Par Roland Belizaire (1)
Soumis à AlterPresse le 12 octobre 2007
En Haïti, comme dans beaucoup d´autres pays de l´Amérique latine et d´Afrique, une bonne partie de la population est tiraillée par un sentiment ambivalent, mitigé, manifesté par la nostalgie de l´ancien ordre. Pour certains oligarques de l’ancien régime, ce sentiment est expliqué par la perte d´un pouvoir qui, par la suite, ne fait que vaciller. Pour d´autres – des anciennes victimes mélangées à des sympathisants et de potentielles victimes – il est justifié par la détérioration des conditions de vie, la débandade au sein de l´appareil administratif public et la violation de la souveraineté nationale. Cependant, cette dernière catégorie ne fait aucune relation entre la situation présente et celle passée en termes de continuité et, ne saisit pas les spécificités et les contributions de chacune des périodes, en termes de rupture, à la dynamique globale de sous-développement et de dépendance du pays de l’international.
A cet effet, notre brève étude vise à démontrer tant au niveau économique et social, qu’au niveau politique, qu’à travers les politiques suivies par les différents régimes en place dans le pays de 1970 à 2004 – il existe autant de point de rupture que de continuité au sein de la période globalement. Le pouvoir dictatorial de Duvalier s´est servi d’une embellie économique pendant plusieurs années et le processus de démocratisation entamée depuis 1986 s’est soldé par une aggravation de la situation sociale et économique. Entre-temps, le Fonds Monétaire international (2) ne cesse de répéter qu´Haïti est le pays le plus pauvre de l´hémisphère américain, mais également le plus libéral.
Quelques considérations d’ordre méthodologique
Nous sommes conscient de la complexité d’une telle réflexion, compte tenu que chacun de ces thèmes peut constituer à lui seul, un débat riche, complexe et des études approfondies. Vouloir alors les mettre tous dans un même panier tout en saisissant les multiples relations qui existent entre eux, peut sembler de l’acrobatie intellectuelle. A cet effet, au prime abord, trois remarques s’imposent :
1. A notre avis, notre sujet est composé méthodologiquement d’un thème transversal : le développement et de deux autres opposés, contraires et pouvant faire partie inversement d’un même contexte total à savoir, la démocratie et la dictature. Dans ce cas, existe-t-il ou peut-il exister, une rupture de développement (le sous-développement ou le déficit de développement) quand les pratiques démocratiques sont bafouées et/ou en faillite ? Car les pratiques démocratiques et/ou dictatoriales sont en même temps un élément stratégique du mode de gestion politique du développement. Nous pouvons nous demander également, si en présence d’un pouvoir ‘’dictatorial’’, le processus de développement se trouve forcément en situation de véritable cassure, de régression et/ou de sous-développement ?
La relation de causalité insinuée ici entre le mode de gestion politique - la nature du pouvoir politique qui oriente la politique économique- et le résultat de cette relation qui est le développement ou le sous-développement ou, l’aggravation du sous-développement, tend à être trop simpliste et mécanique. Puisque le développement en tant que pratique n’évolue pas seulement en fonction des comportements socio-politiques des principaux acteurs (l’Etat, les classes sociales, les groupes sociaux et l’international), mais également en fonction de certains aspects techniques qui lui sont propres.(3)
Toutefois, il peut paraître plus facile de penser que les pouvoirs démocratiques promeuvent mieux ou sont plus aptes à promouvoir le développement. Tandis que, ceux dictatoriaux s’y opposent et conduisent au sous-développement. Mais de quel développement et de quelle démocratie s’agit-il ? Ou encore, de dictature dans quel système ou formation socio-économique donnée ?
Soulignons d’une part, que le concept de développement se diversifie de plus en plus en : développement endogène, développement auto-centré, développement extraverti, développement du sous-développement, développement social, développement économique, développement durable, développement humain, etc. D’autre part, les écoles théorisant sur les pratiques de développement et offrant des paradigmes s’accroissent d’année en année et certaines se fourvoient dans la réalité(4). Par conséquent, il nous incombe et nous paraît capital de définir brièvement ce cadre théorique et analytique minimal de notre présente communication.
