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Haïti : Une Ironie de l’Histoire….

« il y a de ces silences qui ont l’effet d’un tintamarre »

Par Gary Olius

Soumis à AlterPresse le 23 novembre 2007

Il semble qu’il est désormais révolu le temps des envolées patriotiques et des gargarismes Pro-Dessalines. Il s’éloigne aussi de nous le bon vieux temps où les élites politiques se préoccupaient éperdument des grandes dates qui ont marqué les hauts faits de notre histoire. Autre temps, autres acteurs et autres mœurs. Il parait que ce pays n’est plus celui de Dessalines, de Christophe, de Toussaint et compagnie, mais celui des autres… Et de ce fait, la source de notre dignité de peuple n’est plus à chercher dans les fondements historiques de notre nation, mais ailleurs.

En ces temps de débandade nationale, la Patrie et les Aïeux ne sont plus objets de vénération, mais de viles pièces de musée laissées à la curiosité des touristes-chercheurs. Pour nos hommes et femmes politiques, seuls le comestible, le matériel et le monétisable comptent. Le “Time is money” a tellement envahi nos mœurs que les acteurs n’ont plus le temps d’adresser quelques mots en l’honneur de nos héros.

La dégénérescence est patente si l’on considère ce qui s’est passé au cours des 4 dernières célébrations de la bataille de Vertières : jusqu’en 2003, les aïeux étaient choyés et on éprouvait encore un peu d’orgueil à parler de souveraineté nationale ; en 2005, on parlait de “Souveraineté Surveillée” comme pour dire de manière voilée que le pays marchait SS [1] et en 2007 on se tait tout bonnement (gouvernement et opposition confondus)… Ce n’est peu-être pas parce qu’on a enlevé à nos dirigeants le droit à la parole, mais parce qu’ils n’ont plus de temps de parler de faits historiques. Time is money… !

N’est-ce pas vrai que c’était en ce même 18 novembre que les dirigeants ont trouvé du temps pour pavaner en hélicoptère, aux cotes de Monsieur l’Envoyé ? Laissons au temps le temps de déterminer le prix de cette attitude singulière. D’aucuns l’interprètent déjà comme une façon idéale pour gommer l’armée indigène de la mémoire collective et chanter le requiem de la défunte FADH [2]. Et, l’on prédit déjà que l’an prochain Dessalines n’aura même pas droit à une gerbe de fleurs, comme ancien militaire. Il n’est que d’attendre puisque ici-bas, la déraison tutoie toutes les formes de rationalité.

Du reste, on est désormais certain que les futurs 17 octobre et 18 novembre ne seront plus comme avant. C’est vrai que, depuis 200 ans, ils servaient d’argument au moment des prises de décision à caractère national-iste, mais de nos jours ils sont en passe de devenir prétexte aux pires manœuvres politiciennes. Qui survivra, verra !

Sans le savoir, peut-être, les élites politiques sont en train de se livrer à un jeu très dangereux. Ils banalisent les repères et les valeurs historiques, en galvaudent le sens et les instrumentalisent au mépris des règles élémentaires de civisme et de civilité. Déjà les effets de cette banalisation se manifestent sans qu’on s’en rende compte : par exemple, on a tiré à boulet rouge sur le Chef de l’Etat parce qu’il a dit que la constitution est source d’instabilité, mais personne n’a eu la clairvoyance de souligner que le moment était mal choisi pour effectuer une déclaration aussi abracadabrante. Le 17 octobre étant patriotiquement un jour sacré pour sa portée socio-historique, le fait de l’utiliser comme prétexte pour se livrer à une besogne politicienne si questionnable, ne devait-il pas être qualifié de parjure ou de profanation.

Et que dire quand de hauts responsables de l’Etat sablent du champagne avec des militaires étrangers en plein 18 novembre après avoir déposé, pour la galerie, une fleur toute plastifiée sur la tombe de l’Empereur ? L’image projetée a été très forte et a laissé pantois pas mal de gens.

A suivre la scène avec beaucoup d’attention, on dirait qu’il s’agissait d’une cérémonie d’exorcisme exécutée sur la tombe abandonnée d’un être peu aimé pour ne pas dire détesté. Alors qu’il s’agissait bien de la sépulture de Dessalines, celui-là dont même les descendants de gueules cassées de 1804 craignent encore les dépouilles. O mort, où est ta victoire ? Reviens, ils sont devenus fous…

C’est triste ! La conscience nationale est à un niveau critique et les générations montantes ne sont aucunement en mesure de comprendre et d’interpréter la réalité actuelle. Des jeunes qui étudient la période révolutionnaire haïtienne ne peuvent pas saisir la portée de notre histoire en voyant que des pays qui ne peuvent même survivre par eux-mêmes font partie de ceux qui nous occupent, sous prétexte de contribution à une hypothétique stabilisation. Les dirigeants de Honduras qui, il y a moins de 6 mois, se sont révoltés parce qu’on comparait la situation de pauvreté d’Haïti à celle de leur pays, se préparent à y déployer des troupes. Quelle comédie !

Franchement, il faut de toute urgence imposer une limite à cette bêtise qui dégrade dangereusement ce qu’il nous reste d’image. Les dirigeants qui acceptent de se livrer à ce jeu macabre se réveilleront en sursaut, car comme les agents douaniers qui ont été giflés parce qu’ils tentaient de vérifier le contenu des valises d’un employé de la MINUSTAH [3] [4], ils seront tôt ou tard malmenés d’une façon ou d’une autre. Alors, ils auront de bonne raison de se taire. Et, qui sait ?, pour 25 ans…. si ce n’est à jamais.


[1Expression typiquement haitienne emportant l’idée d’un contrôle exagérément strict et qui fait souffrir atrocement celui qui le subit

[2Forces Armées d’Haiti

[3Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti

[4Non vérifié