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Ue-Acp-Ape : Il ne s’agit pas d’imposer le libre échange

Par Peter Mandelson et Louis Michel [1]

Soumis à AlterPresse le 22 octobre 2007

Aucune question ressortissant à la politique commerciale et de développement de l’Europe n’est
aussi pressante ni aussi sensible politiquement que celle de savoir comment mettre à profit le
commerce pour aider les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique à bâtir des économies
plus fortes et à cesser d’être tributaires des préférences commerciales et des échanges de
produits de base.

La solution consiste à accroître la confiance et les débouchés des entreprises locales, à attirer
de nouveaux investissements et à mettre en place des marchés régionaux solides. Elles seront
ainsi mieux armées pour écouler leurs produits sur le marché mondial. Les accords de
partenariat économique que l’Union européenne négocie actuellement avec les six régions
d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique doivent précisément contribuer à l’ensemble de ces
objectifs. Ils instaureront une nouvelle relation commerciale, fondée non plus sur la
dépendance, mais sur la diversification et la croissance économique.

Certaines idées fausses circulent cependant au sujet des « APE » ; elles compliquent la tâche des
acteurs des pays ACP qui souhaitent ces accords et en ont besoin. Les détracteurs des accords
de partenariat économique font valoir que l’UE exerce des pressions sur les régions ACP pour
que les négociations soient finalisées cette année mais ce n’est pas l’UE qui impose cette
échéance.

Notre régime commercial actuel favorise certains pays en développement, à savoir les ACP, et
en désavantage d’autres, ce qui n’est pas compatible avec les règles du commerce international.
En 2000, au moment où nous avons arrêté notre régime actuel, nous avons promis aux pays en
développement non-ACP que nous mettrions en place un nouveau système d’ici à la fin de cette
année. Lorsque la dérogation qu’ils nous ont accordée pour ce régime prendra fin, ils pourront
nous demander des comptes et n’hésiteront pas à le faire.

À moins que nous ne convenions de nouvelles dispositions compatibles avec l’OMC, nous
devrons en revenir à notre régime de préférences par défaut pour tous les pays en
développement, à savoir le schéma de préférences généralisées qui est moins avantageux que
notre système actuel. Contrairement à un accord de partenariat économique, il n’aiderait pas
non plus les pays ACP à établir des marchés régionaux, à améliorer les normes relatives aux
produits ou à promouvoir l’investissement. L’UE ne menace pas de relever les droits qu’elle
applique vis-à-vis de ces pays, au contraire elle fait tout qui est en son pouvoir pour l’éviter.

Dans certaines régions, il y a de bonnes raisons de penser qu’un accord complet sera mis en
place avant la fin de l’année : ouverture du commerce et règles régionales dans le domaine des
biens et des services, règles en matière de bonne gouvernance économique et aide au
développement ciblée. Dans d’autres régions, les progrès ont été plus limités et il faudra un peu
plus de temps pour parvenir à des accords globaux.

Mais plutôt que de refuser de signer un accord tant que tous les éléments de la négociation
n’ont pas été bouclés, nous avons estimé que pour autant que nous parvenions à nous entendre
sur la question du commerce des marchandises, nous occuperions une position solide au sein
de l’OMC. Autrement dit, l’accès préférentiel de ces pays au marché de l’UE sera préservé.
Nous achèverons alors les discussions sur d’autres volets importants de l’accord au début de
2008.

Seul un accord global permettra d’exploiter pleinement les avantages qu’offrent les APE sur le
plan du développement mais le fait de parvenir dès à présent à un accord sur le commerce des
marchandises empêchera au moins que le commerce des ACP avec l’Europe ne soit perturbé.

Les détracteurs des accords de partenariat économique font valoir que ces accords ouvriront les
marchés ACP au commerce communautaire au détriment des entreprises locales et de la
croissance locale. Encore une fois, rien n’est plus faux. Les APE ne seront pas synonymes de
« libre échange » entre l’UE et les pays d’Afrique et des Caraïbes à partir du 1er janvier prochain,
ni même à brève échéance.

Ce que l’UE offre, c’est une suppression totale des doits de douane et des contingents, avec de
courtes périodes de transition pour le sucre et le riz. Nous veillerons également à ce qu’il n’y ait
aucune subvention à l’exportation sur tous les biens exemptés de droits par les pays ACP. Les
pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique pourront protéger et exclure certains produits
sensibles et tirer parti des longues périodes de transition pour développer des industries
émergentes et protéger des secteurs agricoles fragiles si tel est leur souhait.

La vérité c’est que rien n’annonce une arrivée en force des entreprises et des investissements
communautaires sur les marchés ACP. Le problème n’est pas que les entreprises et les
investisseurs de l’UE s’intéressent trop à ces marchés mais, au contraire, qu’ils s’y intéressent
trop peu.

Le processus engagé ne concerne pas uniquement le commerce ; il s’agit en fait de faire
converger réforme économique et aide au développement. Nous voulons développer les
marchés régionaux et attirer de nouveaux investissements.

Les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique continueront non seulement à recevoir chaque
année des centaines de millions d’euros au titre de l’aide au développement, soit au total
23 milliards d’euros jusqu’en 2013, mais ils seront aussi d’importants bénéficiaires de la
décision de faire passer à deux milliards d’euros par an les dépenses consacrées par l’Europe à
l’aide au commerce, la priorité allant aux mesures qui contribuent à la mise en oeuvre d’accords
de partenariat économique.

Les négociations relatives aux accords de partenariat économique nous confrontent, sans
conteste, à des questions complexes. Nous refaçonnons une relation économique qui est en
place depuis de nombreuses années. Personne toutefois ne croit que le statu quo actuel
fonctionne. Freinée par sa dépendance à l’égard de quelques produits de base, l’Afrique accuse
un lourd retard par rapport à l’Asie et à l’Amérique latine en matière de réduction de la pauvreté
et de croissance économique. En l’absence d’une alternative crédible, réclamer l’abandon des
négociations sur les APE revient à mettre en péril les moyens de subsistance de ceux que nous
nous efforçons d’aider.

D’aucuns sont tout simplement hostiles à l’idée même que les pays ACP puissent se retrouver
aux côtés de l’Europe pour négocier un accord commercial. Il se peut que cette perspective
dérange ceux parmi les Européens qui préfèrent les caricaturer comme faibles et sans défense.
Les pays ACP eux-mêmes ont cependant réaffirmé, à plusieurs reprises, leur attachement aux
objectifs que poursuivent les accords de partenariat économique.

Un débat sur les APE est bien entendu nécessaire. Néanmoins, ceux qui laissent entendre que
les accords de partenariat économique représentent une menace pour le développement ont non
seulement tort mais ils sapent aussi les efforts de ceux qui, en Afrique et dans d’autres pays
ACP, s’efforcent d’oeuvrer, de manière constructive, en faveur de la réforme économique et de
l’établissement de nouvelles relations avec l’Europe dans le domaine du commerce et du
développement.

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Voir la position exprimée par la coalition « Bare Ape », composée de 9 associations et réseaux du mouvement social, à l’adresse http://www.alterpresse.org/spip.php?article6539


[1Les auteurs de ce texte sont les commissaires européens chargés respectivement du
commerce et du développement.