"Quand nous constatons comment le sang de l’agent Carrié DUMAY, qui a reçu une cartouche au cou (du côté gauche), a giclé sur des bébés et sur de petits enfants venus en consultation, nous nous demandons dans quel pays vivons-nous ? En quoi les responsables politiques et responsables de police et de justice ont transformé notre chère Haïti ?"
Port-au-Prince, le 13 août 2003
Lettre ouverte de l’APROSIFA au Directeur Général de la PNH, au Secrétaire d’Etat à la Sécurité Publique et au Commissaire du Gouvernement près du Tribunal Civil de Port-au-Prince
Me Jocelyne PIERRE,
M. Jean Gérard DUBREUIL,
Me Josué PIERRE-LOUIS,
Nous, employés et membres du Conseil d’Administration de l’APROSIFA (Association pour la Promotion de la Santé Intégrale de la Famille), vous interpellons par devant la Nation pour vous demander :
Pourquoi, plus de 48 heures après l’exécution de l’agent de sécurité Carrié DUMAY, au beau milieu d’un groupe de 50 mamans, bébés et enfants âgés de 2 à 8 années venus en consultation à la « Klinik Sante Fanm », sis au No 165 de la route des Dalles, les autorités de police et de justice « brillent » par leur plus que visible absence et/ou démission et ce, depuis le constat du juge de paix de la section Sud et la levée du corps de la victime ?
Comment comprendre ce « black-out » de la police et de la justice suite à cette exécution crapuleuse réalisée de toute évidence par deux (2) tueurs à gage professionnels et moins de 15 jours après l’intervention par voie de presse des parents du Dr Blondel AUGUSTE pour exiger que l’ex porte-parole de la PNH, M. Jean Dady SIMEON soit réexpédié en Haïti pour répondre de ses forfaits et dénoncer ses commanditaires par devant un tribunal compétent ?
Pourquoi les autorités de justice et de police ne sont-elles pas venues jusqu’à date investiguer de manière sérieuse dans la zone pour élucider ce crime qui, de toute évidence, porte la marque d’un avertissement politique suite à la nouvelle demande publique de justice de la famille du Dr Blondel AUGUSTE, ex directeur des cliniques de l’APROSIFA ayant été obligé de s’exiler au Canada après sa séquestration illégale au Palais National et au Commissariat de Port-au-Prince du 22 au 26 juillet 2001 et suite à de nombreuses menaces contre sa personne ?
Pourquoi la Police, suite au déclenchement de cette nouvelle opération d’intimidation qui s’est soldée cette fois-ci par une exécution, n’a-t-elle pris aucune mesure pour sécuriser la zone en effectuant des patrouilles régulières, ne serait-ce que pour donner l’impression qu’elle a tout de même une certaine velléité de protéger et servir la communauté de Carrefour-Feuilles ainsi que les installations de l’APROSIFA qui permettent aux catégories sociales les plus démunies d’avoir accès à des soins de santé primaires de qualité ?
Rappelons qu’entre autres services offerts, l’APROSIFA réalise en moyenne 32.000 consultations par année pour les riverains, avec une emphase spéciale sur les femmes et les enfants.
Madame et Messieurs les Responsables, au niveau de la Justice et de la Sécurité Publique, permettez-nous de vous faire savoir qu’en la circonstance, nous jugeons l’attitude démissionnaire et débonnaire des instances de justice et de police concernées fort préoccupante, vu que l’inaction totale des dites instances pourrait être interprétée à raison comme étant dans les faits de la complicité ou tout au moins de la complaisance envers ceux qui ont commandité et exécuté cette opération criminelle.
En fait, après l’exécution de l’agent Carrié DUMAY vers les 6h30 a.m. le lundi 11 août 2001 sur la cour d’attente de la clinique pédiatrique, un premier véhicule de la PNH (Toyota Land Cruiser) est venu avec trois (3) policiers à bord. Ceux-ci sont descendus quelques minutes pour identifier le cadavre qui gisait au milieu d’une grande flaque de sang. Après avoir noté le nom de l’agent et le nom de la compagnie à laquelle il était attaché, ils sont repartis sans dire mot. Peu de temps après, un deuxième véhicule de la PNH (une Nissan 4 portes) est venu se garer devant la clinique avec quatre (4) policiers à bord. Ce second groupe de policiers a jeté quelques regards furtifs sur les locaux de la clinique et vers les patients et employés présents - tous en état de choc - et sont repartis quelques minutes après, mais cette fois sans même descendre pour s’adresser à quiconque. Après le constat de rigueur, une ambulance de la PNH est venue enlever le cadavre pour le transporter à la morgue de l’HUEH. C’est à cela que se sont limitées les interventions d’une police supposée protéger et servir.
