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« Nou tout Konte » - Chronique sur Population et Développement

Le Système d’État Civil d’Haïti par rapport aux recommandations des Nations Unies

Dossier

Par Vario Sérant, Patricia Sanon, Jeffson Bercy, Ferry Pigne, Myriame Etienne

P-au-P., 27 dec. 07 [AlterPresse] --- Le Système d’État Civil Haïtien enregistre les principaux faits recommandés par les Nations Unies. Est-ce un signe de bonne santé de ce système ? L’analyse du fonctionnement de ce dernier, à partir des recommandations faites par les Nations Unies, nous montre que des avancées sont à noter, nomment à ce qui a trait aux déclarations et enregistrements des naissances (vivantes). Toutefois, le système présente encore pas mal de failles et n’est pas à l’abri des fraudes opérationnelles.

Une première ombre au tableau

D’emblée, il y a lieu de souligner comme (une) ombre au tableau le non enregistrement par le système d’État Civil Haïtien des décès fœtaux. L’enregistrement de cet événement est considéré comme prioritaire par les Nations Unies, après bien entendu les naissances (vivantes) et les décès. Selon l’ONU, l’enregistrement systématique d’un tel acte peut aider à mieux appréhender la fécondité et la grossesse.

En Haïti, cette exigence bute sur plusieurs facteurs dont l’absence d’un personnel entraîné pouvant déceler les cas de mort foetale et de mort apparente. Or, de nombreuses femmes accouchent chez elles, dans des conditions inappropriées, en marge des structures de soins et de prise en charge.

Dans divers hôpitaux, comme à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, les données sur le nombre de décès fœtaux sont souvent disponibles, mais la Justice ne les recueille pas pour produire des actes de décès.

Les tabous

Un autre handicap à la déclaration et à l’enregistrement des décès foetaux découle de la persistance des tabous à propos de l’avortement en Haïti. Cette pratique se fait assez souvent en catimini et n’est de ce fait pas déclarée.

À part la mort fœtale, les autres événements d’État civil que les Nations Unies recommandent d’enregistrer sont respectivement les naissances vivantes, les décès, mariages et divorces, les annulations et séparations légales, les adoptions, légitimations et reconnaissances.

Où se procurer les formulaires d’actes d’État Civil ?

Les formulaires d’actes s’acquièrent généralement au bureau de l’officier d’État Civil gratuitement. Nous voulons parler notamment des formulaires d’actes de naissance, de reconnaissance et de décès. D’autres types d’actes sont relativement chers et plus difficiles à obtenir. C’est le cas en particulier de l’acte d’adoption. Par ce dernier acte, l’État confie la garde d’un enfant à un ou des parent (s) adoptant (s) qui (n’est pas) ou ne sont pas biologiquement le (s) sien (s). L’adopté est généralement un enfant abandonné, plus rarement un orphelin.

Dans certains pays, la livraison de l’acte d’adoption est précédée d’un bilan psychologique des demandeurs. Mais en Haïti, l’aspect qui est surtout pris en compte est la capacité financière des demandeurs. Dans le cadre d’une demande d’adoption, celle-ci peut dans certains cas ne pas être agréée dans le cas où les demandeurs ont déjà des enfants. Car, Il est question d’abord de préserver l’intérêt des enfants biologiques.

Dans le cas d’enfants (nés vivants, mais) abandonnés à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti par exemple, c’est la Mairie qui donne un document (papier) en vue de l’acquisition de l’acte.

Différents types d’actes de naissance

On distingue généralement la déclaration père et la déclaration mère. Dans le premier cas, c’est le père qui fait la déclaration alors que dans le second (cas), c’est la mère qui fait la déclaration sans que le nom du père n’y figure.

Au cas où le père veut reconnaître l’enfant après (que) la déclaration mère (ait été faite), il se doit de faire faire, à l’aide de l’acte de la mère, un acte de reconnaissance. L’acte de reconnaissance confère à un individu le statut de père ou de mère d’un enfant dont il dit être le géniteur.

Dans le cadre de la déclaration simple de naissance, les parents (biologiques) disposent d’un délai de deux ans. Passé ce délai, il faut recourir à la déclaration tardive.

Déclaration tardive de naissance

Les déclarations tardives de naissance - qui étaient très courantes dans le temps - sont devenues moins fréquentes ces deux dernières années. Cette baisse s’explique notamment par la décision prise par l’État Haïtien (sous la présidence de Jean Bertrand Aristide) de permettre à tout un chacun d’avoir gratuitement un acte de naissance.

De nos jours, des mécanismes et dispositifs sont mis en place dans certains hôpitaux pour que, dès la naissance de l’enfant, ses parents puissent recevoir un certificat de naissance et remplir un formulaire d’acte de naissance.

Cette disposition salutaire permet de rattraper les naissances non déclarées au niveau du système de soins et de prise en charge. Cependant, elle n’influe en rien sur les naissances vivantes enregistrées en dehors des hôpitaux.

Déclaration tardive : Typologie

La déclaration tardive de naissance peut prendre plusieurs formes. On parle par exemple de « tenant lieu d’acte de naissance ». On y recourt quand les parents sont décédés.

