Soumis à AlterPresse le 4 décembre 2007
Par Faubert Bolivar
L’Etat, c’est moi.
A évoquer cette formule, on se souvient de Louis XIV parlant justement dans le sens du système de l’absolutisme royal de droit divin, selon lequel le corps du roi reflète le corps social et que la cité politique prend forme dans la figure même du roi. L’Etat et le Roi ne faisant qu’un, cette formule, loin de renvoyer à une situation d’injustice et d’usurpation de pouvoir, fait signe en direction même de l’ordre et de la justice du pouvoir.
L’Etat, c’est moi.
Avec la reprise de cette formule, nous ne sommes plus dans la problématique de la consubstantialité du corps de l’autorité et du corps de la société, nous y entendons tout autre chose, ou nous utilisons là une formule qui a fait autorité dans l’histoire des idées politiques haïtiennes, de deux choses l’une :
L’Etat, c’est moi : je suis, en tant que citoyen, le premier responsable et le seul garant du progrès de l’Etat.
L’Etat, c’est moi : je suis, en tant que je peux y avoir accès, le premier ayant droit et le seul bénéficiaire des ressources de l’Etat.
L’Etat, c’est moi : la première formule pose le principe de la construction du collectif par l’individu.
L’Etat, c’est moi : la seconde formule défend le principe de l’enrichissement de l’individu au détriment du collectif.
L’Etat, c’est moi : ni plus ni moins que vivre dans sa chair le dépérissement du corps social, répondre pour le compte du collectif au nom d’Haïtien, avec fierté quand il est prononcé avec honneur, avec dignité quand il est cité dans la honte, respecter les normes du vivre - ensemble, approcher la sacro-sainte Fonction Publique avec le sens du respect et du dévouement, gérer les affaires de l’Etat comme s’il s’agissait de sa propre rente, de sa propre boutique en ayant le souci de toujours faire fructifier les talents de la République, vivre au nom de tous et au milieu de tous comme le seul qui doit et peut faire bouger les choses publiques.
L’Etat, c’est moi : ni plus ni moins que s’enrichir au mépris du corps social, moyennant toutes sortes de combines légales ou illégales, laisser mourir la République au nom de la nécessaire préservation de son espace factice de vie, de l’inconditionnalité de son confort de vie, croire, sincèrement croire, naïvement croire, que l’on n’appartient au collectif que quand il est honoré, prendre sa distance de principe dans le malheur des uns et la bêtise des autres, vivre de l’Etat comme de sa rente, de sa boutique, vivre contre tous et au milieu de tous comme le seul qui doit et peut jouir des choses publiques.
L’Etat, c’est moi : voilà une formule qui apporte le progrès à une Nation et la santé à un peuple, une manière de vivre qui confirmera le collectif dans sa dignité, fera une place à l’égalité, créera les conditions de l’équité, réduira les fossés entre riches et pauvres, fera qu’il y a moins de pauvres, plus d’éducation, plus de culture, plus d’électricité, pour dégrossir le peuple du fardeau de la boue.
L’Etat, c’est moi : certainement là une formule qui conduit au sous-développement, à la sécheresse d’une Nation et à la mort d’un peuple, une manière de vivre qui confortera l’illusion que tout est perdu, avivera le fatalisme que tout doit aller de mal en pis, de Charybde en Scylla, ramènera la dictature, la corruption, la bêtise, les frustrations, les aigreurs, la bêtise, le banditisme, la malnutrition, la bêtise, la haine sociale, la nausée, la bêtise, la crasse, les morts, la bêtise, les boat people, la date fatidique du 19 novembre à Port-au-Prince, un jour comme un autre pour souffrir de la laideur des uns et respirer l’odeur de cadavre maquillé dormant sous la perruque des autres, la bêtise.
L’Etat, c’est moi : L’Etat ou moi, rien de moins qu’une alternative entre le corps glorieux de la Société et le nombril pourri de l’Individu.
L’Etat ou moi ? Quand on regarde Haïti, ses rues, ses villes, ses mornes, son peuple, sa gestion publique, sa gestion privée, on sait la réponse évidente à la question, l’Etat, tchip, moi, bien sûr...Et s’expliquent la chose, le chagrin, la honte, la blessure !
Faubert BOLIVAR
Port-au-Prince, novembre 2007