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Haïti : La Constitution de 1987, ce dernier verrou à faire sauter…

Débat

Par Gary Olius

Soumis à AlterPresse le 22 octobre 2007

En Haïti et au Venezuela les tentations politiques sont peut-être les mêmes, mais les réalités demeurent radicalement différentes. Et pour cause, les mêmes objectifs doivent se poursuivre différemment. Ce que le simple jeu des rapports de force permet d’acquérir au Venezuela, il faut et il faudra toute une gymnastique politique pour le conquérir en Haïti. L’isomorphisme des ambitions n’engendre pas automatiquement l’isomorphisme des espaces de possibilités politiques. De fait, Chavez n’a pas beaucoup sué pour arriver à faire passer le mandat présidentiel de 6 à 7 ans dans son pays et ouvrir la voie à l’éventualité de se faire re-élire indéfiniment. En Haïti, par contre, tout un arsenal doit être mobilisé rien que pour arriver à faire admettre le principe de l’amendement de la constitution en vigueur. Et que dire si les dirigeants souhaiteraient la tailler à la mesure de leurs fantasmes politiques…

Au pays de Simon Bolivar, il se passe des choses qui font saliver leurs homologues haïtiens et pour parvenir à des résultats similaires ceux-ci savent pertinemment que dans le contexte actuel ils doivent tenter, au bas mot, un vrai saut périlleux politique, c’est-à-dire une succession de manœuvres qui exige un mixage savamment dosé de force et de technique. Soit dit en passant qu’il y a aussi là-dedans le risque de se briser la nuque ou la ceinture ; bien sûr, figurément parlant. Une certaine maîtrise de l’art est nécessaire et c’est ce à quoi, paraît-il, les dirigeants travaillent. De fait, ils font déjà preuve d’un équilibrisme diplomatique remarquable dans leurs échanges avec deux ennemis jurés bien connus et jouent au plus malin dans leurs rapports avec les forces politiques locales. Ils se veulent incroyablement pragmatiques et postulent impassibles que (1) ce qui importe ce n’est pas le choix entre l’Ethanol de Bush ou le Pétrole de Chavez, l’essentiel est que le moteur marche ; (2) peu importe que le chat soit blanc ou noir pourvu qu’il attrape des souris. Cet exercice difficile et dangereux engendre un camouflage idéologique qu’il faut, en premier lieu, questionner chez nos dirigeants dans notre démarche pour comprendre les tenants et aboutissants leurs actions et de la conjoncture politique actuelle, laquelle est faite de provocations délibérées, de réactions apparemment inconsidérées, de risques majeurs de crises institutionnelles et aussi du silence – on dirait - négocié des partis politiques de l’ancienne opposition.

Le temps passe vite et on oublie qu’il y a un peu plus de 4 ans l’ex-Président Aristide a tenté un amendement de la constitution. Il passe si vite que certains ont du mal à se rappeler que c’est à la suite d’une série de visites au Venezuela et à Cuba que notre actuel Président a lancé, comme un ballon d’essai, l’idée d’examiner l’opportunité d’un reformatage de la constitution. Grâce aux efforts conjugués des factions encore saines de la société civile les décideurs ont éprouvé, pendant un laps de temps, une certaine gêne à clamer haut et fort leur aversion pour cette loi-mère. Mais, du reste, les décideurs se sont rendus compte que l’argument le plus récurrent dans le discours des adversaires de ce projet est qu’on ne saurait plaider pour le remaniement d’une charte dont on n’a pas encore testé l’applicabilité et les limites.

A malin, malin et demi, ce test d’applicabilité tant désiré le pouvoir en place semble vouloir le faire de manière artificielle, c’est-à-dire en simulant comme au labo ce que peuvent faire certaines autorités des milieux judiciaires et législatifs quand elles ont les coudées franches pour exécuter à leur façon leurs « prérogatives constitutionnelles » et ce, tout en utilisant sournoisement des incitatifs difficilement détectables par les principaux concernés. Et depuis lors, les crises entre les trois principaux pourvoir d’Etat se sont multipliées à un rythme inégalé, les mêmes personnes interviennent à tort et travers et font la une de l’actualité sans savoir qu’elles jouent les marionnettes. Les effets de leurs excès (provoqués par manipulation) ont réussi à maintenir la société haïtienne ou même la communauté internationale sous le stress d’un risque élevé de paralysie ou d’impasse politique. Pour s’en convaincre, on peut considérer le rapport Exécutif/Parlement ou Judiciaire/Parlement au cours des 10 premiers mois du gouvernement. Le nombre de frictions ouvertes ou déclarées se résumait aux remontrances faites au Premier Ministre pour son penchant maladif à négocier avec les bandits qui semaient la terreur au sein de la population haïtienne. Mais d’avril 2007 à nos jours, on a l’impression que les trois principaux pouvoirs de l’Etat sont en guerre permanente et les dirigeants feignent de vivre dans la crainte morbide d’une crise institutionnelle insurmontable qui serait de nature à re-plonger le pays dans le chaos. Et ladite crise serait imputable à la constitution de 1987. Mais en fait, qu’est-ce qu’il y a de différent entre ces deux périodes considérées ? Rien d’autre que le positionnement beaucoup plus clair des forces sur l’échiquier politique et la re-considération de l’enjeu du pouvoir sur le long terme. Ces deux éléments peuvent être résumés dans la question suivante : “Dans l’hypothèse que la MINUSTAH laissera le pays après 10 ans, qu’elle sera la configuration de l’espace politique sans les bandits qui pesaient très lourds dans les décisions de l’électorat haïtien et avec l’arrivée d’une nouvelle force publique et le possible retour des duvaliéristes ?”.

