Santo Domingo, 15 Févr.- 02 [AlterPresse] --- Les milliers de ressortissants haitiens qui franchissent sans papier différents points de la frontière entre les deux pays représenteraient une "menace socioéconomique et écologique" pour la République Dominicaine, a fait savoir mardi le lieutenant général Jose Miguel Soto Jimenez, secrétaire des Forces Armées voisines.
Faisant ces déclarations au cours d’un dîner offert par le groupe de Communications LISTIN, propriétaire du quotidien LISTIN DIARIO, Jimenez n’a pas donné plus de détails sur ce qu’il appelle la "menace socioéconomique et écologique" qui pèserait sur la République Dominicaine avec l’entrée d’Haitiens sans papiers qu’il qualifie d’ "illégaux", un terme rejeté aujourd’hui dans les forums internationaux sur les mouvements humains ou déplacements de populations entre pays.
Cependant, le chef militaire dominicain considère comme prioritaire pour les Forces Armées de son pays la surveillance des 300 kilomètres de frontière commune entre les deux pays qui se partagent l’île. Les huit mille (8,000.00) soldats déployés le long de la frontière travaillent doublement, "sans être agressifs", dit-il, pour maintenir une frontière forte, garantissant la paix et la sécurité nationale de la République voisine.
La République d’Haiti "manque d’interlocuteurs militaires pour solutionner les petits problèmes qui surviennent le long de la ligne frontalière", parce que une Armée lui fait défaut et elle ne dispose que de ressources beaucoup plus limitées, a ajouté Soto Jimenez.
Outre le flux de ressortissants haitiens sans papiers, les Forces Armées dominicaines doivent prévenir le "trafic de drogues, d’armes, de charbon et de divers produits qui laissent le territoire dominicain sans aucun type de contrôle".
"La Police qui existe en Haiti devrait être plus nombreuse et entraînée, parce qu’il y a des communautés frontalières dépourvues de policiers", a renchéri le chef militaire dominicain.
Soto Jimenez a estimé que seule une frontière forte pourrait stimuler la mise en oeuvre de projets de développement dans la zone frontalière, avec des infrastructures communes pour les deux pays.
Un sujet complexe : le politique greffé sur le social, l’économique et le culturel
Dans les milieux dominicains, toutes tendances confondues, des voix comme celle du lieutenant général Jose Miguel Soto Jimenez s’élèvent de temps à autre pour évoquer une possible menace pour l’Armée dominicaine de "l’absence d’une force homologue" en territoire voisin". Faudrait-il continuer à injecter des fonds pour entretenir une force aussi imposante que l’Armée dominicaine, alors que la même force a été
démantelée de l’autre côt’e de la frontière depuis 1995 ? Ces mêmes sources mentionnent tout bas la présence, parmi les militaires dominicains, de ressortissants d’ascendance haitienne s’exprimant parfaitement en créole et qui auraient des parents vivant en Haiti. Dans ce contexte, dans l’esprit de certains dominicains, surgit une inquiétude sourde d’une hypothétique unification de l’île, exprimée dans les journaux dominicains, sans tenir compte des paramètres géopolitiques, économiques et culturels.
N’importe quel voyageur peut constater combien les soldats, préposés au contrôle d’identité et à l’inspection de véhicules sur les routes dominicaines, possèdent de bonnes connaissances en Créole jusqu’à pouvoir interpréter voire comprendre certaines réflexions en Créole empreintes d’images propres au vécu culturel en Haiti.
Jusque-là , cet aspect de la problématique haitiano-dominicaine n’est pas abordé directement, au profit des questions de main-d’oeuvre dans les bateys de canne-à -sucre. Officiellement, non plus, rien n’est dit de l’apport de main-d’oeuvre haitienne dans les bateys de café, dans diverses autres branches de l’agriculture dominicaine (bananes, riz, tomates, raisin), dans le secteur de la construction et surtout dans l’économie informelle (vente de vêtements et de chaussures, de pistache, tablettes et de cocotiers).
Il n’est pas fait état, non plus, du pouvoir d’achat représenté par les agents économiques d’Haiti qui, en plus des dollars américains perçus pour l’octroi de visas de non immigrants et les droits frontaliers sur chaque voyageur, alimentent de manière informelle le marché dominicain en divers produits indispensables dans le panier de consommation quotidienne de nombre de ressortissants dominicains.
Au terme d’une rencontre, la semaine dernière, avec l’entreprise chargée de la gestion des usines sucrières en République Dominicaine, le président Hippolito Mejia avait indiqué que le Bureau d’Immigration et les Forces Armées allaient travailler à trouver une solution à l’absence de main d’oeuvre haitienne, notamment pour la prochaine zafra qui devrait débuter en avril 2002. Parallèlement, Mejia se déclarait favorable à l’octroi de la nationalité dominicaine aux enfants "d’ascendance haitienne nés sur le territoire dominicain", dans une interview exclusive accordée à LISTIN DIARIO.
