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Haiti : Appel à « une juste réglementation » pour le développement harmonieux du secteur des télécommunications et des TIC

Par Jean-Marie Raymond NOEL [1] [2]

Publié par AlterPresse le 8 octobre 2007 avec autorisation de l’auteur

L’établissement d’un Etat de droit ne se fera pas en Haïti si nous n’arrivons pas à nous affranchir de certaines pratiques ou comportements qui nous font souvent nier nos droits les plus élémentaires. Au fil des régimes politiques, se sont installées entre les institutions et les contribuables - citoyens des relations basées sur l’arbitraire d’un côté et la peur de dénoncer cet arbitraire de l’autre. Et le système se perpétue d’un gouvernement à l’autre, d’un ministre à l’autre, d’un directeur à l’autre, à la faveur de l’entente tacite ci-dessus évoquée et aussi de la non application des cadres réglementaires en vigueur. Chacun en profite pour faire à sa guise, comme bon lui semble, prenant bien soin de garder le statu quo en attendant d’être remplacé par un autre et d’aller se la couler tranquille. Le mécanisme est tellement bien rodé que nombre de ceux qui le dénonçaient se retrouvent une fois en charge à reproduire quasi identiquement le schéma, avec d’autant plus de fidélité et d’assiduité qu’ils disposent de moyens. Le cas du CONATEL est bien illustratif.

Le CONATEL est l’organe régulateur du secteur des télécommunications et par ricochet des technologies de l’information et de la communication. Ce secteur est en plein essor et est à même de contribuer à une forte croissance économique (IHSI, 2006), et d’aider à juguler des problèmes sociaux séculaires. En pareille circonstance, on est en droit de s’attendre à ce que l’institution dispose d’une structure à la hauteur du potentiel du secteur d’activités sous son contrôle. Il n’en est rien et les responsables ne sont pourtant que confortables. Vingt ans après la promulgation de la loi organique (décret du 10 juin 1987), aucun des gouvernements en fonction (droite, gauche, centre, droite et gauche, légitime, provisoire, putchiste, de facto, etc.) n’a pensé à établir le Conseil d’Administration prévu, un tout petit conseil de cinq (5) membres dont le Ministre des Travaux Publics, Transports et Communications, qui en assure d’ailleurs la présidence. En l’absence du Conseil, les directeurs généraux successifs se retrouvent seuls maîtres à bord, à engager le secteur, avec ou parfois sans le Ministre de tutelle. Les nombreux appels du secteur technologique concerné, d’organisations de la société civile, du secteur universitaire en faveur de la mise sur pied de ce Conseil, les récriminations contre l’absence de transparence dans l’octroi des concessions, la non continuité de l’Etat avec la remise en question d’actes posés par des administrations antérieures, et les risques permanents de décisions arbitraires restent jusqu’à présent sans effet.

Le cas du CONATEL semble vérifier aussi la deuxième hypothèse voulant que la propension à l’arbitraire soit d’autant plus grande que les moyens sont grands. Sur le papier, l’institution ne dispose que des maigres crédits budgétaires de 4, 973, 382 gourdes, soit 0,04% du budget global du Ministère de tutelle (Budget de la République, 2006-2007). Toutefois, sa capacité financière est de loin plus grande. Heureusement, d’ailleurs ! Ce qui lui permet entre autres d’entretenir le programme de déconcentration avec la mise en fonctionnement de bureaux régionaux, de financer les nombreuses missions des cadres de l’institution à l’étranger et de soutenir la campagne de marketing du nouveau plan de numérotation par exemple (site www.conatel.gouv.ht). Il faut en effet savoir que l’organe régulateur du secteur des télécommunications, dont les recettes extrabudgétaires ont été pendant longtemps très insuffisantes pour son bon fonctionnement, enregistre depuis la libéralisation de facto en 1995 des rentrées énormes dans le cadre de l’homologation d’équipements et de concessions octroyées pour la téléphonie cellulaire, les réseaux de transmission de données, l’Internet et plus récemment la téléphonie GSM. En l’absence de politique globale d’exploitation, de tels moyens peuvent conduire à des excès, à des choix précipités et des dépenses irrationnelles. Cela est d’autant plus facile qu’il n’y a pas de Conseil d’Administration. Les dernières initiatives sont là pour témoigner.

En lançant le 15 mai 2007 cette fameuse procédure concernant les « Modalités et conditions d’autorisation d’utilisation des fréquences de boucle locale radio disponibles dans les bandes 2,5 ; 3,4 ; 3,6 GHz », la direction de l’organe exécutif du CONATEL a sans doute voulu créer l’événement deux jours avant la Journée mondiale de la Société de l’Information, au détriment de la concertation préalable nécessaire en pareil cas avec les acteurs concernés de la société. Elle n’a pas pris le temps de réfléchir aux conséquences, et le processus s’enlise justement.