2. Ce faisant, nous voulons nous écarter d’une certaine tendance universaliste, de la notion de démocratie et de celle du développement, et des caricatures figées que l’on présente souvent de l’une et/ou de l’autre. Si la démocratie et/ou la dictature ne sont en fait que des formes de gouvernance de la res publica et ne relèvent pas forcément ni de la science, ni de la technique mais de la vertu (de l’ Esprit des lois de Montesquieu) des peuples et de leurs dirigeants, la meilleure façon d’entendre ces concepts et de comprendre les pratiques y découlant, est de partir de l’histoire des peuples, de leur vécu, de leurs coutumes et mœurs, de leurs traditions, de leurs rêves différenciés suivant l’organisation socio-économique.
Alors, la tendance de vouloir imposer un modèle de démocratie à tous les autres peuples – la démocratie du dehors - entraîne une triple conséquence :
elle empêche la construction d’un monde véritablement démocratique en refoulant, en occultant toute initiative démocratique locale découlant des réalités diverses (culturelles, historiques, sociales) des autochtones ;
elle tend à soutenir paradoxalement au sein de ces sociétés les tendances non démocratiques devenant ainsi une dictature aux yeux des citoyens de ces pays dominés ;
enfin de compte, la tendance ‘’démocratique’’ hégémonique et universaliste, ralentit le développement de l’humanité et de l’histoire. Ce faisant, elle contrarie le développement de la science car les lois découlant de la somme d’expériences des différentes civilisations humaines auraient pu aider à mieux comprendre sur une base scientifique la culture démocratique.
Insister à croire ou à faire croire que les questions démocratiques peuvent se poser et se doivent de l’être de la même façon par exemple qu’à Cuba ou dans une société socialiste que dans les sociétés à prédominance capitaliste, ne fait montre que de l’incompréhension totale et renverse le bon sens.
Dictature et démocratie, en fait, ne sont souvent reliées que dans un même cadre historique, national, social et politique. Ce sont les deux faces d’une même médaille. Elles se développent de façon dialectique en s’excluant l’une l’autre suivant la dynamique sociale et historique jusqu’à aboutir peut-être à un type de rapport socio-politique qui n’est ni démocratique ni dictatorial au sens traditionnel des termes.
Pareillement, en dépit de la diversité des paradigmes de développement, ce concept n’échappe pas au discours dominant et universaliste, soit dit, à l’orthodoxie classique. L’insertion du développement économique aux questions politiques indique ici une démarche déjà non économique – dans le sens de l’économique- mais d’économie politique. Nous entendons par là, la prise en compte des contradictions entre les différents acteurs socio-économiques, le mode d’organisation ‘’citoyenne’’ dont les différents groupe, catégories et classes se dotent en vue de défendre leurs intérêts spécifiques. Ce qui suppose une rationalité agissante des différents acteurs à travers le mode de distribution des moyens de production et/ou d’existence (de survie). Tout ceci ne semble pas être uniquement du ressort des institutions économiques (monnaie, marché, entreprises), mais relève des institutions politiques dont l’Etat.
Toutefois, les institutions fondant et instituant les relations politiques entre les différents acteurs peuvent modifier progressivement peu ou prou, ou radicalement, les institutions et les pratiques socio-économiques et vice versa. L’ampleur du changement ou de la transformation des comportements socio-économiques et politiques et l’établissement de nouvelles normes, de nouvelles institutions, d’un nouveau contrat social au sein de la société en question, indiqueront un double niveau de rupture et/ou de continuité en terme de mode de gestion politique des relations politiques d’une part, et de mode de gestion politique des relations économiques, d’autre part.
3. Méthodologiquement et théoriquement, notre souci n’est pas d’analyser la problématique de la démocratie et de la dictature versus le développement dans un cadre comparatif entre deux systèmes économiques, politiques et philosophiques différents, mais de les appréhender dans l’évolution du système économique capitaliste, et de façon particulière, dans le cadre de l’évolution de la société haïtienne de 1970 à 2004.
