Soumis à AlterPresse le 15 octobre 2007
Par Pierre Richard Cajuste
Sous l’égide du Ministère de la planification et de la coopération externe, une Commission nationale chargée de la préparation du Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (Dsncrp) a présenté, dans un temps record (moins de six mois), le Document tant attendu par la communauté internationale et les secteurs nationaux. A ce sujet, il serait tout à fait juste de saluer le dynamisme du Ministre Jean-Max Bellerive et le professionnalisme du Directeur général Yves Robert Jean, qui ont bûché sur la question pendant des mois.
Les principales priorités de développement du gouvernement - qui ont été énoncées en détail dans le document du Cci prolongé, présenté le 25 juillet 2006 lors de la Conférence des bailleurs de fonds tenue à Port-au-Prince - ont été sans nul doute retenues dans le Document de stratégie nationale pour la croissance et la réduction de la pauvreté (Dsncrp).
Ces priorités consistent à rebâtir l’État, créer et distribuer les richesses par le biais de l’investissement privé, principalement dans les secteurs de l’agriculture, de l’industrie légère et du tourisme.
Ce programme gouvernemental, articulé autour de quatre piliers principaux, consiste à :
1) Renforcer la gouvernance politique et favoriser le dialogue et la réconciliation ;
2) Améliorer la gouvernance économique et moderniser l’État, tant au niveau central qu’aux niveaux décentralisés ;
3) Promouvoir la croissance économique ;
4) Améliorer l’accès aux services de base de qualité, en particulier pour les groupes les plus vulnérables.
Ainsi, le Dsncrp devient-il le véhicule pour cibler les objectifs du millénaire pour le développement (Omd) des Nations Unies, qui visent à réduire de moitié la pauvreté d’ici 2015, bien que notre pays soit encore loin de pouvoir respecter cette échéance.
De juin 2006 à septembre 2007, l’ensemble des besoins de financement d´Haïti s’élève à 1,8 milliard de dollars, dont plus des deux tiers sont déjà couverts par des fonds intérieurs et extérieurs laissant de ce fait un solde de moins de 500 millions de dollars à couvrir (Source : Banque Mondiale).
À la Conférence de Madrid, les bailleurs de fonds se sont engagés à fournir environ 750 millions de dollars pour la période allant de juillet 2006 à septembre 2007. Toutefois, comme le confirme l’expérience faite avec le Cci de 2004, les engagements ne sont décaissés dans leur totalité qu’en septembre 2007, tenant compte de la procédure progressive de décaissement de certaines institutions suivant les progrès accomplis dans l’exécution des programmes qu’elles financent.
Le hic est que, en dépit de tous ces investissements, les plus nécessiteux n’ont toujours pas vu la concrétisation de ces promesses dans leur vie quotidienne.
Le Boulevard La Saline et bien d’autres endroits de la capitale continuent d’être l`exemple d’un pays dysfonctionnel. Le gouvernement continue d’être en face de cette grande bataille nationale entre la pauvreté et le progrès économique, faisant face à la fois à des défis anciens et nouveaux, notamment aux niveaux de :
a) La consolidation du climat sécuritaire ;
b) L’édification d´un État moderne ;
c) La définition des priorités en matière d’interventions ;
d) L’obtention des résultats rapides sur le terrain.
Bien qu’une nouvelle prorogation du mandat de la Minustah ait été obtenue le lundi 15 octobre 2007, comme l´avait souhaité d´ailleurs le Chef de l´Etat lors de son intervention à la 62e session de l´Assemblée Générale de l´Onu, créer et maintenir un environnement sûr et stable nécessitera beaucoup d’efforts et, - du moins - à moyen terme, exigera des ressources institutionnelles et financières importantes pour consolider la sécurité.
Le Dsncrp, qui a été finalisé et présenté pour validation le 26 septembre 2007, doit identifier les engagements jugés nécessaires.
