"La crise sociale haïtienne qui actualise le projet de liberté des esclaves et marrons de Saint-Domingue, est galvaudée sous prétexte de crise électorale où des agents politiques locaux de l’Internationale Communautaire se chamaillent pour détenir le privilège de gestion politique des intérêts du capital. (...)la crise sociale haïtienne nous offre le temps de reconstruire la subjectivité rebelle, legs du libre marronnage révolutionnaire."
Par le Professeur Jn Anil Louis-Juste
1er août 2003
La crise sociale haïtienne peut s’identifier simplement au non-respect de la vie. Des milliers d’Haïtiens crèvent de faim chaque jour ; des bandes armées du pouvoir pillent, tuent et violent dans la société où règnent l’inégalité, l’injustice et l’impunité. Des organisations non-gouvernementales (ONG) dénoncent l’effet de ces conditions inhumaines et agissent selon la vision des circonstances. Les causes restent étrangères à leurs pratiques de gestion de projet.
En Haïti, il est difficile d’aborder la question de la relation crise sociale et internationale communautaire sans poser le problème de la question agraire. L’existence du secteur social encore majoritaire de la population, exige la production de connaissances socialement significatives sur son processus historique de construction, si l’on veut observer les possibilités de transformation sociale en Haïti. Le traitement par carence qu’il subit de la part de la prétendue communauté internationale, est à comprendre dans la négation de cette construction socio-historique.
Le paysan haïtien descend des masses d’esclaves et de marrons qui ont été juridiquement élevées au statut de soldats-cultivateurs au lendemain de la Proclamation sous pression, de la Liberté Générale du 29 août 1791. Les règlements de cultures de Toussaint Louverture et le Code Rural restent des manifestes politico-juridiques d’institutionnalisation de la nouvelle forme d’exploitation économique des travailleurs. La spirale de la dette qui a castré, selon l’historien Benoît Joachim, l’économie nationale, a fini par étouffer le projet de liberté de nos ancêtres. Le maintien de ces masses dans l’analphabétisme, la conscience magique ou la conscience ingénue, relève de la stratégie de discrimination socio-culturelle visant à introjecter dans les tréfonds de l’être travailleur, l’idée de normalité ou de naturalité de ces relations inhumaines. Le paysan haïtien est donc aujourd’hui plus que jamais, discriminé, dominé et exploité.
La discrimination, la domination et l’exploitation dans le monde rural, ne peuvent pas être comprises en dehors de la question agraire définie par Juan Valdés Paz, comme le complexe de causes et de conditions qui caractérisent la structure de la société globale. Selon Paz, dans les sociétés sous-développées, le problème agraire est une composante essentielle de leur formation, de leur dépendance et de leurs contradictions, de telle manière que leur possible solution est inévitablement liée au processus général de changements politiques, économiques et sociaux. [1] Autant dire que la possibilité d’expression de potentialités physiques et mentales de chaque Haïtien ne peut se réaliser sans une transformation radicale de la structure agraire qui a produit et reproduit l’injustice et l’inégalité sociales. La relation non-capitaliste de production agricole qu’est le « demwatye », a systématiquement drainé les richesses ainsi produites en milieu rural vers les villes où domine le rapport capitaliste. Cette subordiation du « grandonisme » au capitalisme est créée dans la dépendance économique, politique et culturelle du pays à l’impérialisme d’abord européen, puis étatsunien. La rente foncière non-capitaliste captée à la campagne, est investie dans les villes ou à l’étranger. Le même mouvement est observé quant à l’utillisation du profit commercial obtenu dans l’échange inégal de marchandises entre le secteur compradore de courtage et la paysannerie. Dans ces conditions, la productivité du sol et du travail paysan est affectée à un point tel que de manière magique, le paysan explique le bas niveau de rendement des terres agricoles : « Latè pa bay ankò, paske li modi. » Le problème agraire haïtien s’est donc développé d’abord dans des conditions coloniales où l’esclavagisme représentait la forme de pillage de richesses par le capitalisme naissant, puis sous régime néo-colonial initié avec la dette de l’Indépendance et consolidé avec la pénétration capitaliste dans la paysannerie (l’invasion de 1915 n’avait pas d’autre objectif). La structure agraire injuste d’Haïti est maintenue à l’aide de la discrimination culturelle et de la répression politico-policière. [2]