Après avoir constaté un tel comportement de la PNH, les patients ont dû être évacués faute de sécurité et le Conseil d’Administration de l’APROSIFA, de concert avec les employés, a pris la décision de stopper toutes les activités de l’institution durant une semaine. Cette décision a été prise, certes en signe de deuil mais surtout en signe de protestation contre l’attitude débonnaire et complaisante de la PNH et des autorités de justice concernées. Cette mesure s’avère d’autant plus nécessaire que deux (2) puissants « chefs d’OP » viennent d’annoncer il y a quelques jours que le sang va couler à flots. Par ailleurs, des véhicules sans plaques d’immatriculation et ayant à leur bord des individus visiblement armés continuent de rôder et/ou stationner dans les parages et aux environs immédiats des cliniques de l’APROSIFA (No 122 et 165 de la route des Dalles).
Quand nous constatons comment le sang de l’agent Carrié DUMAY, qui a reçu une cartouche au cou (du côté gauche), a giclé sur des bébés et sur de petits enfants venus en consultation, nous nous demandons dans quel pays vivons-nous ? En quoi les responsables politiques et responsables de police et de justice ont transformé notre chère Haïti ?
Tel que déjà indiqué, bien que la Police soit déjà informée depuis lundi matin de ce nouvel attentat contre l’APROSIFA et qu’aucune action sérieuse n’ait été entreprise à date, nous voulons croire que, suite à cette lettre ouverte, « quelque chose » sera fait pour stopper les criminels qui semblent jouir du climat d’impunité généralisé et de la protection de certaines autorités bien placées.
A noter que depuis près de deux semaines, plusieurs individus ont été s’informer sur l’éventuelle présence du Dr Blondel AUGUSTE à l’ex résidence de sa mère et à la clinique de l’APROSIFA et que le vendredi 8 août à la mi-journée, un véhicule de couleur « café au lait » avec une plaque d’immatriculation camouflée à l’intérieur (série non visible -8716/ancienne immatriculation) avec six (6) hommes à bord et une moto avec trois (3) hommes à bord ont longuement fait le guet devant les installations de l’APROSIFA à la route des Dalles.
Précisons par ailleurs qu’après l’exécution de l’agent Carrié DUMAY, les tueurs n’ont rançonné personne et n’ont rien emporté. Tout ceci semble donc confirmé que cet attentat s’inscrit dans le cadre d’une opération d’intimidation à caractère politique et qu’il est très probablement lié à la demande de réexpédition en Haïti de l’ex porte-parole de la PNH, l’inspecteur en fuite Jean Dady SIMEON. Dans cette optique, il semble opportun de cibler, dans toute éventuelle enquête visant à découvrir les exécutants et commanditaires de l’agent Carrié DUMAY, des espaces obscurs et internes de la PNH et d’autres unités de répression politique de l’appareil d’Etat.
Autorités chargées de la bonne marche des instances devant assurer la sécurité publique et responsable des poursuites judiciaires, comprenez bien que divers secteurs de la vie nationale ainsi que certaines instances internationales impliquées notamment dans le domaine du suivi du respect des droits humains auront, à partir de la diffusion de cette lettre ouverte, les yeux braqués sur vous afin de voir quelles actions concrètes vous allez mettre en branle - et dans les plus brefs délais - afin que les persécutions politiques et les attentats criminels contre l’APROSIFA cessent et que les coupables, quels qu’ils soient, puissent être traduits par devant les instances judiciaires compétentes.
Le lundi 18 août, les services de l’APROSIFA devront recommencer à fonctionner si un cadre de sécurité minimal peut être assuré. De quel côté se rangeront les forces de police et les instances judiciaires : du côté de ceux qui protègent la vie en prodiguant des soins de santé à une population démunie ou du côté de ceux qui ont détruit et continuent à détruire en toute impunité de nombreuses vies ?
Trop de sang a coulé sur notre chère Haïti. Trop d’haïtiens et d’haïtiennes ont été traumatisés pour la vie après avoir été contraints d’assister à des exécutions sommaires. Responsables d’Etat, Me Jocelyne PIERRE, M. Jean Gérard DUBREUIL et Me Josué PIERRE-LOUIS, veuillez prendre enfin vos responsabilités citoyennes et faites fermer la vanne de sang !
Pour le Conseil d’Administration de l’APROSIFA :
Rudner FRANCOIS, Président
Ilionor LOUIS, Secrétaire
c.c. Presses Locales et internationales
Organisations de Défense des Droits Humains
Mission Spéciale de l’OEA en Haïti
Ministère de la Santé Publique et de la Population
Office Protecteur du Citoyen