La question du développement en Haïti sous la dictature et à l’heure de la ‘’démocratisation’’
Avant la montée des Duvalier au pouvoir en 1957, au cours de leur présidence à vie (1957-1986) et de 1986 à nos jours, Haïti n’a jamais été classée comme un pays développé et même comme un pays en voie de développement. La question du développement en Haïti, posée généralement par les Institutions internationales et la plupart des experts occidentaux en termes de réduction de la pauvreté, de modernisation des infrastructures et de l’administration, d’industrialisation des secteurs productifs et bref, de croissance économique, restait et reste encore un vœu pieux en dépit des limites réelles de ces approches.
L’approche ‘’alternative’’ reconnaît que le développement dans le monde capitaliste et son mode de gestion, pour être durables, doivent être l’œuvre des autochtones, des nationaux, c’est-à-dire en partant de leur culture, de l’histoire du pays, de leur créativité, des ressources locales et nationales tout en développant avec les autres pays de la région et du monde des relations de coopération basées sur le principe du respect de la souveraineté de l’Etat, de la diversité culturelle des peuples et de leur droit à l’autodétermination.
En fait, il n’existe aucune contradiction sérieuse entre ces deux logiques du développement. Le problème se pose dans le cadre de l’élaboration et l’opérationnalisation des politiques de développement ou, dans le cadre de la définition des stratégies de développement. En effet, quel pays du tiers monde ou quel habitant du tiers monde peut déclarer qu’il est contre l’industrialisation de l’agriculture et de l’économie en général ? Sommes-nous contre la croissance ou contre le mode de gestion de la croissance économique ou encore les mécanismes et politiques qui en sont à la base ?
Si on est d’accord que la politique n’est rien d’autre qu’une vision –globale, stratégique, orientée dans le temps - dont on se fait des choses et de la société, il appert que toute logique socio-économique de développement est animée par des intérêts politiques quelconques.
Ce postulat de base peut-il être justifié dans le cas d’Haïti ?
A l’évidence, au cours des années 60, particulièrement 70, la situation macroéconomique et sociale haïtienne ne se trouvait pas à un niveau si débile. L’environnement, également, n’était pas encore à ce stade si critique. Mais cela ne signifie que le pays sous la dictature de Jean-Claude Duvalier, même selon le langage orthodoxe, était développé. La détérioration qui a succédé Duvalier, s’enracine ainsi dans sa politique, dans la gestion corrompue qu’il faisait du pouvoir avec son équipe.
La décennie 70 a vu naître dans le pays une plus forte pénétration des rapports capitalistes, la mise en place de quelques infrastructures de base, l’élargissement du secteur bancaire et financier, l’installation de certaines entreprises à capital national et mixte ; bref, une certaine expansion de l’oligarchie et de l’économie, particulièrement avant l’explosion de la crise des années 80. Mais, cette nouvelle dynamique s’est réalisée à la faveur des coups de dollars venus de l’étranger, de l’exploitation des masses rurales (le café étant le principal produit d’exportation) et urbaines (dans les zones franches installées à Port-au-Prince).
A titre d’illustration, la Banque interaméricaine pour le développement (BID)(5) rapporte que : « L’année 1980, qui s’est soldée par une baisse de 7% du PIB réel, a marqué la fin de la croissance soutenue dont Haïti a joui pendant une bonne partie des années 70, lorsque l’économie avait profité des investissements extérieurs, des prix élevés des produits de base et du développement des zones franches industrielles ».
Charles Etzer(6) décrit autrement ce contexte : « Avec le duvaliérisme, le pays s’est retrouvé aujourd’hui sous la tutelle de ce que J. Astuy nomme très justement ‘’ la société protectionniste des sociétés attardées’’. En effet, l’apport de l’aide internationale (dons et prêts), qui atteignait une moyenne de 30 millions de gourdes vers la fin des années 60, était passé respectivement de 1971-72 à 1979-80 de 39,7 millions de gourdes à 3514 millions. Cela a engendré une participation de 60% en moyenne des instances étrangères au budget de développement, ainsi qu’un accroissement continu de la dette externe qui en 1980, s’était élevée à 1 326,617 millions de gourdes [….]. Entre 1960 et 1970, le taux de croissance était de 0,4% correspondant en fait à une diminution du PIB par habitant. Si pour la décennie suivante ce taux s’élevait en moyenne à 2,7%, il s’agissait d’une croissance modérée, ne profitant qu’à une minorité bourgeoise. Un pourcentage qui occulte le marasme économique dans lequel s’enfonçaient de plus en plus les secteurs de l’économie […] ».