Pendant que le chef d’Etat dominicain se prononcait pour un recrutement contrôlé d’ouvriers haitiens pour la zafra 2002, certaines sources à Santo Domingo faisaient état d’un possible désaccord sur la question avec l’Armée dominicaine officiellement contre l’intégration d’une nouvelle force de travail haitienne dans les plantations de canne sur le territoire voisin.
Un réseau d’embauchage fonctionnant à ciel ouvert
Cette semaine encore, des organisations gouvernementales haitiennes et dominicaines se sont rendues compte de l’ampleur d’un réseau de "buscones", intermédiaires dominicains oeuvrant en différents points de la frontière, avec la complicité tacite de certaines autorités dominicaines, dans le cadre d’un processus de recrutement permanent de main-d’oeuvre haitienne qui se retrouvera dans les bateys de canne-à -sucre à court et moyen terme.
Les résultats d’une enquête, effectuée en 2001 dans les bateys de canne-à -sucre du Sud de la République Dominicaine et dont les données recueillies doivent faire l’objet d’une publication cette année, confirment la présence d’un circuit/réseau de rassemblement sans interruption de ressortissants haitiens emmenés sur le marché de travail dominicain par des intermédiaires "bien rémunérés" de ce pays.
Il existe une forte offre de plusieurs entreprises dominicaines en faveur de la main-d’oeuvre haitienne, constatent chaque jour de nombreux ressortissants haitiens qui font la navette entre les deux pays.
Plusieurs organisations non gouvernementales dominicaines ont entamé depuis 2001 une campagne massive en favuer du droit à la nationalité de milliers de personnes d’ascendance haitienne nées sur le territoire dominicain. Des échanges sur la question du droit à la nationalité réuniront Haitiens et Dominicains ce 15 février 2002, au sud de la République Dominicaine, a appris AlterPresse des organisateurs de la rencontre.
Menaces réelles dans les échanges économiques ?
Presque quotidiennement, les journaux dominicains publient des articles sur Haiti évoquant différents types de menaces aux intérêts dominicains le long de la ligne frontalière commune entre les deux pays.
Ainsi, les producteurs dominicains de riz se sont-ils mis en alerte la semaine dernière avec l’arrivée de cargaisons de riz "en contrebande", en provenance de la République d’Haiti fin janvier et début février
2002.
Selon l’édition du vendredi 8 février de LISTIN DIARIO, la contrebande de riz par la frontière, qui met en péril l’existence d’hommes et femmes (producteurs, consommateurs et autres) dépendant directement de la culture du riz en territoire dominicain, se serait convertie en une activité aussi rentable que le trafic de drogues, enrichissant une minorité de personnes.
Le directeur dominicain des Douanes, Vicente Sanchez Barret, a écarté une quelconque implication des officiels de son service dans une quelconque opération de contrebande de riz à travers la frontière avec Haiti. De son côté, tout en étant favorable à des dispositions adéquates contre les contrebandiers, le secrétaire dominicain à l’Agriculture Eligio Jaquez a appelé ceux et celles qui dénoncent une éventuelle contrebande de riz par la frontière à étayer leurs assertions de faits palpables.
Toujours est-il que la République Dominicaine, beaucoup plus que la République d’Haiti, manifeste beaucoup d’intérêt à un certain nombre de points sensibles dans les relations entre les deux pays qui se partagent l’île : sécurité sur la zone frontalière, bornes frontalières, projets économiques frontaliers.
C’est le silence le plus complet, en Haiti, sur l’évolution des travaux de la Commission mixte entre les deux pays, opérationnelle il y a quelques années. Les autorités nationales, qui ne prennent pas le temps de consulter les secteurs avisés sur les questions haitiano-dominicaines, réagissent au coup par coup, presque sans planification. Les dites autorités ne semblent pas, non plus, faire cas de diverses recommandations émises par nombre d’organisations oeuvrant en faveur de relations plus ouvertes et moins tendues entre les deux pays.
La nomination récente de Guy Alexandre comme ambassadeur en République Dominicaine aurait été accélérée à la suite de pressions exercées par les autorités voisines très intéressées à aboutir à la mise en oeuvre de certains projets de développement, économiquement stratégiques pour la République Dominicaine. Beaucoup de supports financiers de la communauté internationale, notamment en ce qui concerne les accords de Lomé, restent liés à la planification d’actions communes entre les deux pays le long de la frontière, ont signalé à AlterPresse des compatriotes résidant en territoire voisin.
Le 12 février 2002, la République Dominicaine a décidé d’éliminer l’obligation de visas pour les ressortissants de la Colombie, de la Bolivie, du Costa Rica, du Honduras et du Salvador, à l’occasion de la Journée Mondiale du Tourisme. Il s’agit là d’une disposition visant à stimuler le tourisme en direction de la République Dominicaine, dont l’économie avait été secouée par les événements du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis d’Amérique.
Entre-temps, demeure l’obligation de visas pour les ressortissants d’haiti et de la République Dominicaine qui se partagent l’île, quoique des permis collectifs soient accordés pour la circulation de personnes de part et d’autre sur les deux territoires. [RC AP 15/02/02 8:30]