Par Jean-Claude Bajeux
Soumis à AlterPresse le 27 novembre 2007
L’année 2007 est à sa fin et le moins qu’on puisse dire, ce n’est pas la joie. Nous attendons toujours les coups de marteaux de la reconstruction et les drapeaux des inaugurations.
Tout est d’une maussade mélancolie, même le temps. Et la morosité menace de se transformer en angoisse quand le pétrole brut est à 99 dollars américains, que les inondations succèdent aux inondations, que l’on vend de respectables tracteurs au prix de la ferraille, tandis que l’étau de la misère et de la faim se resserre sur tout un peuple.
Il est alors surprenant, que dans cette conjoncture, les préoccupations de l’Exécutif semblent se concentrer sur la Constitution de 1987, rendue responsable de certains blocages dans le fonctionnement des institutions.
Personne ne niera qu’il y a des problèmes d’application et des remaniements à effectuer à cette Constitution qui a distribué les pouvoirs à droite et à gauche, dans le but de ne plus permettre que les droits des citoyens et citoyennes soient écrasés par les folies d’un pouvoir qui se voudrait absolu et hors-droit. Ainsi, cette Constitution a-t-elle voulu redonner vie aux chambres législatives, aux partis politiques, aux collectivités locales, à la citoyenneté elle-même.
Mais, l’idée de faire des retouches, certaines corrections et d’éliminer certaines imprécisions de la Constitution de 1987, après vingt ans d’usage, de non-usage et de mal usage, semble tout à fait normale.
Par contre, affirmer que la Constitution de 1987 serait une cause d’instabilité des institutions nous semble singulièrement exagérée.
Qu’on pense, en effet, à ce qui s’est passé, il y a vingt ans, de la bataille qu’il a fallu mener pour que cette Constitution soit appliquée par le CNG. Cette semaine ramène l’anniversaire de l’événement le plus dramatique qui illustre bien ce conflit. En effet, le 29 novembre 1987, les premières élections organisées selon le requis de la nouvelle Constitution ont été sabotées par les militaires de ce pays à coups de fusils.
La plupart des citoyens et citoyennes exerçaient leur droit de vote pour la première fois. Après les batailles du mois de juillet 1987, le « rache manyok » et l’assassinat de trois candidats à la présidence, Louis-Eugène Athis, Yves Volel, Luc B. Innocent et de l’avocat Lafontant Joseph, le CNG n’a pas hésité, ce jour-là, à laisser une centaine de morts sur le ciment pour arrêter les premières élections démocratiquement organisées de ce pays. Si on avait des illusions, elles sont tombées, devant l’évidence d’un refus de la démocratie qui n’a pas eu de scrupules à faire assassiner des citoyens en train de voter et même des journalistes étrangers.
Plus lourd de conséquences, les acteurs de ce forfait savaient bien que nulle enquête ne serait menée, que ces crimes tomberaient, comme tant d’autres, dans les oubliettes de l’impunité.
Ce qui montre bien que les causes de l’instabilité viennent d’ailleurs que de la Constitution.
Elles viennent de la complicité antidémocratique qui mine la conscience citoyenne. L’instabilité est créée et provoquée par l’entêtement et la soif du pouvoir de personnes qui refusent d’accepter les limites posées par la Loi mère qu’ils avaient pourtant juré de suivre, de garder et de défendre.
Or, voici que dans ces temps incertains et souvent dangereux que nous continuons à vivre, nous terminons l’année 2007 sans que les élections prévues par la Constitution de 1987 aient été faites. L’Exécutif, dans une fuite en avant impressionnante, a bloqué le cours des choses, revenant à l’incertitude du provisoire et réclamant une nouvelle Constitution avant la fin de son mandat, c’est-à-dire avant le 7 février 2011.
Les résultats des élections de décembre 2006 ont attendu huit mois avant d’être publiés et n’ont été suivis d’aucune convocation aux élections, celles qui auraient mis fin à ce carrousel de CEP provisoires, et celles aussi qui auraient renouvelé le tiers du Sénat. En lieu et place de cela, donc, au lieu de suivre ce qui est imposé par la Constitution, nous assistons à un ballet dont le palais national est devenu le théâtre et où défilent tous ceux dont le Président recherche le consentement pour avoir une nouvelle Constitution avant la fin de son mandat.
En fait, l’Exécutif se met en situation de contravention, ce qui, la dernière fois, s’était transformé dans une en crise aiguë, alors que nous savons que l’article 136 de la Constitution déclare que le Président de la République « assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat » et l’article 150 : « Le Président de la République n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribue la Constitution ».
Le résultat est qu’on refait les mêmes erreurs qui avaient été faites dans un passé tout récent : on veut contourner la Loi.
La manière de procéder du Président de la République depuis son élection avait été jusqu’alors accueillie favorablement urbi et orbi. Mais, ce qui se passe depuis un certain temps surprend et inquiète, car c’est la stabilité du gouvernement et celle du pays qui sont en jeu.
C’est notre capacité de respecter l’ordre de la Loi qui est en cause, d’accepter sans arrière-pensée un modèle démocratique cohérent et participatif dans un balancement de pouvoirs et contre-pouvoirs, dans la liberté de s’exprimer, dans le respect de l’opinion des autres.
Jean-Claude Bajeux
Directeur du Centre Œcuménique des Droits Humains (Cedh)
24 novembre 2007