L’appauvrissement de la paysannerie s’observe dans le dénuement absolu qui caractérise la situation du paysan. Des ONGs interviennent pour traiter chaque carence spécifique, même si elles mènent des actions dans plusieurs domaines : social, économique et culturel. Elles communiquent leur vision communautaire comme ciment d’homogénéisation du processus d’intervention. C’est pourquoi, ailleurs, nous avons conçu le projet de développement comme une stratégie qui « relie la structure internationale d’aide aux groupements paysans, par la médiation d’organisations non-gouvernementales (ONG). Un projet de développement décrit souvent des problèmes d’un pays, d’une région ou d’une localité en terme de manque, signale des efforts faits ou à faire pour lever les contraintes physiques, évalue ce qui reste à faire et propose des « ressources » à mobiliser et indique enfin, une stratégie. L’objectif déclaré demeure le développement, entendu comme une croissance de biens ou de services dans l’aire géographique choisie. [3] Sous le masque du développement, avons-nous noté, des organisations non-gouvernementales ont pénétré dans le milieu rural haïtien. Déjà , leur inscription dans le registre mental du paysan, est indiscutable. L’expression suivante : « Nou manke devlopman, nou bezwen limyè » [4]est assez éloquente. Elle souligne certes la nécessité du changement, mais elle témoigne aussi d’un impact certain, exprime sans nul doute la vigueur d’une mode et traduit en somme, la dominance d’un nouveau mode de pensée » [5] La pensée de développement comunautaire s’est donc substituée à la praxis de liberté que nous ont léguée les marrons et esclaves de Saint-Domingue dans leurs luttes pour l’autonomie et l’émancipation sociales, et qui a produit l’Indépendance comme acquis socio-politique ; la pratique de développement se résume à la vulgarisation de nouvelles techniques de production de biens et services (agricoles, médicaux, légaux, sociaux, etc.) Par ainsi, l’adoption de ces technologies modernes dites souvent appropriées, ouvre de nouveaux marchés sous contrôle du capital. Le développement communautaire n’est autre que l’expansion dissimulée du capital sous forme communautaire, c’est-à -dire sous dissimulation d’intérêts privés homogénéisés ou assimilés à l’intérêt de toute une communauté.
La crise du capital qui s’est accentuée avec la flambée des prix de pétrole (1973-1979), repercute sur la crise sociale haïtienne. Le gouvernement subventionnait la consommation énergétique à partir de prêts obtenus sur le marché financier international. Il arrive que dans la plupart des cas, ce sont des pétrodollars qui constituent l’essentiel du capital financier investi dans la politique d’aide privée au développement [6] qui a intensifié la migration en Haïti, selon Josh Dewind et David Kinley III. L’aide publique au développement comme stratégie de substitution de pratiques coloniales, assure la nouvelle « coopération internationale » et se transforme depuis la deuxième guerre mondiale, en principale intervention du capital pour son accumulation et son expansion. Cette politique d’aide s’est démasquée avec la crise des années 80. Selon Ruy Braga, la relative prospérité expérimentée par les pays capitalistes avancés durant les ’30 années glorieuses’, se fondait sur la reproduction des structures de domination de l’impérialisme occidental en compétition avec le bloc collectiviste. » [7] « La crise de la stratégie Etat-Providence bourgeois aux pays impérialistes, par exemple, représente la modification même des bases sur lesquelles étaient assises l’ancienne corrélation de forces entre dominants et dominés et la composition sociale des classes subalternes, selon les modalités de leur intervention politique (Â…) dans le projet hégémonique social-démocrate. En partant de l’unité historico-concrète impliquant crise et restructuration productive, le capitalisme vient à expérimenter, à partir du début des années 70, un ensemble d’altérations qui tend à articuler autonomation de base micro-électonique et caractère informationnel (Â…) dans un processus chaque fois plus aigu d’apparente décentralisation du travail-concentration du pouvoir capitaliste sur l’économie et la société (chômage, travail clandestin, dispersion territoriale de production)Â… [8] Le néolibéralisme est un mode de traitement de la crise