Débat
Par Castro Desroches
Soumis à AlterPresse le 9 août 2007
C’est avec la plus grande émotion que nous avons appris la nouvelle de la démission de Leslie Manigat comme Secrétaire général du RDNP. Le départ précipité de M. Manigat, après 28 ans à la tête du Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes, risque de laisser un gouffre impossible à combler. Qui dit RDNP dit Manigat, qui dit Manigat dit RDNP. Ancien résident éphémère du Palais national, M. Manigat détient néanmoins le record équivoque de longévité à la direction d’un parti politique haïtien. Pendant ces vingt dernières années, l’homme avait réalisé avec son parti une symbiose exemplaire dans la quête frénétique du pouvoir à n’importe quel prix. La « faim » justifiant les moyens. La retraite surprenante et prématurée du chef historique du RDNP ne signifie pas nécessairement la fin de la saga Manigat. Beaucoup s’attendent à ce qu’il se transforme en « un dieu tutélaire qui veille sur la Cité. »
Héraut de la Droite militariste, personnage théâtral haut en couleur, M. Manigat est entré vivant dans le folklore national en apportant de temps en temps avec son verbe pétillant et son maniérisme captivant, une saine distraction à la platitude des journées sans pain. Privé prématurément de la verbosité proverbiale du professeur, partisans et sympathisants se retrouvent désormais aux abois. En ce moment de désarroi, nous leur disons : courage, messssieurs ! Le roi s’en va, vive la reine !
Dans l’arène politique haïtienne, ce qui a toujours fait la supériorité écrasante du candidat Manigat, ce n’est pas seulement sa trajectoire intellectuelle exceptionnelle mais encore et surtout sa « dicccction » impeccable et son sens sûr du bon mot qui provoque le fou rire chez l’auditeur le plus austère. Interrogé par Nancy Roc, le 12 janvier 2006, sur son état de santé, M. Manigat répondit avec tout le « sérrrrieux » que vous lui connaissez :
_ « Je suis janm. »
« C’est mon âge qui fait mon avantage. »
« Ma santé …est une donation et un don. »
Qui dit mieux ? Je vous mets en défi de trouver un politicien haïtien aussi cocasse.
Observateur candide de la scène politique haïtienne, j’étais convaincu que M. Manigat allait accepter le sacrifice suprême de rester à perpétuité à la tête de son parti. Cependant, les rumeurs de coup d’état matrimonial devenaient de plus en plus persistantes. Dans son long discours d’adieu, le professeur Manigat a démenti ces rumeurs malhonnêtes en soulignant que la « passation de pouvoirs » au sein du RDNP s’est faite sans « guerre de succession » et qu’il ne s’agit nullement d’une « affaire de famille privée de mari à épouse… » Malheureusement, dans ce singulier petit pays, les apparences ont la tête dure.
Personnellement, je n’ai pas de problème avec les 28 ans de M. Manigat à la tête du RDNP. Sans vouloir verser dans le culte de la personnalité et le chauvinisme, je dirais même qu’il n’est pas donné à n’importe quel pays de produire un leader de la trempe de Leslie Manigat. Je ne vois aucun problème dans la succession de Manigat par Manigat. Les Manigat ne sont pas les premiers en Haïti à adopter cette formule dynastique de gouvernement. D’ailleurs, peut-on raisonnablement écarter Mme Mirlande Manigat sous prétexte qu’elle est l’épouse de Leslie Manigat ? Pourra-t-on à l’avenir écarter Béatrice Manigat de la direction du parti sous prétexte qu’elle est la fille du couple Manigat ? On ne peut pas culpabiliser les Manigat parce qu’ils sont supérieurs à tous les cadres du RDNP. « C’est le meilleur candidat qui doit gagner et donc est en train de l’emporter. » Le pouvoir aux plus capables !
En fin de compte, ce qui tue surtout ce pays, n’est-ce pas le caractère éphémère du pouvoir, l’instabilité, les changements intempestifs, les coups de force, les coups fourrés ? Récemment, en février 2007, le leader historique du KID, M. Evans Paul, après seulement 20 ans de leadership, a été brutalement pris à parti par les militants de son Parti. Quelle affaire, hein ! Après la dictature des militaires, serait-ce maintenant la dictature des militants ? Contrairement au KID, l’alternance « démocratique » se fait en douce dans le parti Manigat. Bien sûr, après 28 ans de pouvoir monolithique au RDNP, on s’attendrait logiquement à une multiplicité de candidatures à la succession, comme cela se manifeste pour la présidence d’Haïti depuis la chute de Duvalier. Loin de là. Dans une interview accordée à Radio Métropole le 8 aout 2007, Mme Mirlande Manigat constate : « Peu de gens au sein du Parti avaient envie de s’opposer à moi, d’abord par déférence, par affection et parce qu’ils estiment que j’étais la mieux placée. » Serait-ce, déjà, l’amère émergence d’un pouvoir « maternaliste » ? Après 28 ans de monopole, le Droit à la différence, ne serait-il pas « mieux placé » que la « déférence » ? Ce qui est certain, c’est que le RDNP est un parti politique « sérieux » où les ambitieux se tiennent à l’écart. Etrangers pas mêler nan Zafè Manigat. La candidature du Dr. Lionel Desgranges pour le Secrétariat général de ce parti a été rejetée pour n’avoir pas respecté le délai imparti. Là encore, le professeur a dû intervenir pour clarifier la situation : « Il n’y a qu’un seul candidat régulièrement et DEFITIVEMENT* inscrit au poste de Secrétaire général… »
Contact : Cdesroches2000@aol.com
* Souligné par l’auteur de cet article.