Depuis la tradition post-aristidienne et encore plus avec l’avènement du Président Préval au pouvoir, beaucoup d’Haïtiens se sont rendus compte que les politiciens les plus tonitruants du mouvement GNB n’avaient pas de grosses ambitions et que si Aristide avait eu la générosité de leur mettre quelque chose sous les dents il finirait tranquillement son mandat. On s’en souvient, il y a deux ans, tout était permis à Gérard Latortue. Et aujourd’hui tout est permis au Président Préval. La raison tient au fait que ces deux régimes ont manifestement un point commun : ils savent comment convertir les anciens « opposants » en leurs meilleurs alliés. Latortue en a fait l’expérience et Préval en a pris la leçon : Les politiciens haïtiens sont comme les jeunes filles dont parlait Maurice Sixto dans sa pièce ‘j’ai vengé la race’, quand ils s’ennuient, il faut leur donner à travailler … ou à manger. Les mauvaises langues diraient peut-être que cela est quand-même bon pour la paix de nos oreilles, de nos yeux, de nos rues et de nos nuits. Qui sait ?

Par ailleurs, avec le limogeage du dangereux gauchisant Juan Gabriel Valdés, la MINUSTAH a pu redorer son blason en marquant des points importants dans son projet de stabilisation de la situation sécuritaire du pays. Elle a permis à l’Etat de récupérer le monopole de violence qui lui a échappé depuis des lustres par la faute des politiciens sans popularité et qui ont vu dans les groupes armés une rampe de lancement sure pour accéder au pouvoir. Parallèlement, la progression du débat sur le retour d’une force publique, constitutionnellement l’Armée d’Haïti, plonge une part importante de classe politique haïtienne dans une profonde appréhension. Les “si” les plus abracadabrants se multiplient et alimentent les phobies politiques. Cela déchaîne une velléité irrépressible d’anticiper sur les événements et modifier le cours des choses. C’est à peine si les acteurs les plus influents gardaient encore le sens de l’histoire, ils cherchent à droite comme à gauche la solution qui leur permettrait d’arriver le plus sûrement et le plus rapidement possible à leur fin. Et puis, dans cette quête acharnée, ils ont découvert en la constitution le point d’appui idéal pour chambarder un système que leur propre schizophrénie politique a inventé. Dans l’état actuel des choses, l’essentiel serait de terrasser tous les vieux démons qui hantent leurs esprits et qui les empêchent de voir le pays avec des yeux du XXIè siècle.

Les assauts contre la constitution prennent une dimension inquiétante et on se demande si les responsables actuels lésineront sur les moyens et s’embarrasseront de pudeur politique pour parvenir à leur fin. Le discours du Président lors de la célébration de la mort de Dessalines a fait mouche et a forcé pour une fois certains leaders politiques à sortir de leurs gons. La presse s’est beaucoup arrêtée sur une fraction de cette déclaration tonitruante : “la constitution de 1987 est source d’instabilité”, mais on oublie que préalablement une brochette d’intellectuels a produit à la solde du Président un document qui lui a fourni les « arguments » pour corroborer sa déclaration. Misant sur un effet trompe-l’œil académique, ces « experts » ont remué mille et une théories pour apporter de l’eau au moulin de notre Président et lui faciliter la tache dans ses assauts répétés contre la loi-mère. Dommage, ils ont péché sur l’essentiel ; ils oublient que, dans le débat actuel, ce qui compte le plus c’est l’opinion des Haïtiens eux-mêmes,… n’en déplaise à Gosselin, Filion, Mirkine-Guetzevitch et consorts qu’ils ont appelés à leur rescousse.

Le caractère ultra-réaliste de la politique haïtienne veut qu’un président jure pieusement, au vu et su de tout le monde, de respecter la constitution pour ensuite l’identifier à tort ou à raison comme source première d’instabilité, oui tout juste bonne pour la poubelle. Ce réalisme de mauvais aloi flirte dangereusement avec l’hypocrisie et le pire est que finalement, on ne saura jamais quand nos dirigeants mentent ou sont sincères dans leurs déclarations. Notre Président était-il sincère lors de sa prestation de serment, en jurant fidélité à la constitution ? Si oui, on pourrait considérer ses dernières déclarations comme une mordante plaisanterie ; auquel cas il ne prendrait pas la société haïtienne au sérieux. Si, au contraire, notre Président n’était pas sincère lors de sa prestation et savait pertinemment qu’il allait crier haro sur la loi-mère tout en simulant devant Dieu et devant les hommes qu’il était disposer à la respecter ; là encore il fait preuve de mépris envers l’Etat et envers les Haïtiens qu’il dirige. Sous les deux hypothèses, on pourrait aboutir à la conclusion que la posture qu’a pris le Président le 17 octobre 2007 mérite un questionnement de fond. Le fait de voir un corpus de principes (jamais appliqué) comme une principale source d’instabilité est symptomatique d’un profond malaise entre la vision politico-idéologique de celui-là qui est placé pour le faire respecter et le corpus en soi. Il y a sans doute un besoin de re-formatage quelque part ; mais savoir de quel coté se situe ce besoin est déjà très problématique ? Nous y reviendrons….