Alors que les débats publics sur ce processus commencent à peine, l’organe exécutif du CONATEL vient d’annoncer la signature, le mardi 02 octobre 2007, d’un protocole d’accord entre le Conseil National des Télécommunications (CONATEL) et la Haïti Networking Group S.A, (HAINET S.A) pour la fourniture gratuite de service d’accès Internet dans les écoles publiques du pays (Lire, ci-dessous, le texte de cet accord).

Comment comprendre cette sortie ? Coïncidence ou diversion ? Du solide ou de la poudre aux yeux ? L’analyse in fine du protocole aidera sans doute à mieux comprendre et bien répondre. Sans vouloir nous arrêter sur la forme, nous relevons l’ambiguïté de la dernière phrase du point c de Responsabilité, liée au fait qu’il était préalablement indiqué que « les parties » désignait « collectivement le prestataire et le Régulateur ». Venons-en au fonds.

1. Tel que formulé, le protocole ne permet pas de déterminer de façon explicite l’initiateur de la démarche. Les deuxième et troisième considérants faisant référence à la nécessité de mettre en œuvre la politique d’accès universel du gouvernement et au souhait du CONATEL de bénéficier d’un service spécialisé de fourniture d’accès internet pour l’approvisionnement des écoles publiques localisées à travers les dix départements géographiques du pays indiqueraient que l’organe exécutif du CONATEL a initié. Auquel cas je poserais la question suivante : est-ce que le régulateur avait sollicité une manifestation d’intérêt de tous les prestataires, transparence et concurrence loyale obligent ?

2. Le protocole fait explicitement mention de la mise en œuvre de la politique d’accès universel du gouvernement. Quelle est cette politique ? Où peut-on en prendre connaissance ? Même le site du CONATEL, pourtant très dynamique (avec mes félicitations) ne la contient pas.

3. Le protocole octroie au prestataire le droit d’exploiter cette collaboration dans toute activité promotionnelle, sans limitation aucune, à travers tous les canaux de communication pendant la durée du présent accord et postérieurement. La durée de validité de l’accord n’est précisée nulle part !

4. La précaution relevée au dernier point Généralités : Rien dans cet accord … ne devra autoriser une partie à entretenir des rapports contractuels ou à encourir des engagements au profit de n’importe laquelle des parties, ne sied pas avec les rubriques Services et Obligations Générales, Responsabilité.

5. Dans ce protocole d’accord, l’organe exécutif semble minimiser la dimension de son travail de régulation, au point de croire disposer du temps pour des tâches directes de gestion des codes d’accès confidentiels pour les services d’internet ou des travaux de réparation de l’équipement installé. Tel que l’accord est conçu, le CONATEL reste le premier responsable, même avec la désignation de mandataires. Incroyable !

6. Dans sa formulation, l’accord dénote un certain déficit de vision ou de réflexion de la part de l’organe exécutif du CONATEL.

i) en tant que régulateur, le CONATEL ne peut approcher la question de l’accès comme le commun des mortels. Il ne peut se limiter à la seule question de l’élargissement de l’accès sans se préoccuper des répercussions éventuelles sur les plans social, économique, culturel, moral. L’accès à lui seul ne suffit pas ! Au-delà, le régulateur, en particulier, doit poser la question de l’utilisation qui va en être faite, ce sur quoi l’accord est muet.

ii) est-ce que l’organe exécutif du CONATEL a bien pris la dimension de l’effort financier à faire pour assurer la fourniture des ordinateurs et l’alimentation en électricité des équipements nécessaires pour l’accès aux services Internet de plus de 1400 établissements publics de niveau préscolaire, fondamental ou secondaire (DPCE / MENFP, 2005) ? En tant que régulateur appelé à travailler à réduire le fossé numérique domestique, qu’est-ce qui est prévu pour éviter que le programme ne vienne renforcer la marginalisation de ces 23 sections communales où il n’y a aucune école et de ces 145 autres qui n’ont pas d’écoles publiques (DSNCRP, 2007) ?

Je veux conclure ce texte en rappelant qu’une juste réglementation est indispensable pour le développement harmonieux du secteur des télécommunications en particulier et des TIC en général. A contrario, une mauvaise réglementation risque d’engendrer tensions, suspicions entre régulateur et prestataires au détriment de l’essor du secteur. Il est urgent que l’Exécutif rassure les secteurs concernés de la société en constituant enfin le Conseil National des Télécommunications (CONATEL) avec ses deux organes : le Conseil d’Administration et l’organe exécutif. Il aura alors pris un virage clair vers un organe de régulation arbitre, promoteur d’objectifs sociopolitiques, gestionnaire de la réforme du secteur, catalyseur de l’investissement privé et rempart solide contre le monopole ou l’oligopole.