contemporaine du capital : les acquis sociaux des années 1945-1975, sont sacrifiés sous l’autel de la nécessité de restauration du niveau du taux de profit antérieur, sinon la repoduction du capital sera sérieusement menacée. Au centre, le capital se modernise davantage en substituant du capital fixe de pointe au capital variable ; dans les périphéries, il transfère des technologies désuètes qu’il vend à prix d’or ; [9] il relocalise des entreprises délocalisées, en créant des zones franches où domine seule la loi du profit ; il ouvre, par la politique de développement privé, des marchés où il écoule ses produits industriels, agricoles ou financiers excédentaires. Le développement communautaire nie donc la contradiction capital-travail pour promouvoir le manque de technologie et de ressources comme principales barrières à l’avancement des pays du Sud : « le développement communautaire assimile le social à une nature qu’il faut dompter (..). Ainsi, les problèmes sociaux sont abordés avec l’esprit que le social est ’une somme d’atomes subjectifs identiques. » [10]
La dictature communautaire du marché domine le monde. En Amérique, les Etats-Unis projettent d’établir d’ici 2005, une zone de libre échange de l’Alaska jusqu’à la Terre de Feu (Argentine). L’Europe des 12 s’est déjà élargie et va phagocyter l’Europe de l’Est et l’Europe centrale à partir de 2004. En Asie, le processus de consolidation de la dictature communautaire du marché est plutôt timide, en raison de fortes résistances culturelles et politiques qui s’expriment dans le nord-est asiatique. Des institutions du système des Nations Unies, telles le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale et l’Organisation Mondiale du Commerce, mènent cette politique dictatoriale en imposant le nouveau patron du capital « globalisé » ; dans les régions périphériques, une banque de développement comme la BID, est chargée de diriger la politique éducationnelle qui crée les subjectivités nécessaires à la poursuite de l’objectif de reproduction et d’expansion du capital. Toujours est-il que l’idéologie communautaire sert d’argument au contrôle du coeur et de l’esprit des dominés. L’Europe communautaire, l’Amérique continentale, etc., masquent l’objectif du capital à subordonner toutes les dimensions de la vie de l’homme à son seul profit. L’Internationale communautaire possède donc ses propres organes économiques (FMI, Banque Mondiale, OMC et succursales régionales), sa propre instance politique (le G-8, qui tend à s’élargir) et ses instruments idéologiques (Moyens de communication de masse, ONGs , etc.). [11] L’Assemblée Générale des Nations Unies et le Conseil de sécurité ont politiquement défendu les intérêts du capital à travers des votes et résolutions qui demeurent lettre morte quand il s’agit d’endormir la vigilance des peuples en lutte. [12] La Communauté Internationale est donc une falsification à peine voilée de l’Internationale Communautaire, pour mieux légitimer la domination exercée par le capital sous couvert de développement. Quand la guerre de basse intensité est inefficace dans la politique d’imposition de capitaux hégémoniques, l’Internationale Communautaire déploie ses armes les plus destructrices comme en Irak, en Afghanistan, en Haïti, etc. Les deux types de guerre visent l’anéantissement de la vocation ontologique de l’homme à être sujet de son histoire. [13]
En Haïti, l’Internationale Communautaire est sous le leadership apparent [14] de l’Organisation des Etats Américains ; celle-ci est souvent secondée par la Communauté Economique de la Caraibe, la Banque Interaméricaine, des ONGs, etc. La crise sociale haïtienne qui actualise le projet de liberté des esclaves et marrons de Saint-Domingue, est galvaudée sous prétexte de crise électorale où des agents politiques locaux de l’Internationale Communautaire se chamaillent pour détenir le privilège de gestion politique des intérêts du capital. Aucun d’entre eux n’a le courage de dénoncer la libéralisation du commerce extérieur, la privatisation des entreprises publiques, la formation de subjectivités soumises réactualisées avec la Réforme Bernard ou le Plan National d’Education et de Formation qui cherche à assurer l’adéquation de la fonction technique de l’école aux exigences de la flexibilité du travail sous contrôle du capital, donc l’accommodation des travailleurs à l’exploitation de leur force de travail. Politiquement, ces pratiques tendent à maintenir la domination comme relation sociale hégémonique