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Haiti, syndrome de l’opposant permanent…

Par Camille Loty Malebranche

Soumis à AlterPresse le 25 octobre 2007

Il existe un véritable syndrome de l’opposition permanente romantique et « révolutionnaire » qui a ses racines dans une dénaturation de la naissance martiale et héroïque d’Haïti, qui doit être appréhendé dans le sens de la théorie de l’inconscient collectif jungien qui évoque les « archétypes, ces formes archaïques de l’histoire des sociétés » pour expliquer le comportement social. Il nous faut faire remarquer ici que l’archaïsme change de référent temporel selon l’âge des sociétés. Dans le contexte d’un peuple jeune, vieux seulement de deux siècles et né par l’épopée martiale des preux va-nu-pieds de 1804, il va de soi que les archétypes de notre mythologie fondatrice nourrissent nos réflexes d’un tempérament de révolutionnaire chambardant, réflexe révolutionnaire latent, jamais abdiquant. Ce qui est honorable !

Une combativité omniprésente, véritable énergie de fond de la vision du monde haïtienne, détermine la conscience sociale de notre peuple, combativité que malheureusement dévient les politiciens véreux et des représentants de secteurs rétrogrades qui ont toujours fait le malheur du pays par la déstabilisation et la violence. Il s’agit aujourd’hui de trouver les méthodes d’une mobilisation pacifique de notre peuple hyperénergique pour transformer la violence létale des déstabilisateurs en force vitale de construction du nouveau. Il s’agit de faire la vraie révolution mentale et comportementale pour l’émergence d’une élite libératrice et désaliénatrice au service des majorités. Cela commencera par la création d’autres structures culturelles et intellectuelles pour fonder la nouvelle mentalité sociale et donc le nouvel homme haïtien capable de citoyenneté effective.

Contre la misologie, pour le débat rationnel

La misologie est définie comme la haine du discours rationnel, le refus de l’intervention du raisonnement froid et rigoureux face aux faits sociaux, et parmi eux, les monstruosités des idéologies mortifères. On se rappelle les eupatrides de la Grèce ! C’est une cynique démarche des bourreaux démagogiques des majorités pour maintenir la société dans le dogme laïque de l’idéologie dominante et dans l’ignorance antirationnelle pour mieux l’asservir et la mystifier. C’est substituer aux élans naturels de liberté des majorités, la fausse rationalité monstrueuse et tératogène de la manipulation de classe. Les bourreaux susdits inculquent au peuple le mépris de ce et ceux qui peuvent l’amener à comprendre les causes cachées de sa condition où sévit le mensonge manipulateur et insidieux des oligarchies.

Le questionnement - ce géniteur de l’intellection des faits au-delà de leur phénomène, là où les problématiques s’enracinent avant de pouvoir dévoiler la nature et les faces cachées des choses, des faits ou des situations – est pourtant plus qu’un devoir, une planche de salut.

Le combat des peuples n’étant presque plus militaire, mais davantage politique, diplomatique, idéel, idéologique et économique, toutes les ressources livresques et non livresques c’est-à-dire imaginatives, inventives doivent être mises à contribution dans la quête de libération des masses réifiées.

L’intellectuel, comme toujours sans être ni Argos ni Janus, en tant qu’hyperconscient qui constate et prend position, doit arriver à lire et à fonder les nouvelles balises lecturielles pouvant traverser l’au-delà du phénomène des situations en transcendant les contingences individuelles pour appréhender la vérité essentielle et causale de l’action humaine, l’eidétique des situations.

Penser le culturel comme outil d’humanisation

La culture est avant tout le prolongement de la nature humaine à la fois dans le rapport à l’univers et à soi que l’homme manifeste tant sur le plan immédiat de l’usage que sur celui médiat de la représentation. Là où la nature est préhumaine et animale, la culture est la marque paroxystique de l’homme par l’émergence de cette chose exclusivement humaine : l’entendement et sa faculté de raison.

À l’échelle sociale, la culture, plus qu’une fonction différentiante identitaire, est l’englobant, le macrocosme mental où s’enracinent tous les réflexes et réactions d’une civilisation. Abandonner la culture d’un peuple aux « invertis intellectuels » - ces sous-cultivés qui, aujourd’hui prennent la parole ou plutôt la polluent et la galvaudent, car parler est une lourde responsabilité que la faune anthropomorphe intéressée ne peut assumer - équivaut à un crime par omission.

Parler dans l’espace public, c’est s’adresser à la raison des hommes et projeter l’accomplissement humain dans le social contre ces répétitions d’une idéologie de mode, d’un prêt à penser créé par la misologie, cet antidiscours agressif et hypercapitaliste du marché.

Dans un monde qui amollit les tempéraments et affaiblit les caractères, il est certes politiquement incorrect, socialement abject de ne pas rester aux baragouins faciles qui déclenchent les névroses et les passions. Mais c’est une responsabilité d’intellect et d’humanité que de sévir par le bon questionnement contre l’absurde bêtifiant et abêtissant programmé du système en cours.

Rendre la culture à son essence originaire, c’est saper l’impropriété balourde des pseudodiscours de réussite d’individus suspects, c’est humaniser les individus en les rendant à la dignité de la raison dans le champ de la vie séculière, loin de l’invasion des camouflets idéologiques et surtout loin du culte autolâtre d’une ploutocratie mondiale de droit divin ! Et pour Haïti, c’est refuser le discours messianiste ou populiste qui transforme les masses en base de mouvement électoraliste sans une vision de libération des mentalités débilitées par l’ignorance et l’extrême misère pour une politique du communautaire dans les domaines porteurs comme l’éducation citoyenne mais aussi dans l’économie de masse à travers l’agriculture, l’agro-industrie et le tourisme avec tous les domaines économiques et sociaux qu’ils engendrent et permettent d’entretenir.

Contact : aecmill@yahoo.fr