauvres.
Ne convientt-il pas de faire une analyse critique de la définition de la « pauvreté extrême par l’approche revenu » en se basant sur le mode (ou les systèmes) de vie des gens considérés comme extrêmement pauvres en milieu rural Haïtien ?
La pauvreté extrême
La pauvreté extrême reflète, suivant « l’approche revenu des Nations Unies », la situation d’une personne qui doit se débrouiller avec moins d’un dollar américain par jour.
Elle traduit une sorte de gradation dans l’état de pauvreté ; celle-ci étant considérée comme une privation durable ou chronique des ressources, des possibilités, des choix, de la sécurité et de la force nécessaire pour jouir d’un niveau de vie suffisant et des droits civils, culturels, économiques, politiques et sociaux.
Cette situation, telle que définie par la Sous-Commission des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, débouche sur une extrême difficulté, voire une impossibilité pour les personnes et les communautés d’assumer de nouveau leurs responsabilités et de retrouver la jouissance de leurs droits, dans un avenir prévisible.
Dit autrement, la situation d’extrême pauvreté n’est que l’aboutissement d’une (situation de) pauvreté ayant perduré, parfois pendant plusieurs générations, et qui est ponctuée (rythmée) par des privations multiples (et persistantes).
Le milieu rural Haïtien au cours des deux dernières décennies
Au cours des deux dernières décennies, le milieu rural Haïtien a fait l’objet d’études diverses. Ces études se recoupent sur un point fondamental, à savoir l’ampleur de la misère qui assaille les ruraux Haïtiens.
Déjà en 1988, l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) informait que les ruraux Haïtiens vivaient dans la pauvreté absolue. Pour chaque centaine de personnes dans la population rurale, 95 n’avaient pas suffisamment de moyens de subsistance pour satisfaire leurs besoins primaires. À l’échelle (globale) du pays, ces individus représentaient 80% de la population.
Cette étude de la FAO montrait que 90% des ruraux pauvres, classés comme des indigents, n’avaient même pas la possibilité d’acheter le minimum d’aliments nécessaires.
Quatre ans plus tard, soit en 1992, le Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA) classait Haïti parmi les quatorze pays de l’Amérique Latine où la pauvreté rurale était sévère. Se basant sur l’Indice de sécurité alimentaire, la FIDA constatait un accroissement de la pauvreté sur une (période d’) environ vingt-cinq ans (1965-1988).
Cette étude relevait pour la période considérée une progression de l’ordre de 74,95% du nombre des ruraux vivant dans la pauvreté absolue. Cette situation affectait notamment les petits agriculteurs, les ruraux sans terre, les travailleurs ruraux journaliers, les petits artisans et les jeunes chômeurs ruraux.
Le milieu rural Haïtien aujourd’hui
La plus récente enquête réalisée par l’Institut Haïtien de Statistique (IHSI) sur les conditions de vie en Haïti (ECVH-2001) confirme une plus grande incidence et profondeur de la pauvreté en milieu rural (où vivent deux Haïtiens sur trois) par rapport au milieu urbain. Elle fait voir en effet que sur chaque dizaine d’Haïtiens pauvres, huit vivent en milieu rural, avec un revenu oscillant en moyenne entre un et deux dollars par jour.
L’ECVH-2001 met à nu la situation des ruraux Haïtiens à travers une analyse des systèmes de vie axée sur l’accès des ménages aux différents capitaux naturels, physiques, financiers, humains ou sociaux.
Le capital naturel inclut la terre, les ressources hydriques ou biologiques ; le capital physique comprend le capital qui est créé dans les processus économiques de production ; le capital financier renvoie au stock d’argent, ou à des substituts accessibles au ménage ; le capital humain se réfère à la main d’œuvre disponible pour le ménage, et à sa qualité mesurée par l’éducation, les savoir-faire et l’état de santé ; le capital social se rapporte in fine à la réciprocité entre les communautés et les ménages sur la base de confiance dérivée des liens sociaux.
Les données de l’IHSI montrent qu’il n’y a pas eu d’avancées significatives dans les conditions de vie de la population rurale Haïtienne depuis la fin des années quatre-vingt (1980). La comparaison de celles-ci (ces données) avec des indices calculés vers les années quatre-vingt-dix par diverses institutions dont la FAO révèle même un déclin de la principale activité du milieu rural, à savoir l’agriculture.
En milieu rural, la situation se traduit, selon l’ECVH-2001, par des droits de propriété non définis (malgré un accès étendu à la terre parmi les ménages), un faible accès des ménages aux biens de consommation et d’équipements, un accès limité au capital financier et aux principaux animaux de ferme, le non accès à l’infrastructure publique de base, une amélioration du capital humain se manifestant par une augmentation rapide du niveau d’éducation parmi les jeunes générations, et enfin par une forte cohésion sociale (une amélioration du capital social).
Typologie des systèmes de vie en milieu rural et résultats y afférents
A partir d’une combinaison des données de l’enquête ECVH avec des études qualitatives (ADRA 1997 : 140 et passim), l’IHSI propose une nomenclature qui se décline en six temps.