dans le monde des hommes. Comme a dit Pedrinho A. Guareschi, ces relations se concrétisent dans les pratiques qui construisent un produit déterminé. [15] Dans le cas d’Haïti, la structure agraire inégale et injuste se réalise dans la pratique de demwatye qui modèle et construit les intérêts des grandons, mais soumis à l’influence du capital qui distribue en dernière instance, les rentes prélevées à travers les mécanismes d’échanges commerciaux. [16] Des ONGs, principales antennes idéologiques de l’Internationale Communautaire dans la paysannerie haïtienne, escamotent ce processus d’exploitation et de domination, en instituant le développement du capital sous forme de développement communautaire comme objectif premier de toute activité dans une communauté. [17] Dans la crise sociale haïtienne, le développement du capital médie le rapport de la Communauté dite Internationale aux secteurs majoritaires de la population. L’Internationale Communautaire pressure ses agents politiques locaux à accepter des solutions politiques de collaboration inter-courtiers, dès que pointe à l’horizon, toute possibilité de réveil de la conscience populaire. En ce sens, l’Internationale Communautaire expérimente la crise sociale haïtienne comme moyen de lutte contre la résurgence du projet de liberté de nos ancêtres ; l’Internationale Communautaire agit contre toute actualisation de l’Internationale Communiste comme instrument de lutte politico-idéologique pour la réalisation de la liberté, de l’égalité et de la solidarité dans le pays de Charles Belair, Petit-Noel Prieur, Sans Souci,Â…
Depuis 1986, l’Internationale Communautaire se manifeste de plus en plus en Haïti. Le Programme d’Ajustement Structurel (PAS) a véritablement démarré sous le ministère de Lesly Délatour ; des organisations ouvrières, paysannes, étudiantes, du secteur informel, etc., s’opposèrent à la politique néolibérale. Des militaires intervinrent pour restaurer « l’ordre », parce que des partis pollitiques, ONGS et églises se montraient incapables de créer la subjectivité devant accompagner la mise en branle de la privatisation des entreprises publiques, de la libéralisation du commerce extérieur, de la coupe drastique dans le budget social public, du gel systématique des salaires, etc. Le Plan de démocratisation de la société demeure l’équivalent politique de cette orientation économique. Dans ces conditions, la question des organisations populaires pose un problème réellement politique. La pratique sociale d’élections est offerte comme l’alternative à la « question sociale ». On se souvient de l’été chaud de 1987 où le mot d’ordre solide de « Rache manyòk » s’est dilué en « Rache manyòk nan eleksyon ». [18] Ainsi la transition démocratique est-elle devenue le pari à gagner dans le cadre de la création d’un nouvel équilibre social. [19] La crise sociale est alors prise pour une simple crise politique.
L’Internationale Communautaire engendre toujours des conflits éthniques ou électoraux là où ses intérêts se trouvent menacés. La solution « durable » tarde à venir, et l’invention de crise conjoncturelle reste la tactique adoptée en la circonstance. Le continent africain offre le plus bel exemple de l’utilisation de la carte éthnique dans le jeu politique de domination impérialiste. En Haïti, depuis deux ans, l’Internationale Communautaire gère une crise électorale à son seul profit. Les protagonistes s’offrent comme seuls agents politiques ; ils gèrent en fait, la politique du capital « globalisé » dans le pays. La Convergence Démocratique, par ses prises de position, respecte scrupuleusement le principe de négation des intérêts populaires dans sa marche vers le pouvoir. Le régime lavalas libéralise l’économie, implante une zone franche à Ouanaminthe en expulsant des paysans de la terre qu’ils travaillaient pour leur survie. La terre de travail paysan devient une terre de spéculation « industrielle ». La Convergence Démocratique a observé le silence le plus absolu sur cette injustice sociale. Les agents impérialistes locaux, qu’ils soient du gouvernement ou de l’opposition, pratiquent donc la démocratie fondée sur la dictature communautaire du marché. Le régime lavalas mine les fondements de la production nationale, mais la Convergence Démocratique préfère détourner l’attention sur des violations de droits civils et politiques de citoyens, comme si la réalité des droits sociaux et économiques ne conditionne pas l’existence d’êtres sociaux politiquement considérés comme des citoyens.
