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Haïti : l’Office de la Protection du Citoyen tire la sonnette d’alarme sur la justice des mineurs

Communiqué de l’Office de la Protection du Citoyen

Soumis à AlterPresse le 9 novembre 2007

L’Office de la Protection du Citoyen prend plaisir à féliciter les autorités judiciaires pour cette dernière mesure qui vient d’être adoptée par le Parquet du Tribunal de 1ere Instance de Port-au-Prince, ayant conduit, le jeudi 8 novembre à la libération d’une centaine de personnes détenues illégalement au Pénitencier National. Par cette action, la justice a traduit sa volonté de combattre la détention préventive prolongée. L’OPC encourage la poursuite des ces démarches dans cette Juridiction ainsi que leur reproduction au niveau des autres régions du pays.

Cependant, l’Office de la Protection du Citoyen reste inquiet par rapport aux tournures que prend la Justice des mineurs en Haïti. En effet, à une dizaine de jours de la commémoration du 18e anniversaire de la Convention internationale sur les Droits de l’Enfant et 12 ans après la ratification de celle-ci par l’Etat Haïtien, l’emprisonnement est encore l’unique solution envisagée pour répondre à la problématique des enfants en conflit avec la loi, alors qu’elle ne devrait être qu’un dernier recours.

L’Office de la Protection du Citoyen en profite pour tirer la sonnette d’alarme et inciter les entités de la chaîne de protection de l’enfant, en particulier les Ministères de la Justice et des Affaires Sociales, à prendre les dispositions appropriées pour mettre un terme aux multiples violations des droits des enfants en conflit avec la loi.

En attendant la publication de son rapport détaillé sur la situation des mineurs en conflit avec la loi en Haïti, intitulé « SOS pour la protection judiciaire et sociale des enfants vulnérables à la délinquance » prévue pour le vendredi 16 novembre 2007, l’Office de la Protection du Citoyen tient à souligner quelques unes des violations les plus flagrantes perpétrées contre cette catégorie d’enfants. Ces abus ont été relevés par son Unité de Protection de l’Enfant au cours de la 1ère phase d’une tournée nationale effectuée dans 5 juridictions du pays, soit Port-au-Prince, Mirbalais, Hinche, Port-de-Paix et Jérémie. Ce sont :

1. La cohabitation à la Prison Civile de Delmas 33 de 140 mineurs dont 4 condamnés. Certains d’entre eux ne sont plus aujourd’hui des mineurs alors qu’ils étaient entrés à la prison à l’age de 15 ans, soit en dessous de la majorité pénale fixée à 16 ans par la législation haïtienne. Cette Prison qui s’est érigée en plus grand et unique Centre de détention pour enfants d’Haïti, rivalise avec le Pénitencier National en terme de taux de détention préventive prolongée et de mélange des catégories et des Juridictions !

2. La détention à la Prison Civile de Delmas 33, d’une vingtaine d’enfants âgés de moins de 16 ans, certains ayant même jusqu’à 11 ans.

3. A la Prison Civile de Pétion-Ville, Prison pour femmes et filles, elles sont au nombre de 4 dont la plus jeune âgée de 14 ans. Ces filles partagent les cellules des femmes adultes, faute de places dans une pièce exigue qui a été aménagée pour elles et laquelle ne peut contenir toutes les 29 filles détenues.

4. Le transfert à la Prison de Delmas 33 d’un adolescent âgé de 17 ans qui vient d’être condamné par la Juridiction de Hinche à 13 ans de Prison pour tentative d’assassinat. L’OPC se questionne sur le rôle à venir de ce jeune dans la société quand il sera libéré en 2020 à l’age de 30 ans !

5. La condamnation à perpétuité d’un jeune âgé aujourd’hui age de 17 ans mais qui était entré à la Prison à 15 ans. Celui-ci est impliqué dans un dossier collectif de meurtre avec des adultes et a du attendre 2 années en détention préventive avant d’être jugé.

6. A Mirbalais, le seul mineur en détention est âgé de 14 ans et se trouve dans la cellule qui comporte le plus de détenus et non les moins dangereux.

7. Les 13 mineurs de la Prison Civile de Port-de-Paix sont répartis dans 4 cellules qu’ils partagent avec des adultes condamnés et en détention préventive. L’un d’entre eux est gravement malade et ne peut se tenir debout.

8. Plus d’une dizaine de mineurs, croupissant actuellement dans les deux prisons civiles pour enfants de PAP alors que des ordonnances de placement ont déjà émises par le Tribunal pour enfant.

9. Parmi ces mineurs, une fille de 16 ans inculpée d’homicide involontaire et contre laquelle le tribunal pour enfant a ordonné le placement au Centre d’accueil de Carrefour pour une durée de 2 ans. Une situation purement insolite : Car non seulement, 2 mois après ce jugement l’enfant se trouve encore à la Prison, mais elle était en droit de retourner librement dans sa famille vu qu’elle avait déjà passé 1 an et 4 mois en détention préventive avant d’être jugée et considérant que la peine maximale prévue pour l’infraction qui lui a été reprochée est d’une (1) année.

10. La détention d’un mineur de 16 ans retenu par le cabinet d’Instruction de Hinche pour suspicion de port d’arme à feu ! Dans ce dernier dossier, l’OPC a pu fort heureusement, obtenir la libération immédiate de l’enfant vu que le port illégal d’arme à feu est une infraction clairement définie et pour laquelle toute suspicion doit être vérifiée avant la détention.

Aussi, l’Office de la Protection du Citoyen recommande-t-il au gouvernement haïtien de remettre les pendules à l’heure et de rectifier ces dérives sans tarder. L’OPC soutient que les enfants, étant l’avenir du pays, l’Etat ne peut plus se limiter à l’application de solutions faciles, c’est-à-dire, attendre que les mineurs soient en conflit avec la loi ou que la loi soit en conflit avec eux pour se souvenir de leur présence et aussitôt les oublier une fois qu’ils sont PLACES EN DEPOT. Ce terme, entre autres, est tout à fait dégradant et fait perdre aux enfants, en ce 21e siècle toute dimension humaine.

Par conséquent, les autorités judiciaires doivent en toute urgence, se pencher avec présence d’esprit sur tous les dossiers de détention des mineurs en tenant toujours compte partout et en tout de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il encourage la révision et l’adoption de l’Avant Projet de Code de l’Enfant, lequel document préconise, en plus des stratégies de prévention de la délinquance juvénile, des mesures alternatives à l’emprisonnement, la mise en place de véritables programmes de réhabilitation et de réinsertion, tout en favorisant le placement en milieu familial dans le cas de certains délits mineurs.

Il invite le Ministère des Affaires Sociales à décharger l’Administration Pénitentiaire de ce lourd fardeau que constitue pour elle la détention illégale et arbitraire de bon nombre d’enfants. Ce Ministère doit jouer la partition qui lui incombe à travers l’Institut du Bien-Etre Social et devenir, en ce qui concerne les enfants, le bras musclé de la Justice, en termes de renouveau et d’efficacité.

Quant à la société haïtienne en général, elle devrait pour sa part commencer à véritablement s’interroger sur le profil des enfants que nos familles, nos écoles, nos églises, nos associations et nos prisons sont en train de produire, et sur la future cohabitation avec eux lorsqu’ils deviendront des adultes. Nos enfants sans exception aucune sont la seule porte de sortie de cette nation en reconstruction. Que la Paix soit sur eux pour le bien -être de la Nation toute entière !

Port- au Prince, ce vendredi 9 novembre 2007

Necker DESSABLES
Protecteur du Citoyen