Claude Moise(7) est plus direct, acerbe et critique dans son appréciation du duvaliérisme en ce qui a trait au développement. « Les effets contradictoires de la conjoncture développementiste marqueront l’évolution du régime des Duvalier au cours des années 70. Sans rien changer aux caractères totalitaire et despotique du duvaliérisme, le jean-claudisme apparaîtra comme un moment de l’évolution du régime à la recherche d’une nouvelle légitimité. D’où le besoin de décrispation et la nécessité d’une prise de distance de la violence nue et aveugle. Pour absorber l’aide, accueillir les techniciens et les coopérants, le pouvoir est placé devant l’obligation de procéder à une certaine modernisation de l’appareil d’Etat, de pratiquer une gestion administrative efficiente et de faire montre de retenue dans le maniement de son appareil répressif. Les puissances tutrices, les organismes d’aide, les organisations financières internationales pousseront en ce sens. Ainsi la présence étrangère et le renforcement de l’assistanat contribueront à réduire la pesanteur totalitaire sur le pays, ce qui favorisera les prises ponctuelles de liberté, la lente reconquête de la parole et le déploiement progressif des activités autonomes de la société civile. »
En somme, Jean-Claude Duvalier en s’adaptant aux nouveaux contextes politiques et financiers des années 70, en installant une certaine discipline dans l’administration publique et en continuant à brimer les droits de la majorité de la population a embelli l’économie dirigée par son équipe au pouvoir. Mais le développement était encore très loin d’être une réalité en Haïti. Le tableau ci-dessous indique quelques chiffres relatifs à certains indicateurs économiques et sociaux :
Produit Intérieur Brut par Habitant Dollars E.U. de 1988* | Espérance de vie à la naissance | Taux d’analphabétisme(en pourcentage) | Taux de mortalité infantile(Pour mille) | |||
1970 | 1980 | 1985 | 1970 | 1970 | 1970 | |
Haiti | 326 | 431 | 375 | 47,6 | 78,7 | 161,8 |
Guatemala | 825 | 1.085 | 891 | 52,5 | 54,0 | 100,2 |
Guyana | 722 | 759 | 624 | 64,7 | 8,4 | 56,0 |
Honduras | 808 | 1.015 | 892 | 52,7 | 43,1 | 115,2 |
Jamaïque | 1.833 | 1.341 | 1.221 | 67,2 | 3,9 | 39,6 |
Rep. Dom. | 496 | 761 | 730 | 58,7 | 33,0 | 98,4 |
Trinité & Tobago | 3.996 | 6.520 | 5.181 | 66,2 | 7,8 | 34,4 |
Source : *BID, Progrès économique et
social en Amérique latine, Rapport 1990, Section spéciale la
femme au travail en Amérique latine, p.4 et 290. Pour les
données sociales, BID, Rapport annuel 1990, pp132-133
De pareilles performances du jean-claudisme ont conduit Jacques Barros(8) à conclure que « s’il fallait encore une preuve de vanité des recettes de développement et de l’impossibilité d’un véritable progrès dans le cadre de structures vicieuses, l’expérience jean-claudiste en est une ».
Néanmoins, l’équipe de Duvalier était très réticente face à la libéralisation du marché et à l’assainissement de l’administration publique par la privatisation des entreprises de l’Etat, mesures exigées par le Fonds Monétaire International au début des années 80.