Selon l’Internationale Communautaire, la démocratie est la chasse gardée de fonctionnaires non-élus du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC, etc., de cadres du ministère des finances, de la banque centrale et des ONGs, qui déterminent les politiques macro et micro-économiques affectant négativement la vie des paysans, des ouvriers, des étudiants, du secteur informel,Â… La subordination des élus locaux , reste la caractéristique fondamentale de la démocratie communautaire où la réalisation d’élections périodiques tient lieu de farce pour tromper la vigilance populaire. La démocratie communautaire ne pratique pas la représentation, la délégation ou la consultation populaire ; elle utilise plutôt l’expertise comme pratique bureaucratique de gestion de la chose publique. De fait, elle centralise le pouvoir aux mains d’agents de l’impérialisme dont elle légitime la fonction, par la tenue périodique du suffrage universel. Le résultat concret de cette légitimation politique demeure la détérioration des conditions matérielles et spirituelles de la majorité.
La démocratie communautaire ou dictature communautaire du marché, est impuissante devant la dégradation accélérée de l’espace de vie haïtien, la croissance des villes ruralisées sans emploi, la prolétarisation sans précédent des couches moyennes de la population et la concentration exponentielle des richesses entre les mains de la bourgeoisie compradore et de ses agents à l’intérieur ou en dehors du pouvoir. Le peuple résistant d’Haïti se débat dans ces conditions adverses par la pratique de la solidarité. Dans la paysannerie et le secteur informel, il coopère de manière solidaire : l’existence de l’ « eskwad » et du « sòl » est une manifestation non-équivoque de sa constitution historique de groupes d’hommes et de femmes qui ont toujours lutté pour la réalisation de sa vocation ontologique à être sujet de son devenir. La guerre de libération de 1791-1803 qui a culminé vers la Proclamation de l’Indépendance le 1er janvier 1804 n’a pas d’autre sens philosophique socialement significatif. Les condtions objectives de domination et d’exploitation qui structurent la reproduction des secteurs populaires, ont donc curieusement remis à l’agenda politique, le projet de liberté de nos ancêtres. La lutte pour le socialisme en Haïti doit matérialiser cette conception de liberté identifiée à l’autonomie culturelle et à l’autogestion économique, puisque les esclaves et marrons de Saint-Domingue voulaient être économiquement propriétaires de la terre de travail et politiquement autonomes dans la pensée qui organise leur reproduction sociale. En ce sens, la crise sociale haïtienne nous offre le temps de reconstruire la subjectivité rebelle, legs du libre marronnage révolutionnaire. L’espace organisationnel se créera lui-même dans un mouvement à caractère international, qui dialectisera nos pratiques politiques populaires, les connaissances socialement significatives de l’humanité et le nouveau contexte de domination impériale du capital.
Jn Anil Louis-Juste
Fort-Jacques, 1er août 2003.
[1] Juan Valdés Paz in Processos agrários en Cuba, 1959-1995. Edition de Sciences Sociales, La Havane, 1997, p. 3.
[2] Cette pratique agraire est connue chez nous, sous le nom de caporalisme agraire. Elle a été initiée avec les commandants de culture, puis consolidée par l’institutionnalisation du Chef de Section. Mais, le démantèlement de la structure répressive n’a pas impliqué la disparution de la pratique.
[3] Janil Louis-Juste in OPD, un courtier néo-libéral, Port-au-Prince, juin 1996, p. 103, miméo.
[4] Il nous manque du développement, nous avons besoin des lumières » Ici, la formulation traduit l’équivalence entre développement et lumière ; il ne s’agit pas de l’électricité seulement, mais surtout de l’ouverture d’esprit qui conduit au stade de croissance des autres pays dits développés.
