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Haiti-MINUSTAH : « Nul n’a le droit de prendre la vie de toute une société en otage »

Par Camille Loty Malebranche

En réponse au texte de Roland Bélizaire, « Haiti : Démocratie, dépendance et violence, un triptyque d’in-cohérence » [1]

Soumis à AlterPresse le 10 septembre 2007

Comme propos liminaire de ma réponse à Roland Bélizaire, je dirai que j’ai été clair. J’exige une proposition de substitution à la force onusienne (Minustha) pour son départ immédiat que réclament des « nationalistes ». Une bonne part du lectorat d’AlterPresse, connaît toutes les élaborations livresques sur la souveraineté, la démocratie, la violence auxquelles vous vous référez… Mais du livresque à la réalité étatique et sociale d’extrême fragilité d’un pays qu’un rien peut détruire, la responsabilité de ceux qui prennent position doit être éprouvée, sans dilatoire ni marronnage.

On peut partager des parts entières de thèses anarchistes, mais à aucun moment, nul n’a le droit de prendre la vie de toute une société en otage et de livrer des citoyens au péril au nom de ses opinions.

Roland, j’ai parcouru avec plaisir votre superbe dissertation sur la violence, la démocratie, la dépendance, cela me ravit qu’un compatriote qui a fait ses classes, ait si brillamment assimilé les mécanismes sociaux de domination de classes et des causes sociologiques et historiques de la violence. Vos dires frondeurs, incendiaires sur les discriminations de la démocratie athénienne et coloniale traduisent valablement la vérité de tout pays où il y a deux types de citoyens. Quant à vos dires sur la souveraineté, ils demeurent un peu flous et ne sont pas qu’une situation de pays sous occupation, ces conditions sont celle de tout pays qui n’a point les moyens de s’autodéterminer. Sur cet aspect de la question, le problème qui se pose, est que, hormis Cuba avec la révolution Castriste, et le Venezuela de Chavez qui s’efforce de fonder une nouvelle axiologie politique endogène, aucun pays d’Amérique ne se dirige dans une telle souveraineté, vocable auquel je préfère, pour contourner toute méprise dans la nomenclature des choses, celui d’autonomie.

Comme me le faisait remarquer un jour un ami de la gauche argentine : nos pays ont un drapeau mais pas l’indépendance. De toute façon, l’interdépendance, aujourd’hui plus qu’hier, est la condition d’existence dans la réalité interétatique planétaire contemporaine. Plus un État est fort politiquement et puissant économiquement, plus il domine dans cette interdépendance. Cela ne veut pas dire qu’un pays comme le Canada, ne se fait pas dicter son comportement par les É.U. Et même les É.U., de nos jours se font flexibles face à l’influence du marché chinois. À moins de choisir d’être en dehors de l’économie de marché, on est dans l’interdépendance, le seul pari c’est d’être fort et d’éviter d’avoir trop de prédateurs dans cette sorte de chaîne alimentaire ! Cela implique des capacités de répondre autrement à ses besoins économiques et à la rupture avec le mode d’économie capitaliste et ses conséquences d’hégémonie des plus forts sur les plus faibles par des bailleurs de fond, des organismes financiers, des organisations internationales…

Du côté interne des états, là encore se pose le même problème, avec le capitalisme, pas d’égalité ni de réduction des tensions pouvant mener à toutes formes de violence permanente pouvant changer d’intensité et de forme selon l’aléa des conjonctures ! Il faudrait là aussi changer de société. Sinon, il faut jouer le jeu du type de société que l’on a !

Cela dit, pour revenir à ma lettre publiée le 7 août 2007 sur AlterPresse et à laquelle vous faites allusion, elle s’inspire loin de cette trame catégorisée de la théorie critique de la société avec les différentes disciplines qui y concourent. Il s’agit de la survie de l’État Haïtien comme entité d’une part et d’autre part, de l’évitement d’une hécatombe. Je veux être le plus clair possible : la violence que vous décrivez en citant des théoriciens de la chose sociale, reste une violence de société qui n’excède pas sa forme sociale pour devenir violence antiétatique pouvant mettre l’entité étatico-nationale en péril.

Cette violence que vous avez évoquée, est quotidiennement gérée dans les sociétés disposant de force de l’ordre efficace, sans mettre les pays en voie de leur disparition. D’ailleurs, ce n’est pas une violence chaotique politiquement parlant, ce n’est que l’espace du délit ou du crime de droit commun ! Alors que la violence des gangs armés et des bandes à la solde de parrains politiques de toutes sortes derrière les parrains narcotiques dans un petit pays comme Haïti, s’en ira fatalement vers l’expérience de la Somalie où nul ne peut se permettre de vivre sans être quelque part rançonné par les gangs.

Fort de ce constat, je vous demande à vous Roland, haïtien responsable, quelle proposition directe, sans subterfuge et immédiatement faisable, pouvez-vous nous faire, vu la faiblesse de la police, pour maintenir un minimum d’existence à l’État et une certaine sécurité des rues dans les villes haïtiennes, afin de renvoyer aujourd’hui même sans agenda ni négociation la Minustha ?

On peut facilement envisager que le chaos qui règnerait dans notre pays, si nous n’avons pas une force de substitution au cas de départ immédiat et sans condition de la Mnustha, sera le centuple de ce que le pays a connu la dernière année et à laquelle vous faites allusion. La Minustha, quoique force militaire sur le terrain, n’est pas une force d’Occupation, car l’Occupation est toujours faite contre la volonté de l’état occupé alors que l’État haïtien peut demander à l’ONU, le départ de la Minustha du jour au lendemain. La seule réaction que pourrait avoir l’ONU serait juste de faire plier bagage à la Minustha pour obtempérer à ladite demande de départ.

Encore une fois, sans verbiage, sans marronnage, par amour de la population des villes menacées directement par un chaos qui se tournerait en hécatombe sous les armes des gangs et bandes paramilitaires, dites-nous clairement et directement quelle alternative sérieuse et faisable proposez-vous aujourd’hui à la Minustha ?