Le tenant lieu peut se faire également par une tierce personne pour le compte de parents empêchés. On l’appelle alors « déclaration tierce ».

À la différence du tenant lieu d’acte de naissance, la déclaration tardive de naissance (sous sa forme classique) s’applique dans le cas où les parents sont vivants et où l’enfant n’a pas été enregistré au Bureau d’État Civil.

On distingue enfin la déclaration tardive par décret qui réfère à un acte juridique (par décret) par lequel l’État autorise l’enregistrement de l’enfant ou tout individu n’ayant pas été dûment enregistré au Bureau d’État civil. La déclaration tardive par décret est maintenant dépassée. Elle n’a été appliquée que par trois gouvernements éphémères (en 1988, en 1995 et 2002).

Incohérences

Des incohérences sont souvent relevées dans les différents actes. Il y a en effet des cas où les informations fournies par le déclarant ne concordent nullement avec celles que contiennent les extraits d’archives. Les informations entachées d’inexactitude et d’incohérence concernent généralement les date, nom et sexe.

Il est par ailleurs à signaler le fait que le Ministère de la Justice ne livre pas toujours à temps les documents (formulaires des actes, registres) au Bureau d’État Civil. Ceci a pour effet de ralentir le service et d’irriter les demandeurs (d’un tel service), donnant lieu à une sorte de tohu-bohu.

Possibilités de fraude

Un particulier peut toujours s’aviser de concocter un acte. C’est l’extrait qui permettra de vérifier son authenticité. Le numéro figurant sur l’acte doit correspondre à celui de l’extrait. Il est difficile, voire impossible, de retrouver l’extrait quand les informations consignées à la marge de l’acte (les informations données par le déclarant) diffèrent de celles figurant à l’intérieur de l’acte et de celles contenues dans l’extrait. Ce sont les informations mentionnées en bordure de l’acte qui permettront de retracer l’extrait. Les actes ne sont pas renouvelables. Chaque acte a un numéro spécifique.

Comment remédier à une erreur ?

Quand un acte comporte une erreur (de nom par exemple), cela requiert un jugement rectificatif prononcé par un tribunal. Le jugement est initié sur la base d’une requête dénommée « certificat négatif » fournie par les Archives Nationales.

Une informatisation optimale du Système d’État Civil et des Archives Nationales pourrait contribuer à repérer à temps ces problèmes et éviter un jugement postérieur. Ce projet d’informatisation est en cours, si l’on en croit des acteurs du système.

Formation continue

A date, le Ministère de la Justice n’a pas mis en place de programme de formation continue à l’intention des officiers d’État civil. Mais un projet serait envisagé en vue de permettre notamment à ces derniers de pouvoir utiliser la base de données du système, consécutivement à l’informatisation.

Actes d’État Civil : Les institutions concernées

Les institutions concernées par l’État Civil sont tout d’abord les Bureaux d’État Civil qui s’occupent de l’enregistrement des faits d’État Civil (relevés systématiquement).

Vient ensuite le Ministère de la Justice, instance de contrôle, qui « veille à la régularité des enregistrements » à travers un service d’inspection qui n’existe que de nom. Le Ministère exerce ce travail par le biais des commissaires du gouvernement. Ce travail consiste notamment en un contrôle des enregistrements des faits d’État Civil, en la bonne tenue des registres et leur acheminement vers les dépositaires.

Les deux dépositaires sont les Greffes et les Archives Nationales.

C’est le Ministère de la Justice qui chapeaute tout le Système d’État Civil.

Le cheminement des actes d’État civil est le suivant :

Bureau d’État Civil ---- Parquet ---- Ministère de la Justice ---- Dépôt aux Archives

Les actes et registres d’État Civil : Similitudes et dissemblances

L’observation des différents actes d’État Civil donne à voir qu’ils diffèrent dans le contenu suivant le type d’acte. Il en est bien entendu de même pour les registres. Nous avons par ailleurs observé qu’il y a plus de registres imprimés pour les (actes de) divorce (s) et mariage (s) civil (s). Le choix de l’imprimé plutôt que de l’écrit s’expliquerait par le fait que l’officier mettrait plus de temps à remplir (à la main) ces actes.

Les consommateurs des faits d’État Civil

Étant donné que tout se fait par et pour les hommes, les données d’État Civil, au même titre que les opérations censitaires et les enquêtes par sondage, alimentent la société. Ce n’est pas pour rien que, à côté des dix actes d’État civil recommandés par les Nations Unies, des pays se dotent d’actes supplémentaires ou spécifiques en fonction de leurs priorités axées sur les besoins (nationaux) et ressources disponibles.

En Haïti, les utilisateurs ou consommateurs (potentiels) des faits d’État Civil sont multiples. On peut citer entre autres la Direction Générale des Impôts (DGI), le Ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP) et le Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP). Ce dernier peut mettre notamment ces données à contribution dans le cadre d’études épidémiologiques.

