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Finances internationales : La Federal Reserve Bank entre l’économie et les marchés financiers

Soumis à AlterPresse le 10 août 2007

Par Jules Stuart Pierre, Ph.D., CFA  [1]

Le mardi 7 août 2007, Wall Street et tous les grands centres financiers du monde attendaient avec impatience les résultats de la rencontre de la Banque centrale des Etats-Unis, communément appelée Fed, sur la conduite de la politique monétaire et les interventions à faire sur le marché des bons.

Tenue huit fois par année par une commission de la Fed, dénommée Federal open market committee (Fomc), la réunion du 7 août a eu lieu dans un contexte financier incertain, vu les problèmes qui se manifestent sur le marché du crédit depuis quelque temps, comme les difficultés de financement rencontrées par les consommateurs et entreprises à haut risque.

Le fait par la Fed d’avoir une mission à double mandat, combattre l’inflation et promouvoir la croissance, laisse une certaine flexibilité à la politique monétaire qui porte souvent l’empreinte du gouverneur (Chairman) en exercice.

Fed Chairman Ben Bernanke

Quand Ben Bernanke arriva à ce poste en février 2006, certains analystes pensaient qu’il allait suivre les traces de son prédécesseur, Alan Greenspan. Ce dernier, qui a gouverné la Fed, durant la plus longue période d’expansion de l’économie américaine depuis la deuxième guerre mondiale, a implicitement choisi de prioriser la stabilité financière par rapport à l’inflation. A maintes reprises, il a adopté une politique monétaire expansionniste pour pallier les problèmes du marché financier.

Cela a été le cas, non seulement en octobre 1987 (à la suite du “lundi noir”), mais aussi en 1998 (pour éviter la propagation de la crise des marchés émergents) et en janvier 2001, moins de deux mois après avoir annoncé que sa principale préoccupation du moment était l’inflation. Toutes ces interventions reposent sur un raisonnement simple : les problèmes financiers justifiaient une injection de liquidité dans le système afin de maintenir la croissance.

Habitué à l’approche de Greenspan, Wall Street espérait, sinon une révision à la baisse immédiate du taux d’intérêt cible, le “fed fund rate” (coût de loyer des fonds de réserve sur le marché inter-bancaire), du moins un changement d’orientation de la politique monétaire indiquant une certaine baisse lors de la prochaine réunion en septembre.

L’officier financier en Chef de Bear Stearns Co. Déclarait, le vendredi 3 août : “le marché des bons est dans sa pire situation depuis vingt-deux ans”. [2]
Jusqu’au lundi 6 août, Wall Street évaluait à 70% [3] les chances d’une baisse du « fed fund rate » d’ici septembre.

Mardi, la commission Fomc décide, de façon unanime, de maintenir à 5.25% son taux cible, le « fed fund rate ». Plus surprenant, aucune indication définitive n’est donnée sur un passage de l’orientation restrictive à l’orientation expansionniste dans un proche avenir.

Certes, la Fed a reconnu la pauvre performance des portefeuilles contenant les hypothèques à haut risque.

Au moins 70 banques d’hypothèques ont suspendu leur opération, déclaré banqueroute ou cherché un acquéreur depuis le début de l’année 2006 [4].

Dans la mesure où ces problèmes sont limités à certaines institutions, ce qui ne constitue pas une vraie menace pour la stabilité du système financier, la Fed ne semble pas disposer à changer sa politique monétaire. Suite au taux de 3.4% enregistré durant le second trimestre [5], la Fed espère, pour le reste de l’année, une croissance économique modérée, alimentée par “une croissance solide de l’emploi et du revenu, et une économie globale robuste” [6].

Cependant, la Fed reconnaît que sa prédiction pour la croissance est incertaine.

En effet, les dépenses de consommation ont cru à un rythme annuel de 1.3% durant le deuxième trimestre de cette année, le plus faible taux de croissance enregistré depuis la fin de 2005 [7]. Toutefois, la Fed affirme que “sa principale préoccupation eu égard à sa politique monétaire demeure le risque que l’inflation n’aura pas diminué comme espéré”.

Ce n’est qu’en juin dernier que le noyau de l’indice des prix des dépenses de consommation personnelle est passé de 2% à 1.9%, devenant ainsi à l’intérieur de la fourchette de 1% à 2% convenant à la Fed.

Mercredi dernier, certains analystes affichaient un certain optimisme et interprétaient la reconnaissance explicite de “la récente volatilité des marchés financiers et la détérioration des conditions du crédit” par Bernanke comme un pas vers une orientation neutre.

D’autres analystes notaient qu’au lieu de se concentrer sur le changement d’orientation de la politique monétaire espéré, le marché devrait se rendre compte d’un changement d’approche mettant fin probablement à l’ère Greenspan.

En effet, il semble que Bernanke voulait acquérir une réputation de fermeté, signifiant qu’il changerait sa position quant au principal risque à éviter, de l’inflation à la récession, en ne se basant pas tellement sur les conditions du marché des bons, mais en se basant surtout sur les conditions de l’économie réelle. Cependant, après la chute de 2.8% enregistrée jeudi par le plus important index du marché des actions, le Dow Jones Industrial Average, et provoquée par la piteuse performance des investissements hypothécaires, la Fed décide aujourd’hui d’injecter $38 milliards de liquidité dans le système financier et s’engage à fournir plus d’argent si nécessaire [8].

Durant les semaines à venir, le défi de Bernanke sera de stabiliser les marchés financiers, tout en maintenant l’inflation sous contrôle.

Contact : jpierre99@hotmail.com

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Notes


[1Actuellement professeur adjoint en Finance et Economie à Florida Atlantic University, Jules Stuart Pierre est détenteur d’un doctorat en Economie avec spécialisation en Economie Internationale et Finance, obtenu à la Fordham University (New York). Il est également détenteur du titre CFA, octroyé par Chartered Financial Analyst Institute.

Il a travaillé comme analyste de risques à Freddie Mac en Virginie (de 2000 a 2004) et comme économiste au REIS Reports Inc. à New York (de 1997 a 1999). Avant d’avoir immigre aux Etats-Unis d’Amérique, il a étudié l’agronomie en Haïti où il a prêté ses services comme gestionnaire de projet de développement et comme formateur.

[2Bernanke Looks Beyond Market to Focus on Inflation, Par Craig Torres, Aug. 08th 2007, Bloomberg.com

[3Market Gyrate as Fed Straddles Inflation, Growth, Par Greg Ip. Aug. 08th 2007, The Wall Street Journal.

[4Bernanke Looks Beyond Market to Focus on Inflation, Par Craig Torres, Aug. 08th 2007, Bloomberg.com

[5Market Fears Must Not Drive the Fed, Editorial, August 7, 2007, Financial Times.

[6FOMC Statement – Aug 07th 2007, Federal Reserve Release – Press Release

[7Not Putting Out, Economist.com, Aug 08th 2007

[8Central Banks Add Cash to Avert Crisis of Confidence, Par Scott Lanman & Christian Vits, Bloomberg.com