Il sera essentiel de mettre des ressources adéquates à disposition pour restructurer la Police Nationale et réformer le système judiciaire dans toute son intégralité. Il sera également important d’améliorer, de façon concrète, les conditions de vie dans les bidonvilles urbains par l’intensification des programmes novateurs intégrant des objectifs de sécurité et de développement, améliorant la prestation des services dans les zones urbaines faisant face à une pauvreté extrême, et encourager les activités génératrices de revenus en faveur des groupes plus vulnérables et susceptibles d´être recrutés par des bandes criminelles.
Les réformes de la justice et de la Police pourraient bien ne pas avoir les résultats escomptés si les conditions carcérales ne sont pas améliorées immédiatement. Pourtant, ni les bailleurs de fonds ni le gouvernement ne semblent se rendre compte de l`état de désuétude de notre système carcéral dans le cadre de la réforme du secteur de la sécurité. Pour l’instant, seul le Canada s’est engagé à absorber les frais de la construction d’une prison, la maintenance et une modernisation substantielle de l’infrastructure pénitentiaire.
Le président René Préval a mis en place des politiques de réforme des secteurs de la sécurité, de la police, de la justice et des prisons, mais leur mise en œuvre semble être trop lente, difficile, à cause de la faiblesse de l’Etat. De plus, une meilleure coordination des opérateurs et un climat favorable au développement des infrastructures et de l’économie doivent être assurés dans les quartiers pauvres de la capitale, et des processus similaires de redressement et de reconstruction doivent être étendus à tout le pays, comme le réclame, à maintes reprises, le président de la commission nationale de désarmement, démobilisation et réinsertion (Cnddr), Alix Fils -Aimé.
La reconstruction de l`Etat, dont nous rêvons, doit inclure tous les secteurs de la société pour mieux adresser les problèmes réels de la nation, et adopter un agenda d´action concerté.
Comment comprendre que la Loi des Finances 2007/ 2008 ait été soumise aux Parlementaires avec plus de deux mois de retard ? Les Parlementaires disposent à peine d’une semaine pour analyser le budget de la République. Nous sommes au mois d´octobre et le pays ne dispose pas encore d’un budget. Il est absolument nécessaire que nous fonctionnions comme un Etat normal en renforçant la capacité de nos institutions.
Les Haïtiens ont besoin d’espoir et de résultats rapides sur le terrain. Cet espoir, à son tour, découlera d’une administration inclusive et de sa capacité à fournir des résultats tangibles aux plus démunis et de rassurer les pourvoyeurs d´emplois. Il est coutume de se plaindre de la rareté de l’aide publique au développement, mais aussi il faut relever le paradoxe qu’un pays si pauvre puisse terminer une année fiscale avec un excédent budgétaire aussi considérable.
Le développement des capacités institutionnelles reste un défi majeur. Il y a un grave problème au niveau de la gestion globale du pays. Il faudra réfléchir avec les fonctionnaires sur le sens de l’engagement et du service du public, et ne pas limiter la réforme de l’Etat à la diminution mécanique du nombre de fonctionnaires.
Cette incapacité à construire la Nation haïtienne a déjà produit des résultats effrayants : un laboratoire de misères humaines, un sous développement chronique. Il nous faut un saut qualitatif, une bonne appropriation du Dsncrp par les secteurs, pour une meilleure gestion du pays.
Il faut changer le cadre global de coopération, axée principalement sur la stabilisation, pour rentrer dans la phase de consolidation, laquelle permettra d’articuler sécurité et développement.
En d’autres termes, faire en sorte que l’aide publique au développement à Haïti priorise, non seulement le renforcement des capacités au niveau des structures de l’État, mais aussi le financement du développement.
La combinaison du renforcement des institutions à long terme et d’une stratégie de la croissance et de réduction de la pauvreté offre une approche à deux voies adéquates pour relever les défis politiques, économiques et sociaux auxquels Haïti fait face.
La réalisation du document reste un pas important dans la bonne direction. Il s’agit maintenant d’en assurer le suivi. Il devient urgent que soient mises en place les conditions nécessaires à un véritable développement socioéconomique au niveau national. Pour sa part, la communauté internationale, particulièrement les bailleurs de fonds, doit apporter son appui à la mise en œuvre du Dsncrp en honorant ses promesses et en soutenant Haïti sur le long terme.
Pierre Richard Cajuste
cajuste2000@yahoo.com