Un procès épistémologique judicieux de l’œuvre de Firmin « De l’égalité des races humaines [1] » nous demanderait entre autres d’examiner les principes, les hypothèses et les conclusions sous-tendant cette étude. A défaut de cet examen approfondi, nous ne pouvons nous permettre que quelques considérations pouvant susciter réflexion et débat.
Comme le dit Bachelard, pour un scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. Firmin répond d’emblée à cette première condition en se posant la question suivante : « Est-il naturel de voir siéger dans une même société et au même titre des hommes que la science même qu’on est censé représenter semble déclarer inégaux ? ».
Firmin évoque par ailleurs « le doute légitime » qu’il a toujours nourri face à la tendance de certains de ses collègues « à diviser l’espèce humaine en races supérieures et races inférieures ». La capacité de douter, comme le disait Descartes, n’est-elle pas au cœur de la méthode scientifique ?
Firmin semble aussi avoir opté pour la rigueur et l’exhaustivité qui figurent parmi les fondements de la science. Il nous le montre à travers cette phrase : « Tout ce qu’on pourra y trouver de bon, il faut l’attribuer à l’excellence de la méthode positive que j’ai essayé d’appliquer à l’anthropologie en étayant toutes mes inductions sur des principes déjà reconnus par les sciences définitivement constituées ».
En outre, Anténor Firmin paraît « faire foi dans la raison », se conformant ainsi à un des principes fondamentaux de la science. Il a le souci de conduire sa recherche de telle sorte que les résultats (qui en découleront) soient solides. S’appuyant sur la méthode positive qu’il a utilisée, il prétend ce qui suit : « Ainsi faite, l’étude des questions anthropologiques prend un caractère dont la valeur est incontestable ». Il poursuit ainsi : « J’ai toujours considéré le culte de la science comme le seul vrai, le seul digne de la constante attention et de l’infini dévouement de tout homme qui ne se laisse guider que par la libre raison ».
Ce travail de Firmin pourrait également nous porter, dans une perspective Bourdieusienne, à nous interroger sur le lieu à partir duquel parle l’auteur. C’est un noir qui réfute une thèse raciste visant sa race. Il le dit bien dans cette phrase : « Mon esprit a toujours été choqué, en lisant divers ouvrages, de voir affirmer dogmatiquement l’inégalité des races humaines et l’infériorité native de la race noire ». Une rigueur « sans faille » peut certes l’aider à contourner cette difficulté.
Les propos de Firmin sont à placer dans son époque, dans le contexte du débat de l’époque. Si l’on devait refaire ce débat aujourd’hui, on pourrait même d’emblée questionner la notion de race qui n’aurait aucun fondement scientifique, de l’avis de plus d’un.
La précipitation avec laquelle l’étude a été apparemment conduite, le conditionnement de l’auteur et les conditions morales dans lesquelles le chercheur se trouvait au moment du développement de sa thèse pourraient constituer des obstacles épistémologiques.
Cependant, il convient de louer l’honnêteté intellectuelle du chercheur qui a lui-même pris le soin de souligner quelques-unes de ces limites (les limites de l’étude).
Somme toute, le texte de Firmin « De l’égalité des races humaines » peut être considéré comme une œuvre de grande portée intellectuelle et humaniste, particulièrement dans le contexte de son époque. Mais avec le recul du temps, peut être que le chercheur du XXIe siècle aurait dépassé une approche duale pour questionner la notion même de race et souligné les motivations de son invention et les méfaits inhérents à son apparition dans l’histoire.
Références bibliographiques
FIRMIN, Anténor, De l’égalité des races humaines, Lib. Cotillon, Paris, 1885
BACHELARD, Gaston, Epistémologie, PUF, 4e éd., Fév. 1987, pp 156-173
http://en.wikipedia.org/wiki/Arthur_de_Gobineau
[1] Texte publié par A. Firmin en réponse à une œuvre raciste de Gobineau. Joseph Arthur Comte de Gobineau (14 Juillet 1816 - 13 Octobre 1882) fut un aristocrate et homme de lettres français. Il devint célèbre après avoir développé la thèse raciste de la supériorité de la race aryenne dans son livre intitulé « Un essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855)