Ainsi, la conclusion de Barros était trop hâtive, puisqu’il ne s’agit pas seulement de vanité des recettes de développement sous le gouvernement de Duvalier, mais ces recettes sous d’autres formes (Programme d’Ajustement Sructurel, Programme de relais, ONG,) prolifèrent après Duvalier, mais sans résultat sinon que la situation socio-économique des masses s’aggrave. Cet argument est soutenu également par Pascal Pecos Lundi(9), en reconnaissant ce qui suit : « Les réformes économiques engagées depuis plus de vint ans n’ont pu freiner le déclin amorcé à la fin des années 70. Elles ont échoué dans leur tentative de stabiliser l’économie haïtienne voire de la relancer. Cette économie a considérablement régressé affichant une croissance moyenne insuffisante, et déclinant sur des périodes plus ou moins longues (-1,04% pour la période 1986-1997) pendant que la population se multiplie au rythme annuel d’environ 2%. Entre 1980 et 1998, le PIB per capita, en dollar de 1995, a chuté de plus d’un tiers passant de 607 à 370 USD (PNUD, Rapport IDH 2000). »
Donc, si au niveau de la politique traditionnelle, après Duvalier la violation des droits civils et politiques évolue en dents de scie suivant la conjoncture, la violation des droits socio-économiques et culturels est en parfaite croissance. Cette détérioration des droits sociaux imputant sur la liberté réelle des citoyens résulte des choix politiques de développement des différents gouvernements allant de 1986 à 2004. Citons à cet effet, la libéralisation du marché entamée depuis 1986, la privatisation des entreprises publiques sous la présidence de Préval I, la politique de départ volontaire au sein de l’administration publique, la ‘’reforme fiscale’’ et tarifaire, la loi de mars 1995 qui a dégrevé considérablement les tarifs douaniers, le renforcement de la tutelle internationale depuis 1994, l’augmentation du service de la dette externe, la dévaluation de la gourde et la persistance des déficits commercial et financier de l’économie haïtienne.
Des mesures qui engendrent entre autres choses les conséquences suivantes(10) : « Le faible niveau de certains indicateurs, tels que l’insuffisance pondérale chez les enfants de moins de cinq ans, l’accessibilité aux soins de santé, la mortalité infantile et post infantile, la mortalité maternelle, le taux de séropositivité au VIH, montre que les conditions de vie de la population sont encore précaires. A titre d’illustration, l’espérance de vie à la naissance demeure faible (54 ans) et la ration calorifique moyenne qui était estimée à 1788 calories/jour par personne en 1987 soit 80% de la ration journalière recommandée par la FAO, a régressé pour se situer autour de 1750 calories durant la deuxième moitié de la décennie 90.
En ce qui concerne l’extrême pauvreté, la majorité de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté absolue et, à ce propos, la Banque Mondiale estime aujourd’hui que 80% des 2/3 de la population qui vivent en zone rurale sont des pauvres. En ce qui a trait à l’inégalité sociale, seulement 4% de la population possèdent 65% des ressources de tout le pays. »
Aussi, cette période post-duvaliérienne (1986-2004) que certains considèrent comme une période de transition démocratique, porte l’empreinte de trois grands phénomènes :
1) une crise de leadership institutionnel et politique de type classiste, manifestée par la débandade au niveau de l’administration publique, l’amplification des pratiques de corruption et d’enrichissement illicite, et la tentative de restructuration progressive des classes oligarchiques et dirigeantes en perte de toute légitimité de continuer à asseoir leur domination sur les masses laborieuses appauvries ;
2) le renforcement de la dépendance et de l’assistanat de l’Etat joint à la mise en place systématique des politiques anti-populaires et anti-nationales et contre toute logique de développement réel ;
3) l’irruption des masses marquée par une politisation de la sphère sociale et culturelle et par une velléité d’en finir avec ce cycle infernal de désolation et de misère de toutes sortes ;
Ces trois phénomènes, évoluant en s’entrechoquant dans un même espace socio-économique, politique et culturel, constituent un véritable complexe d’intrigues et de conséquences les unes plus imprévisibles que les autres.
La crise de l’Etat post ou néo-duvaliérien (la restructuration de la société politique, la recherche de contrôle des appareils et entreprises étatiques par les classes dirigeantes et la bureaucratie traditionnelle et potentielle) est une crise d’auto-destruction, car elle est entretenue par l’Etat lui-même. Ainsi, confus ou attitude pragmatique, l’international et une certaine frange de la bourgeoisie, en vue de contrecarrer la présence même ‘’non organisée’’ des masses sur la scène politique, jettent parfois dans la conjoncture et par conjecture leur dévolu sur des leaders d’occasion et non de classe ; ce qui leur coûte souvent de grandes déceptions et d’efforts supplémentaires afin d’atteindre leur but. L’expérience lavalassienne peut servir à ce titre d’exemple probant. L’international et notamment le grand patron américain semblent chercher en vain ‘’ the best way’’ ou semble la construire chemin faisant, c’est-à-dire sur le tas, sur le terrain.