[5] Janil Louis-Juste, op. cit. P. 21.
[6] A l’issue de la deuxième guerre mondiale, les pays victorieux ont créé la politique d’aide publique au développement. D’aucuns disent qu’il s’agissait de consolider l’hégémonie étatsunienne, surtout à travers le Plan Marshall qui a financé la reconstruction de l’Europe dévastée par la guerre. Des institutions dites internationales comme le FMI, la Banque Mondiale et le GATT (aujourd’hui devenu OMC), sont nées à partir de cette volonté. Des ministères de colonie sont remplacées par des structures étatiques de coopération internationale. L’assiette budgétaire de ces institutions est essentiellement affectée à des oeuvres de développement. Depuis la crise de l’Etat du bien-être, la coopération internationale publique cède la place à l’aide privée de développement. Donc, par la coopération d’abord publique, puis privée, l’impérialisme maintient des liens coloniaux sous de nouvelles formes. La dépendance des pays dits sous-développés est à rechercher dans leur relation historique avec des centres du capitalisme triomphant.
[7] Ruy Braga in A restauraçao do capital. Um estudo sobre a crise contemporânea. Edition Xamà , Sao Paulo 1997, p. 153.
[8] Ruy Braga, op. cit., pp. 157-158.
[9] L’exemple de l’Usine Sucrière de Darbonne (Léogane) est là pour témoigner de cette politique. Elle a été achetée en Italie, mais la technologie était déjà dépassée. De plus, sa capacité technique dépassait très largement la production de canne de la région.
[10] Janil Louis-Juste, op. cit. p. 52.
[11] Si l’appartenance directe de radios, TV et journaux peut être aisément constatée par l’analyse des actions de chaque entreprise médiatique, l’existence des ONGs comme institutions idéologiques du capital « globalisé » est à rechercher dans la structure des bailleurs de fonds. En fait, les ONGs locales construisent leurs budgets à partir de dons reçus de fondations créées par des magnats du capital, lesquelles fondations évitent à ces derniers de lourdes impositions sur leur revenu astronomique. Parfois, les budgets proviennent d’institutions étatiques étrangères à forte velléité hégémonique. Les acitivtés des ONGs ne doivent pas en principe, déranger la reproduction et l’expansion du capital.
[12] Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les nombreuses résolutions votées contre les Etats-Unis et l’Israel, condamnant leur politique impérialiste dans le Moyen-Orient.
[13] La fin de l’histoire décrétée par Fukuyama, n’a pas d’autre sens. Cette idéologie vise essentiellement à éliminer le sujet épistémique, éthique et politique de tout processus de production de connaissances socialement transformatrices.
[14] En fait, c’est l’ambassade des Etats-Unis qui coordonne les activités politiques et économiques du capital dans le pays de Charlemagne Péralte.
[15] Pedrinho A. Guareschi in Sociologia da prática social, 2ème édition Vozes, Petrópolis, 1992, p. 218.
[16] C’est ce que nous avons appelé le servo-capital qui métabolise toutes les autres relations humaines dans la paysannerie haïtienne (voi Jn Anil Louis-Juste in De la crise de l’Education à l’éducation de la Crise, 2003).
[17] En général, cette entreprise de manipulation s’accompagne d’un souci de dés-historicisation de l’existence de la communauté et d’homogénéisation de ses intérêts et besoins.
[18] La situation révolutionnaire de 1987, où se réunissaient des conditions objectives et subjectives, s’était surtout caractérisée par l’absence d’un leadership politique conséquent et intelligent. Les luttes de rue avaient culminé vers le rejet pur et simple du macoutisme comme forme de gestion politique des relations Etat<Citoyens, et le questionnement profond des structures économiques d’exploitation. Des organisations populaires et démocratiques voulaient déchouquer le Conseil National de Gouvernement par l’affrontement direct, mais un secteur opportuniste de la lutte a adouci l’opposition en canalisant les énergies populaires mobilisantes vers la boucherie électorale du 29 novembre 1987.
[19] La chute du dictateur Jean Claude Duvalier avait sérieusement rongé les bases politico-idéologiques de la domination et de l’exploitation en Haïti.