Article d’Agropresse [1]
Soumis à AlterPresse le 3 décembre 2007
La récente mesure d’interdiction des autorités dominicaines visant les exportations d’oeufs et de bananes vers Haïti montre le niveau de l’insécurité alimentaire du pays en raison de sa forte dépendance de l’extérieur. Et pourtant, avec un plus grand effort en Haïti, il serait possible de substituer la production locale aux importations pour de nombreux produits. L’aviculture, regroupant la production d’œufs et de poulets, est un exemple de filière où la non-exploitation des potentiels locaux fait perdre des millions de dollars à l’économie haïtienne.
Moins d’une semaine après avoir adopté leur mesure, les autorités dominicaines ont dû revenir sur leur position, à la suite des mouvements de protestation de l’Association des producteurs d’œufs dominicains. Sur les 150 millions d’œufs produits mensuellement en République dominicaine, 30 millions seraient destinés au marché haïtien, selon les statistiques disponibles. En clair, le débouché que constitue le territoire haïtien paraît juteux pour les producteurs voisins.
En effet, la déstructuration de la production avicole haïtienne au fil des années a été très favorable à l’occupation de l’espace par les Dominicains. La production d’œufs haïtienne est extrêmement faible par rapport à celle des Dominicains. « Alors que dans les années 80, environ 100 000 œufs étaient produits sur une base journalière en Haïti, la production actuelle de la seule grande ferme du pays oscille entre 30 000 oeufs par mois, pour un ensemble de 20 à 40 000 poules », déclare Michel Chancy, secrétaire du Conseil d’Administration de l’Association haïtienne pour la promotion de l’élevage (Ahpel) et également directeur de l’ONG Veterimed.
Les Dominicains se permettent même de baisser le prix des œufs écoulés sur le marché haïtien en période de vacances d’été, en raison des surplus qu’ils dégagent dans la production. Ce que Michel Chancy assimile à une forme de dumping qui met davantage les producteurs haïtiens en difficulté pour affronter la concurrence.
Pour dynamiser la production locale, le secrétaire du Conseil d’Administration de l’Ahpel croit qu’il faut donner des stimuli aux producteurs haïtiens, notamment un meilleur accès au crédit, avec des taux d’intérêt compétitifs. Ensuite, il faut protéger le marché local quand les Dominicains cherchent à l’envahir avec leur surplus de production en utilisant, par exemple, un système de taxation approprié, estime-t-il. Tout autant que ces problèmes persisteront, ce seront autant de barrières qui dissuaderont les producteurs haïtiens d’intégrer l’industrie de la production d’œufs, avertit-il.
Des avantages à produire en Haïti
En dépit des contraintes du milieu, il y a quand même des avantages à produire en Haïti. Les œufs produits dans le pays arrivent aux consommateurs plus frais, tandis que ceux-là issus de la République dominicaine sont exposés aux tracasseries inhérentes au transport.
Interrogé autour des initiatives de l’Ahpel pour dynamiser la production d’œufs dans le pays, le secrétaire exécutif de cette association, l’Agronome Adley Robert, a, pour sa part, fait état d’un accord passé avec l’État haïtien pour permettre aux producteurs locaux de bénéficier de certains avantages dont la franchise douanière. Parallèlement, cette association a conçu un projet pour des petits producteurs de Cité Soleil en vue de contribuer à l’augmentation de la production d’œufs dans le pays, selon ses dires. Ce projet, financé par l’Agence canadienne de développement international (Acdi) à hauteur de 15 millions de gourdes sur une période d’un an, touchera 500 bénéficiaires vivant dans la commune de Cité Soleil. Chaque bénéficiaire reçoit une cage pouvant contenir 40 poules de race améliorée spécialisée dans la production d’oeufs. L’Ahpel leur fournira 40 poules à travers le projet. En outre, ils recevront deux sacs de nourriture, deux jours de formation et un encadrement technique pour des groupes de 25 personnes.
Les poulets congelés importés : nocifs pour la production locale
En ce qui concerne la production de poulets de chair (poules blanches), elle avoisinait les 6 millions par an dans les années 80. Cependant, la production a chuté au début des années 90, où l’élevage industriel a connu un véritable déclin à cause, notamment, de l’embargo économique et de l’importation massive de morceaux de poulet congelés. Les abats de poulets, considérés pourtant comme des déchets dans les pays d’où ils sont issus, sont vendus sur le marché haïtien à des prix dérisoires et cela crée une concurrence déloyale aux producteurs locaux. Ainsi, l’invasion des morceaux de poulets et dindes congelés sur le marché haïtien constitue l’un des plus grands obstacles au développement de l’industrie de poulets locale.
Sous l’embargo économique, les producteurs haïtiens de poulets se trouvaient en grande difficulté pour s’approvisionner en soja et poussins. Or, l’industrie avicole haïtienne est très dépendante de l’extérieur. Il faut importer aussi bien les poussins que les produits nécessaires à la préparation de la nourriture. « En République dominicaine, ils importent également des poussins et les produits nécessaires à la préparation de la nourriture », souligne Michel Chancy. « Mais leur avantage, c’est qu’ils produisent à grande échelle et dans un meilleur environnement économique, ayant un meilleur accès à l’électricité, de meilleures infrastructures routières et un meilleur accès au crédit », fait-il remarquer. Ce qui réduit leur coût de production. Par conséquent, le producteur haïtien devient non compétitif par rapport au producteur dominicain en raison de la différence des coûts de production dans les deux pays.
La production de poulets de chair en Haïti est passée de 6 500 000 vers les années 80 à 300 000 têtes au moment de l’embargo, puis à 45 000 têtes en 1998, selon des chiffres tirés du rapport du Colloque sur la problématique des micro, petites et moyennes entreprises, réalisées dernier par Veterimed, avec l’appui financier du Prima. Elle varie, aujourd’hui, entre 100 000 et 125 000 poulets par mois (entre 1 200 000 et 1 500 000 poulets par année), soit moins de 25 % du volume annuel de 1988 à 1991, selon le document.
En revanche, le volume des importations en 2003 était, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), citée dans le rapport, de 28 492 tonnes métriques (TM), ce qui équivaut à environ à 14 millions de poulets, pour une valeur de plus de 17 millions de dollars américains. L’économie haïtienne perd énormément de devises en raison de ses importations massives de poulets et d’œufs. Le pire, le moindre caprice des fournisseurs extérieurs peut servir pour bloquer l’approvisionnement du marché haïtien. Il est temps d’exploiter les potentiels de la filière avicole haïtienne en vue de générer des emplois et des revenus stables et pour permettre au pays de sauver quelques devises.
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[1] Agropresse est un organe de communication spécialisé, véhiculant des informations sur l’Agriculture et l’Agro-transformation. Il est formé de plusieurs institutions, dont :
Veterimed (Élevage, santé animale, transformation du lait) ;
Médialternatif (Information, communication et médias)
SAKS (Communication sociale, radiophonie)
Group Croissance S.A (Gestion d’entreprise, marketing, économie, Finance, technologie) ;
GREF (Problème foncier) ;
ANEM (Transformation de fruits) ;
ORE (Production et transformation de céréales et de fruits) ;
GRAMIR (Production de semences, gestion bassins versants) ;
Concert Action (Environnement, production agricole) ;
ACDED (Environnement, production agricole) ;
GATAFI (Technologie appropriée).