La crise dans laquelle s’enlise le pays depuis la fin des années 70, porte une autre dimension fondamentale : elle est d’abord une crise de liberté, une crise de confiance en soi (collectivement en tant que groupe ou classe ayant les mêmes intérêts, la conscience de classe) et confiance en l’Etat capitaliste dépendant du pays.
C’est également une crise de droit au respect de la dignité humaine dans toutes ses composantes et une crise d’alternative dans le sens gramscien du terme. En effet, l’ancien ordre amalgame toutes sortes de solutions, combine les toutes sortes de missions et de politiques, mais n’arrive pas à tenir le coup et à offrir véritablement et de façon durable une alternative. Cependant, le nouvel ordre qui devra remplacer ce modèle de démocratie et développement à tendance universaliste et occidentale qui brime au lieu d’émanciper l’individu, qui privatise tous les espaces collectifs et qui laisse de moins en moins de place à la construction d’une véritable société démocratique et développée, se tarde à le faire.
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Notes bibliographiques
1. Ce texte, Démocratie, dictature et développement : ruptures et continuités – le cas d’Haïti (1970-2004), est une communication présentée le mardi 14 novembre 2006 au Colloque international tenu à Port-au-Prince du 14 au 17 novembre 2006, organisé par le Réseau « état de droit saisi par la philosophie » de l’Agence Universitaire de la Francophonie (AUF) dont le thème général fut : « La démocratie du dehors ». Il a également fait l’objet de notre participation à la 32ème Conférence de l’Association des Etudes Caribéennes, tenue à Salvador de Bahia (Brésil) du 28 mai au 1er juin 2007. Une première partie sous le titre : démocratie et mythes de la démocratie, a été publiée par Alterpresse en date du 2 décembre 2006.
2. IMF, Haiti selected issues, Staff Country Report No. 01-04, january 2001 http://www.imf.org/external/pubs/ft/scr/2001/cr0104.pdf. Since the restoration of democracy in 1986, the Haitian authorities have persevered an establishing and maintaining a liberal trade regime, under difficult politivcal and economies circumstances. Starting in 1986-87, Haiti boldly dismantled the protectionist trade system that was in place at the time......As a result of liberal trade policy, Haiti, albeit there the porest country in the Western hemisphere, currently ranks among the most open economies worlwide. p.42
3. Voir Malcolm Gillis et alli. ; Economie du développement, un livre classique qui présente les multiples facettes du développement et les politiques et stratégies y afférentes. Au premier chapitre, les auteurs ont eu du fil à retordre en présentant la classification des pays en termes de développement. Les critères de revenu et d’industrialisation définis par les institutions internationales semblent être insuffisants pour dire qu’un pays est développé ou non. Puisqu’il existe des pays comme certains exportateurs du pétrole du Moyen Orient qui possède un PIB per capita élevé mais avec les structures socio-économiques de pays dits sous-développés. En même temps un pays comme Israël possédant une forte capacité industrielle, est classé comme PED.
4. Entre autres livres et documents traitant des différents paradigmes de développement, voir celui de Marie Théodore et Cathy Wentz sous le titre de croissance et développement, disponible sur internet.
5. Banque Interaméricaine de Développement, Rapport annuel 1990, p.134
6. Etzer Charles, Le pouvoir politique en Haïti de 1957 à nos jours, p.419
7. Claude Moïse, Constitutions et luttes de pouvoir en Haïti, tome II, p.420
8. Jacques Barros, Haïti de 1804 à nos jours, Tome II, p.379
9. Lire l’article de Pascal Pecos Lundi, Retour sur les causes de l’échec des programmes d’ajustement structurel (PAS) en Haïti http://www.alterpresse.org/imprimer.php3?id_article=4538
10. Mémoire du Gouvernement d’Haïti, présenté à la Troisième Conférence des Nations Unies sur les Pays Moins Avancés (PMA), Bruxelles, 14 mai 2001, p.13