Les faiblesses du système d’État Civil Haïtien

La lecture des différents actes d’État Civil, l’observation du cadre de fonctionnement des Bureaux d’État Civil, des entretiens avec des officiers d’État civil et l’observation des registres (d’État Civil) aux Archives Nationales, nous ont permis d’identifier quelques faiblesses du système (d’État Civil).

Nous avons noté dans un premier que l’officier d’État civil fait face à de sérieux problèmes opérationnels. Par exemple, il paraît totalement désarmé dans le cas de certaines formes de déclaration tardive où il n’a pas véritablement les moyens pour vérifier les informations qui lui sont fournies.

Par ailleurs, comme nous l’avions vu plus haut, le système n’enregistre pas tous les faits d’État civil, contrairement aux recommandations des Nations Unies. L’absence par exemple d’enregistrement des actes de décès fœtal, classé comme prioritaire par l’ONU, est une carence de taille.

L’ONU stipule que tout enfant a droit à un acte et que le système d’État civil doit bien fonctionner. Quelques progrès sont certes à signaler vu que 81% des naissances (vivantes) sont déclarées à l’État Civil, selon l’EMMUS IV, alors que plus de 40% seraient enregistrées aux Archives Nationales. Toutefois, comme nous l’avions mentionné plus haut, beaucoup d’efforts restent à faire pour diminuer la fréquence des incohérences dans les déclarations de naissance, et prévenir un jugement rectificatif, grâce à l’utilisation efficiente de bases de données par les différents acteurs du système d’État Civil.

L’ONU recommande aussi la stabilité au niveau du système d’État Civil. Ce n’est pas le point fort du système Haïtien dont l’administration est changeante, au gré des aléas de la conjoncture.

Des failles sont à relever au niveau des registres de décès. En effet, des cas de décès ne sont pas répertoriés, notamment pour les suicides et lynchages.

En théorie, le système (d’État Civil Haïtien) enregistre les faits obligatoires (ou presque tous les faits), comme le recommandent les Nations Unies. La loi prévoit même dans certains cas une amende. Mais entre le dit de la loi et la réalité, il y a un monde.

Contrairement aux recommandations des Nations Unies, le système (d’État Civil Haïtien) ne garantit pas dans les faits la permanence et la continuité. Par exemple, en cas de décès ou de départ (pour l’étranger) d’un officier d’État Civil, il arrive souvent qu’il n’y ait aucun suivi à propos des actes que celui-ci détenait, au grand désarroi des consommateurs (des demandeurs des actes d’État Civil en question). Le pire dans de telles situations, c’est que les consommateurs ne paraissent pas avoir de voie (ou de droit) de recours. La permanence est donc loin d’être garantie. Car celle-ci suppose entre autres que les cahiers (les registres) soient bien tenus au niveau notamment des Greffes, des Archives et Bureaux d’État Civil.

Sur un autre plan, la confidentialité n’est pas respectée (de manière scrupuleuse) lors de l’enregistrement des faits d’État Civil, contrairement aux recommandations des Nations Unies. Par exemple, pour certains actes, comme les mariage et naissance, des officiers d’État civils parfois absents laissent à des clercs le soin d’enregistrer les faits, quitte à signer à leur retour les dits actes.

Le système d’État Civil Haïtien gagnerait à élargir l’éventail d’événements nécessitant enregistrement. Par exemple, il pourrait prévoir un type d’acte pour les formes d’union autre que le mariage, en s’inspirant peut-être du modèle Canadien dénommé « conjoints de fait ». Quand on sait que le plaçage absorbe une grosse proportion des unions en Haïti, l’enregistrement d’un tel événement aiderait à résoudre bien des problèmes, notamment des problèmes de succession au niveau des familles concernées par ces unions.

Des pistes intéressantes, mais…

Les recommandations des Nations Unies donnent des pistes intéressantes pour améliorer le Système d’État Civil Haïtien. Mais ce dernier ne pourra faire réellement des bonds de géant que dans la mesure où il y a une réelle volonté politique axée sur une bonne compréhension de l’importance des données d’État Civil, des statistiques vitales. En outre, il importe de ne pas considérer le système d’État Civil comme quelque chose qui évolue en vase clos par rapport à d’autres entités comme l’Institut Haïtien de Statistiques et l’Office National d’Identification (ONI). Le recrutement du personnel des bureaux d’État Civil devrait être fait sur une base technique, en dehors de toute interférence politique. Une filière de formation et de renouvellement du personnel du système devrait être envisagée.

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Notes

Principes et recommandations des Nations Unies pour un système de statistiques de l’État Civil, 2e version
Entretien avec deux officiers d’État Civil
Visite aux Archives Nationales
Echanges au niveau du Groupe

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Cet article fait partie d’une série intitulée « Nou tout konte » et réalisée avec le concours du Fond des Nations-Unies pour la Population (UNFPA). Dans ce cadre, des chroniques radios hebdomadaires sont également diffuées sur Radio Kiskeya suivant l’horaire ci-dessous :
- Mardi, au journal de 6 :00 AM
- Mercredi au journal de 7 :00 AM
- Jeudi au journal de 4 :00 PM
- Vendredi, peu avant le journal des sports (12 :55 PM)