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Protocole d’accord entre le CONATEL et la HAINET pour la fourniture gratuite de service d’accès internet dans les écoles publiques

La Haïti Networking Group S.A, (HAINET S.A) société anonyme haïtienne, ayant son siège social à Port-au-Prince, identifiée et patentée au NIF : 000-359-441-8, établie et organisée en conformité avec les lois en vigueur de la République d’ Haïti et dont le siège social est situé à Pétion-Ville, au numéro 74 de la Rue Panaméricaine, représentée aux fins des présentes par son Directeur Général, Monsieur Didier Fils-Aimé , demeurant et domicilié à Port-au-Prince , d’une part ;
(Ci-après dénommée « le prestataire » ou « le fournisseur d’accès à internet »)

Et
Conseil National des Télécommunications, (CONATEL) ayant son siège social au No 16, Cité de l’Exposition, représenté dans le cadre des présentes par son Directeur Général, Monsieur Montaigne Marcelin identifié au NIF…………………..…., demeurant et domicilié à Port-au-Prince, d’autre part ;
(Ci-après dénommé “le Régulateur”)

Le prestataire et le Régulateur sont collectivement appelés “les parties”

Considérant que la HAINET S.A est détentrice d’un contrat signé avec l’Etat Haïtien pour la fourniture d’accès aux services d’internet et qu’elle dispose de moyens lui permettant d’effectuer la distribution des dits services dans plusieurs départements géographiques du pays ;

Considérant la nécessité de mettre en œuvre la politique d’accès universel du gouvernement dans le cadre de la politique de décentralisation et d’aménagement du territoire en fournissant l’accès aux services de télécommunications ;

Considérant que CONATEL souhaite bénéficier d’un service spécialisé de fourniture d’accès internet pour l’approvisionnement des écoles publiques localisées à travers les dix départements géographiques du pays ;

Considérant que la HAINET S.A est une entreprise citoyenne et responsable qui souhaite participer au développement local de la population haïtienne dans le domaine des télécommunications ;

Considérant que le CONATEL et la HAINET S.A ont décidé de collaborer conjointe afin de fournir les dits services de télécommunications dans toutes les écoles publiques , et par la présente les parties confirment leur intention mutuelle de conclure un protocole d’accord d’exécution relatif à l’approvisionnement aux services d’accès internet dans les écoles publiques dans la mesure des possibilités du prestataire ;

IL A ETE CONVENU CE QUI SUIT :

Services et Obligations Générales

Services de base : Ces services prendront effet à compter de la date de signature et se poursuivront jusqu’à leur complète exécution sauf décision contraire écrite des Parties, et seront soumis aux termes et conditions de ce protocole d’accord.

Le Fournisseur d’accès à internet (directement ou indirectement à travers une de ses sociétés affiliées) sera responsable d’assurer gratuitement ce qui suit ;

(a) La fourniture du service internet et les accessoires pour le câblage d’un réseau comportant minimum cinq (5) ordinateurs ;

(b) L’installation des équipements nécessaires pour permettre la transmission, la réception et l’activation du lien donnant accès permanent à l’internet ;

(c) Le câblage réseau et les UPS ;

(d) le savoir-faire concernant l’entretien des équipements et le fonctionnement du Système,

(e) l’activation de lots de codes confidentiels d’accès à Internet ;

Le Régulateur (directement ou indirectement à travers ses mandataires ou partenaires) sera responsable d’assurer ce qui suit :

(a) La fourniture des ordinateurs ;

(b) L’alimentation en électricité des équipements nécessaires pour bénéficier de l’accès aux services Internet ;

(c) La formation et la gestion du personnel utilisateur du service d’Internet ;

(d) La gestion des codes d’accès confidentiels pour les services d’internet ; et
de toute activité, fonction ou responsabilité non décrite de manière spécifique dans ce contrat mais qui sont des sous-tâches inhérentes nécessaires pour la bonne exécution et conformes aux services qui seront fournis dans le cadre du dit protocole.

Responsabilité

(a) Le prestataire s’engage à donner suite, dans les heures régulières de travail à tout appel de service du Régulateur, son mandataire ou partenaire formellement designé en vue des travaux de réparation de l’équipement, objet du protocole et de fournir la main d’œuvre et pièces de rechange essentielles à la remise en état de fonctionnement des équipements nécessaires pour bénéficier de l’accès à internet. Ainsi le prestataire pourrait, si le cas y échet, déplacer l’équipement pour le réparer dans ses ateliers ou ailleurs.

