Español English French Kwéyol

Haïti pointé du doigt comme tremplin du SIDA aux États-Unis et dans le monde

« Nous ne devons pas réagir de façon émotionnelle mais de façon pragmatique, scientifique et coordonnée », déclare le Directeur Général du MSPP, Gabriel Thimothé.

Par Nancy Roc

Soumis à AlterPresse le 30 octobre 2007

Au début de l’apparition du SIDA, dans les années 80, Haïti a été victime de la théorie des 4 H. Les scientifiques, en particulier américains, cherchant encore à élucider l’origine de cette mystérieuse maladie, développèrent la théorie des 4 H comme vecteurs privilégiés de la transmission du SIDA soit, H comme homosexuels, hémophiles, héroïnomanes et Haïtiens. L’affiliation des Haïtiens à ce groupe ne « s’appuyait sur aucune base scientifique » écrit le Dr Paul Farmer dans son livre « Sida en Haïti, la victime accusée » [1] . En Amérique du Nord et en Europe, il y eut même des gens qui lièrent l’épidémie haïtienne aux pratiques vaudou. Ainsi, écrit le Dr Paul Farmer, « la revue spécialisée Annals of Internal Medicine, publiait en octobre 1983 un article de médecins du Massachussetts Institute of Technology relatant une brève visite au pays et concluant : « On peut légitimement classer les pratiques vaudou parmi les modes de transmission de la maladie. » Les Haïtiens en Haïti tant qu’à l’étranger se mobilisèrent contre cette stigmatisation qui causa beaucoup de torts au pays. En 1980, Gaetan Dugas, steward sur Air Canada, a été diagnostiqué comme étant le premier cas de SIDA nord américain. Dugas était un homosexuel notoire, aux mœurs légères, qui avait la réputation d’avoir autour de 250 partenaires chaque année, dans des « maisons de bains » gay mais le mal était déjà fait pour Haïti.

Ce 29 octobre, la nouvelle est tombée tel un couperet : « le virus du sida, originaire d’Afrique, s’est propagé aux États-Unis via Haïti vers 1969, dix ans plus tôt qu’estimé jusque-là », selon une étude publiée lundi, qui élimine totalement la théorie populaire du steward homosexuel québécois comme source de l’épidémie.

« Haïti a été le tremplin pour le virus quand, depuis l’Afrique centrale, il a commencé à se propager à travers le monde », explique Michael Worobey, un professeur de biologie à l’Université d’Arizona (sud-ouest) et principal auteur de l’étude parue dans les Annales de l’académie nationale américaine des sciences (PNAS) datée du 29 octobre.

« Le virus mortel est probablement arrivé sur les côtes américaines autour de 1969, plus d’une décennie avant l’explosion de l’infection, et pourrait avoir été introduit par un immigré haïtien célibataire, selon ces chercheurs. » [2]. Il s’est répandu ensuite au Canada, à l’Europe, à l’Australie et au Japon. « Il semble plus crédible qu’un immigré (ou des immigrés) haïtien soit à l’origine de l’épidémie plutôt qu’un adepte du tourisme sexuel rentrant d’Haïti, car ce pays n’est devenu une destination prisée qu’à partir des années 70 », a estimé le Dr Worobey. Toutefois, aucun nom, ni preuve ne vient étayer cette thèse. Selon cette dépêche, « le Dr Worobey et une équipe internationale de chercheurs ont conduit des analyses génétiques d’échantillons sanguins de malades du sida qui ont émigré d’Haïti. »

« Cet article doit alerter tous les Haïtiens tant en Haïti qu’à l’étranger », a déclaré le Dr Gabriel Thimothé, Directeur Général du Ministère de la Santé et de la Population (MSPP). Dans une interview qu’il nous a accordée ce 30 octobre à partir de Miami à son retour d’une réunion des ministres de la Santé des pays ACP, le Dr Thimothé pense que cette dépêche stigmatise les Haïtiens et souhaite découvrir les origines de cette nouvelle stigmatisation envers nos compatriotes. « Nous ne devons pas réagir de façon émotionnelle mais de façon pragmatique, scientifique et coordonnée » a-t-il recommandé. « Nous allons préparer une riposte scientifique et mobilisatrice. Tous les médias seront contactés pour ce faire comme ce fût le cas dans les années 80 » a souligné le Directeur Général du MSPP. Ce dernier s’est dit très préoccupé par la publication de cette dépêche : « Cette nouvelle peut avoir des conséquences négatives sur l’avenir d’Haïti et pour les Haïtiens vivant à l’étranger. J’ai contacté notamment mes collègues du Centre GUESKIO afin d’obtenir des données plus claires sur cette étude ». Cette dernière stipule notamment que « de nombreux Haïtiens ont travaillé en République démocratique du Congo, l’ex-Zaïre après son indépendance d’avec la Belgique en 1960, l’un des pays où la maladie était implantée depuis les années 30. En outre, au début du déclenchement de l’épidémie américaine, le taux d’infection parmi les Haïtiens vivant aux États-Unis était 27 fois supérieur au reste de la population. » Le Dr Thimothé s’est montré sceptique quant à cette conclusion : « Il y a beaucoup de conditionnels dans cet article. Quant aux Haïtiens qui vivaient au Congo à l’époque, la plupart ont immigré ensuite en Europe. Pourquoi l’Europe n’a-t-elle pas été infectée avant les États-Unis ? », se questionne Gabriel Thimothé qui réfute cette thèse sur un argumentaire migratoire documenté.

D’autre part, le Directeur Général du MSPP pense que la publication de cette nouvelle est un coup de semonce pour la crédibilité du programme de lutte contre le SIDA en Haïti et s’interroge sur la coïncidence de sa publication au moment même où, au niveau mondial, ce programme est salué comme un « success story » : « à la une des revues internationales, on reconnaît le succès de ce programme en Haïti, tant au niveau du secteur public qu’au niveau du secteur privé. Nos résultats sont significatifs et nous ont valu une réduction substantielle de la prévalence du VIH/SIDA en Haïti, passant de 6% à 3,1%. Ceci a été reconnu aux deux dernières réunions auxquelles j’ai participé : celle du Fonds Mondial à Bogota et celle des pays ACP à Bruxelles. Nous allons donc préparer une réponse à la hauteur de cette de étude parue dans les Annales de l’académie nationale américaine des sciences (PNAS) », a-t-il déclaré. Le Dr Thimothé a conclu cette interview en soulignant que la population haïtienne sera mise au courant du contenu de cette dépêche et que le MSPP va mobiliser les chercheurs tant en Haïti qu’à l’étranger pour préparer une riposte scientifique à cette étude. Mais l’attente risque d’être longue a-t-il averti.


[2Agence France Presse, Haïti a été le tremplin de l’épidémie de sida aux USA et le reste du monde, le 29 octobre 2007