P-au-P., 8 oct. 07 [AlterPresse] --- « De toutes les influences bâtardes que nous a laissées Rafael Leonidas Trujillo (dictateur dominicain au pouvoir de 1930 à 1961), le préjugé racial est devenu l’une des plus nocives éraillures infligées à l’âme des Dominicains », affirme l’historien dominicain Hugo Tolentino Dipp dans un texte récemment publié par l’agence en ligne Clave Digital.
« Il n’est pas vrai que nous sommes plus Dominicains dans la mesure où nous sommes anti-haïtiens. Oui, nous serons plus patriotes et meilleurs Dominicains quand nous pourrons vaincre ces traces idéologiques que nous ont laissées, dans notre culture, ceux qui ne respectent pas le principe de l’égalité de tous les êtres humains », ajoute l’intellectuel dominicain dans le même texte, en guise de commentaire du dernier livre de Bernardo Vega, intitulé « La agresión contra Lescot : de 1942 à 1946 ».
Tolentino rappelle toutefois que si « avec Trujillo et dans le contexte politique d’alors, le racisme s’est transformé en fer de lance de toute une croisade xénophobe », cependant, cela « ne signifie pas que le dictateur dominicain ait été son créateur original et historique », précise-t-il.
« Il suffit seulement de scruter notre passé depuis la colonie jusqu’à la fondation de la République pour rencontrer des énoncés et des déductions qui peuvent bien être considérés comme antécédents de cette dépréciation du noir », avance-t-il.
La propagation de l’anti-haïtianisme a-t-elle été la politique officielle durant les 31 années de la dictature de Trujillo ?
Dans le troisième volume de sa trilogie consacrée au thème « Trujillo et Haïti », l’une des thèses soutenues par l’historien et économiste dominicain, Bernardo Vega, prend le contrepied de ce que « le Dominicain généralement croit », à savoir que « durant les trente et une années de la dictature de Trujillo la politique officielle a été celle de propager l’anti-haïtianisme ».
L’actuel directeur du journal dominicain El Caribe, Bernardo Vega, soutient dans le prologue de son livre commenté par Hugo Tolenino Dipp que « en réalité, cela (la propagation de l’anti-haïtianisme) eut lieu seulement entre 1942 et 1946, ce qui coïncide avec la haine que Trujillo cultiva contre son ancien ami et protégé, Élie Lescot, qui devint président d’Haïti en 1941. Ni avant ni après cette période qui a duré quatre ans, Trujillo n’a permis que des arguments anti-haïtiens soient publiés ».
À cette époque (de 1942 à 1946), des intellectuels du pouvoir, dont l’ex président Joaquín Balaguer, se sont attelés à la tâche, ordonnée par Trujillo, de dénigrer le peuple haïtien en le taxant de « barbare », « indolent », « inférieur »…
Cependant, l’une des personnalités les plus brillantes et humanistes que la République Dominicaine ait connue, Juan Bosch, a fustigé cette campagne de dénigrement.
Dans une lettre adressée en 1943 à Emilio Rodríguez Demorizi, Hector Inchaustegui et Ramón Marrero Aristy, l’écrivain dominicain, et par la suite homme d’état malheureux, a réprimandé ces intellectuels anti-haïtiens tout en revendiquant le droit fondamental des Haïtiens d’être traités comme des être humains et surtout leur droit à la vie.
« Je vous ai entendu vous exprimer, principalement Emilio et Marrero, avec haine contre les Haïtiens et je me suis demandé comment est-il possible d’aimer son propre peuple tout en méprisant un autre, comment est-il possible d’aimer ses propres fils et de haïr en même temps ceux du voisin seulement parce qu’ils sont les enfants des autres. Je crois que vous n’avez pas médité sur le droit de tout être humain, qu’il soit haïtien ou chinois, de vivre avec un minimum de bien-être indispensable pour que la vie ne soit pas une charge insupportable ; vous traitez les Haïtiens pires que des animaux parce qu’aux porcs, aux bœufs et aux chiens vous ne leur nieriez pas le droit de vivre ».
La vraie raison du massacre de 1937
Bernardo Vega a aussi fait le point dans sa dernière publication sur la vraie raison ayant poussé le dictateur dominicain à ordonner le massacre des Haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne et à la peau noire.
L’ancien ambassadeur dominicain réfute l’argument que Trujillo lui-même avait évoqué pour justifier ce « génocide », à savoir, la lutte contre le trafic illégal des migrants.
« Vingt ans après le massacre, Trujillo décida d’investir dans le négoce de la canne-à-sucre, en devenant propriétaire de 10 des 14 ingenios (plantations sucrières) du pays. L’assassin des Haïtiens devint alors leur principal employeur, et même quand il était propriétaire d’ingenios il ne promouvait non plus la dominicanisation de la coupe de la canne », argumente l’historien dominicain, tout en pointant du doigt l’ambigüité de l’homme d’État et de tous les gouvernements dominicains postérieurs par rapport au thème de la présence et la migration des travailleurs haïtiens dans le pays.
Pour l’écrivain, le massacre de 1937 qui a été initié depuis La Cumbre, Bonao, La Vega, Puerto Plata, Samaná, en passant par la zone frontalière jusqu’à Restauración et toute la ligne du Nord-Est (de la République Dominicaine) répond tout simplement au « concept de blanchir les Dominicains (qui) fut une aspiration séculaire nationale depuis l’indépendance de la République ». [wel gp apr 08/10/2007 11:10]