Le prestataire n’est pas responsable de la sécurité des ordinateurs fournis par le régulateur et nie toutes responsabilités liées aux SPAM , VIRUS ou toutes autres attaques dangereuses.

(b) Il est expressément convenu que : l’environnement, l’installation et l’utilisation de l’équipement seront en accord avec les spécifications du fabricant et que le personnel utilisateur convenablement entrainé par le Régulateur ou son mandataire aura la responsabilité de la bonne utilisation de l’équipement.

(c) Le prestataire ne sera, en aucun cas, responsable des détériorations ou pannes découlant d’une mauvaise utilisation de l’équipement ; de défectuosités caractérisées du circuit électrique non couvert par ce protocole, de tentative de réparation ou de manipulation quelconque, de déplacement en partie ou en tout de l’équipement par des personnes non mandatées par le prestataire ; ou de sabotage de l’équipement ; de panne provenant de la présentce de corps étranger dans le système. En outre, le présent protocole ne couvre pas les parties à vie limitée ou à caractère volatile.

Droits de la Propriété Intellectuelle

Tous équipements et tous logiciels et documentation connexe appartenant, acquis par licence ou développés par HAINET S.A avant ou après la date de validité de ce protocole à propos des Services de base est de la propriété exclusive, sera et restera la propriété exclusive de HAINET S.A.

Résiliation et Force Majeure

Si et dans la mesure où l’exécution d’une des obligations quelconques d’une partie conformément à ce protocole est empêchée, entravée ou retardée par un incendie, une inondation, un tremblement de terre, des éléments de la nature ou un cas de force majeure, des actes de guerre, le terrorisme, les émeutes, le sabotage, les guerres civiles, les rebellions ou les révolutions ou les conflits de travail, les actes ou les manquements des services publics de distribution ou des entités gouvernementales ou toute autre raison indépendante de la volonté raisonnable de cette partie (« cas de Force Majeure ») et cette défaillance dans l’exécution ne pouvait pas être empêchée par des précautions raisonnables, la partie défaillante dans l’exécution de ses tâches devra être dispensée de toute future exécution de ces obligations dans la mesure où cette défaillance dans l’exécution est due à la survenance d’un cas de Force Majeure et aussi longtemps que cette Force Majeure persiste et que cette partie continue de s’efforcer de façon raisonnable sur le plan commercial pour reprendre l’exécution. La partie dont l’exécution est empêchée, entravée ou retardée par un Cas de Force Majeure doit aviser immédiatement l’autre partie de la survenance du Cas de Force Majeure et décrire dans des détails raisonnables la nature du Cas de Force Majeure. Le dit protocole sera résilié sans responsabilité en cas de force majeure si l’exécution des services est retardée ou entravée pendant une période de 30 jours, sous réserve d’un avis de résiliation.

Résiliation mutuelle.

Chacune des parties peut résilier ce protocole à tout moment en donnant un préavis écrit de trois mois à l’autre Partie.

Généralités.

Les termes du présent protocole d’accord lient les parties signataires. Le protocole d’accord s’entend de tout accord passé entre les parties relativement aux différentes questions ci-dessus énoncées, et remplace toute entente verbale ou écrite ou accord le précédant survenus entre les parties.

Le présent protocole d’accord ne pourra être amendé, complété, ou autrement modifié que par un accord écrit et signé par des représentants mandatés des deux parties.

La HAINET S.A aura le droit d’exploiter cette collaboration dans toute activité promotionnelle, sans limitation aucune, à travers tous les canaux de communication pendant la durée du présent accord et postérieurement.

Rien dans cet accord ne devra constituer ou être interprété comme des dispositions de licence, de contrat d’association ou de joint-venture entre HAINET S.A et/ou CONATEL ou ne devra autoriser une partie à entretenir des rapports contractuels ou à encourir des engagements au profit de n’importe laquelle des parties.

Le présent accord sera régi et interprété selon les lois de la République d’Haïti et pour l’exécution des présentes, les parties, ès qualités, élisent domicile à Port-au-Prince, la dite élection de domicile étant attributive de Juridiction.

Fait à Port-au-Prince, de bonne foi et en double original, le 25 septembre 2007

Didier Fils-Aimé
Directeur Général
HAINET S.A

Montaigne Marcelin
Directeur Général
CONATEL


[1Ing.,MSc
Professeur, Faculté des Sciences, UEH

[2Titre original : Qui conseille l’organe exécutif du CONATEL ?