Le premier fait référence aux ménages ayant accès à la terre et dont les principales sources de revenus proviennent de l’Agriculture ; le second concerne le commerce et l’artisanat et se réfère (par conséquent) aux ménages dont le principal revenu provient de la vente de divers produits non agricoles ou d’artisanat ; le troisième se rapporte à la production du charbon de bois et implique les ménages dont le principal revenu provient de cette activité ; le quatrième renvoie aux ménages qui tirent leurs revenus de la vente du poisson ou des produits de la pêche ; le cinquième s’intéresse aux ménages dont la principale source de revenus provient de salaires en espèces ou en nature ; le sixième et dernier temps a trait aux ménages dont aucun membre ne travaille actuellement et dont le principal revenu provient des transferts et/ou internes ou d’autres rentrées (héritage, gains dans le cadre de jeux de hasard compris).
Analyse critique de la définition de la « pauvreté extrême par l’approche revenu » en regard du mode de vie des ruraux considérés comme extrêmement pauvres
Le dénuement des zones rurales paraît plus qu’évident en regard de l’accès limité aux infrastructures. Par exemple, seulement 4% des ménages extrêmement pauvres (en milieu rural) ont l’électricité alors que l’approvisionnement en eau par robinet dans le logement (y) est placé pour 2% des ménages extrêmement pauvres.
À la rareté remarquable de capital physique caractérisant le milieu rural se trouve greffée la stagnation du secteur agricole en termes d’accès à la technologie et au capital humain.
À l’instar de tous les pays latino-américains ou presque, la pauvreté en Haïti est de loin plus marquante, à la fois par son incidence et sa profondeur, en milieu rural qu’en milieu urbain.
Selon l’ « ECVH-2001 », 67% de la population rurale vivent avec moins d’un dollar par jour (contre 23% des personnes de l’Aire métropolitaine de Port-au-Prince et 57% des autres villes) et 88% vivent avec moins de deux dollars.
En dépit de ces évidences, l’approche monétaire ne suffit pas à expliquer les disparités en terme de « richesse » ruralo-urbaine. D’autres mesures sont à prendre en compte comme celles relatives aux capacités humaines ou aux besoins de base.
L’examen des conditions d’accès des ruraux pauvres à diverses composantes-clés du capital - personnifié par la terre, les animaux d’élevage et la technologie - montrent certaines limites de l’adaptation de l’approche monétaire au contexte économique Haïtien.
À la différence de nombreux pays de l’Amérique Latine dont le non accès à la terre constitue l’une des marques et causes (essentielles) de la pauvreté, en Haïti, même les ménages les plus pauvres ont accès à la terre. 80% des ménages ruraux ont accès à la terre. Autant dire que le non accès à la terre n’est pas une caractéristique de la pauvreté rurale Haïtienne. Mieux, la proportion des ménages ayant accès à la terre est plus élevée parmi les ménages extrêmement pauvres et les pauvres que les parmi les ménages ruraux non pauvres.
Par ailleurs, la population rurale diminue l’écart qui le sépare des résidents urbain en termes de capacité à lire et à écrire et de niveau d’éducation.
Haïti diffère des cas de pauvreté rurale latino-américains, non seulement sur le plan de la distribution de la terre, mais aussi au niveau de la composition du revenu des ménages. Les données montrent en effet une faible corrélation entre la superficie agricole et le revenu total du foyer.
En tant que phénomène multidimensionnel, la pauvreté requiert pour (bien) la cerner une ouverture sur plusieurs approches. Dans le cas d’Haïti plus particulièrement, on ne saurait se baser uniquement sur la pauvreté monétaire traditionnelle. Il faut aussi recourir aux indicateurs de capacité tels que la capacité à lire et à écrire ainsi que l’état nutritionnel. Il importe de parvenir à une synthèse des deux approches utilisées dans la pratique. Nous voulons parler de l’approche quantitative résumée à travers un indicateur monétaire ou non monétaire et de l’approche subjective basée sur la perception par les populations de leurs conditions d’existence, s’autodésignant pauvres ou non pauvres en fonction de critères qui leur sont propres. [vs gp apr 08/01/2008 14:00]
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Références Bibliographiques
http://www.geocities.com/pub1haiti/pauperur.html
http://www.franciscansinternational.org/issues/ExtremePoverty.fr.php
http://www.canadiangeographic.ca/worldmap/cida/poverty.asp?language=FR
IHSI, Enquête su les conditions de vie en Haïti (ECVH-2001), Vol II, FAO, PNUD, Juillet 2005
Séances Cours « Population et Pauvreté » animée par le professeur Dario-Styve CÉLESTIN, CEPODE, 2007
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Cet article fait partie d’une série intitulée « Nou tout konte » et réalisée avec le concours du Fond des Nations-Unies pour la Population (UNFPA). Dans ce cadre, des chroniques radios hebdomadaires sont également diffuées sur Radio Kiskeya suivant l’horaire ci-dessous :
- Mardi, au journal de 6 :00 AM
- Mercredi au journal de 7 :00 AM
- Jeudi au journal de 4 :00 PM
- Vendredi, peu avant le journal des sports (12 :55 PM)